L’origine documentaire
Gilles de Maistre : J’ai contacté Kevin Richardson pour lui consacrer un documentaire pour France 2, en 2013, qui s’appelle L’Homme qui murmurait à l’oreille des lions. Je savais qu’il soignait des félins et des hyènes, qu’il rentrait dans leurs enclos, les touchait, jouait avec et qu’il lui arrivait même de panser leurs blessures sans les endormir. J’avais découvert les travers du braconnage institutionnalisé en Afrique du Sud deux ans auparavant, en tournant Les Petits Princes pour la même chaîne. Avec ma femme, co-scénariste de Mia et le lion blanc, nous avions été choqués de découvrir que l’un des enfants qu’on suivait pour ce docu grandissait dans le mensonge : il vivait dans une ferme, entouré de lions depuis qu'il était tout petit, sans savoir que son père vendait la majeure partie de ses animaux au plus offrant, pour la chasse. Kevin m’a ouvert les yeux sur ce terrible phénomène, et quand je lui ai parlé de notre envie d’en tirer une fiction, il nous a soutenus.
Le choix de la fiction
Il fallait que ce soit une fiction. Pour mettre en avant l’aspect émotionnel, et en même temps réaliser un vrai film d’aventure. L’idée, c’était qu’un enfant élève un bébé lion de sa naissance jusqu’à 3 ou 4 ans, l’âge adulte. Le cinéma peut permettre de faire ça, mais cela réclame des conditions de travail exceptionnelles : il fallait tourner longtemps, entouré d’une équipe formée par Kevin. On a proposé l’idée à StudioCanal et ils ont adoré. Ils n’ont jamais été effrayés par ce calendrier particulier et nous ont constamment soutenus. Ils aimaient le fait que ce soit un film familial, un rendez-vous autour de la nature, de l’environnement. Tout en passant un message fort. Et le fait de tourner avec de vrais lions conférait aussi une « vérité » particulière aux images qu’on n’aurait pas pu obtenir avec des effets spéciaux. Le budget était conséquent, mais pas énorme. La fabrication a coûté environ 7 millions d’euros. Notre méthode permettait de tourner de manière authentique : filmer un lion qui saute sur une petite fille, en numérique, ça demanderait combien ? 100 000 euros ? Nous on l’a fait différemment, et ça a payé.
Le casting
On avait d’abord écrit le rôle principal pour un petit garçon, mais quand on a rencontré Daniah, on a changé les rôles : elle était plus débrouillarde que Ryan, qui joue son grand frère. Par contre, si celui-ci a peur des lions dans le film, il fallait que, sur le tournage, il soit à l’aise en leur présence. pour cela, ils ont tous les deux profité des conseils de Kevin. En tout, on a rencontré 300 enfants en Afrique du Sud, on les a mis en contact avec des bébés lions. Ce n’était pas dangereux et ça nous permettait de voir lesquels évoluaient le plus librement avec les félins. Daniah est ressortie du lot, car au lieu de jouer avec ses mains, elle a carrément mis sa tête ! Elle était immédiatement en confiance, c’était impressionnant. Ces deux enfants n’avaient pas les mêmes réactions face au lion. Daniah est une fille assez physique, elle jouait beaucoup avec eux, elle leur rentrait dedans… Ryan était plus doux, il gardait une certaine distance. Il a été moins blessé d’ailleurs ! Daniah a été pas mal griffée au début, à force de provoquer les lionceaux. A côté, Ryan était tellement gentil qu’on avait peur qu’il s’arrête en cours de route, mais c’était juste son caractère : il a développé avec les lions une relation qui reposait moins sur le jeu.
Un tournage exceptionnel
Une fois le scénario écrit, on a planifié des séances de tournage assez régulièrement pendant trois ans. En quatre blocs. Daniah et Ryan ont dû déménager dans la ferme de Kevin avec leur famille, ça demandait toute une organisation. Ils suivaient des cours par correspondance par exemple. Les parents ont compris que leurs enfants seraient bien encadrés, ils nous ont fait confiance. C’est à ce prix que le travail avec Kevin pouvait être quotidien. Le premier « bloc » de tournage s’est déroulé entre la naissance de Charlie et ses quatre mois. Là, pour jouer Charlie, on avait deux lionceaux : Thor et sa doublure. Plus une petite lionne pour les premières scènes, quand le lionceau naît le jour de Noël. Au cas où il y aurait un problème au cours de la production, on a commencé avec ces deux là, puis au bout de quatre mois, on a gardé Thor, qui s’était le mieux adapté à la présence des enfants.
Le deuxième segment s’est déroulé autour des un an du lionceau. On pouvait tourner en liberté, car Thor était encore assez petit. Les blocs suivants se sont étalés entre sa deuxième et sa troisième année. A ce moment-là, il était devenu adulte, et l'équipe technique, moi y compris, ne pouvait plus l’approcher. On était tous dans des cages, excepté Kevin et les enfants qui étaient dehors avec lui. L’équipe qui travaillait avec Kevin était conséquente : une dizaine de personnes. Il s’agissait de gens qui collaboraient avec lui depuis longtemps. L’essentiel, c’est de s’entourer de personnes qui ne vont pas avoir peur face à un lion. Ils sentent la panique, et ça peut rapidement devenir dangereux. Les enfants ont beaucoup moins d’a priori, mais il faut bien sûr établir des règles de sécurité importantes sur un tel projet.
Les conseils de Kevin au quotidien
Kevin n’a pas participé à l’écriture du film. Il a lu le scénario, a questionné certains points, fait des remarques quand des idées lui paraissaient difficiles à mettre en place, mais il ne s’est pas vraiment occupé de l’histoire. Lui, il était là pour que la relation entre le lion et les enfants soit crédible et sûre. On a réadapté en fonction des humeurs du fauve. Filmer des lions avec des enfants, ça n’avait jamais été fait, et ça n’aurait pas pu se faire sans ses conseils. Le scénario était adaptable en fonction des situations. On tournait les mêmes scènes avec Daniah, puis avec Ryan, comme ça, si au cours du processus, elle avait pris peur, on aurait pu inverser : c’est Ryan qui aurait tenté de sauver le lion. Pendant trois ans, ils voyaient les lions tous les jours, même si on ne tournait pas. Il fallait créer une routine, faire en sorte qu’ils s’habituent à vivre ensemble. Kevin leur a appris son savoir : comment les gérer, comment réagir quand un lion vous saute dessus pour jouer, analyser leurs réactions…
Nouvelle collaboration
Je prépare une nouvelle fiction dans la lignée de Mia, qui poursuit le travail autour de la défense des animaux. Toujours avec Kevin, d’ailleurs, il a fait le voyage avec nous. Ca s’appelle Le Loup et le Lion, on tourne ça au Canada. Là, il est question de zoo et de cirque, on a voulu faire se rencontrer deux des plus grands prédateurs du cinéma. Un bébé loup et un bébé lion qui sont « frères de lait » et grandissent ensemble. Une fiction inspirée par la réalité, encore une fois.