« Je n’ai pas fait ce métier pour m’enfermer dans un emploi qui aurait fini tôt ou tard par me lasser. » Cette phrase extraite d’une interview qu’il avait accordée au magazine Studio Ciné Live dans les années 2010 ne saurait mieux résumer le parcours artistique de Michel Blanc, acteur, auteur et réalisateur, dont on a appris la disparition brutale à 72 ans ce vendredi 4 octobre 2024.
72 ans dont une cinquantaine passée devant une caméra de cinéma, où il fait ses premiers pas en 1974, enchaînant des petits rôles chez Bertrand Tavernier (Que la fête commence), Serge Gainsbourg (Je t’aime moi non plus), Georges Lautner (On aura tout vu), Claude Miller (La Meilleure Façon de marcher) ou encore Roman Polanski (Le Locataire). Des apparitions furtives, mais où il y accomplissait son rêve d’enfant. Lui, le fils d’un déménageur et d’une dactylo qui, à 6 ans, s’amusait à jouer, seul dans sa chambre, des scènes de procès où, tel un Robespierre en culottes courtes, il condamnait les accusés fantômes à tour de bras. Lui qui, en classe de troisième, en cours de français, su vaincre sa timidité afin de jouer pour la première fois devant un public Les Précieuses ridicules de Molière. Un déclic. « Face aux rires que je provoquais, j’ai éprouvé cette sensation très forte d’être à l’aise pour la première fois de ma vie. Faire ce métier est alors devenu une évidence. »
La bande du Splendid
La suite appartient à l’histoire de la comédie et plus largement du cinéma français. La rencontre au lycée Pasteur de Neuilly-sur-Seine avec Thierry Lhermitte, Christian Clavier et Gérard Jugnot. La création de la bande du Splendid. Les premiers succès sur scène au café-théâtre puis le passage au cinéma avec l’adaptation d’Amours, coquillages et crustacés qui deviendra Les Bronzés et ce personnage culte de Jean-Claude Dusse. « Avant lui, je n’avais pas vraiment trouvé mon emploi comique. Sur scène, par exemple, je voyais bien que je faisais moins rire que Gérard Jugnot. Quand je l’avais remplacé dans Le Père Noël est une ordure, j’enchaînais bide sur bide », expliquait-il à Première en 2019. « Mais à la fin de l’écriture collective d’Amours, coquillages et crustacés, quand on a commencé à se répartir les rôles, j’ai tout de suite su que Jean-Claude Dusse était pour moi. Pour créer ce personnage névrosé, physiquement fragile, qui, non seulement n’arrive pas à séduire, mais n’est même pas remarqué par les femmes, j’ai pensé à Woody Allen. Et sur scène, j’ai tout de suite vu que ça fonctionnait. J’avais trouvé mon rire ! »
Peu après, il va pourtant, sans jamais couper totalement le lien, s’éloigner de la bande du Splendid. « Par esprit purement rigoriste. Ça m’emmerdait qu’on écrive une suite aux Bronzés. Je trouvais ça vulgaire et je n’ai donc pas participé à l’écriture des deux autres films », racontait-il à Studio Ciné Live. Cet éloignement se confirmera dans les années suivantes où il ne fera que des apparitions dans Le Père Noël est une ordure et Papy fait de la résistance même si, en parallèle, on le voit creuser son personnage de type mal dans sa peau dans une série de comédies dirigées par Patrice Leconte (Viens chez moi, j’habite chez une copine, Ma femme s’appelle reviens et Circulez y’a rien à voir) qui franchissent toutes la barre du million de spectateurs et consolident sa popularité. C’est lui-même qui sifflera la fin de la première partie de sa carrière avec Marche à l’ombre, son premier film de réalisateur. Des adieux en beauté puisque Marche à l’ombre sera le film le plus vu en France en 1984, devant Les Ripoux et Indiana Jones et le temple maudit. Il se retrouvera nommé au César du meilleur premier long métrage.
Tenue de soirée
Dès lors, Michel Blanc va refuser systématiquement toutes les propositions de rôles équivalents, pour ne pas s’enfermer dans un emploi qui aurait pu finir par lasser. Alignement parfait des planètes, c’est au même moment que surgit la proposition inattendue qui va changer le regard des professionnels, et du public, sur lui. Celle de l’hétérosexuel séduit par Gérard Depardieu dans Tenue de soirée, un rôle initialement écrit pour Bernard Giraudeau qui l’avait décliné. « J’ai longtemps pensé que Bertrand ne m’aimait pas », racontait Michel Blanc à Première. « Tout ça à cause d’un casting d’une pub pour une bière qu’il réalisait et où j’avais été très mauvais. Idée confortée par le fait que pour Les Valseuses, il avait fait appel à Thierry [Lhermitte] et Gérard [Jugnot]. Alors quand il m’a appelé pour Tenue de soirée, j’étais vraiment heureux mais aussi interloqué car je n’ai pas spécialement le physique et le jeu de Bernard [Giraudeau]. Mais Bertrand m’a répondu : “Quand on change d’acteur, on change complètement de point de vue.” » Un choix particulièrement judicieux car, sélectionné à Cannes, Tenue de soirée lui vaut le prix d’interprétation. Le tournant est pris mais Michel Blanc garde cependant les pieds sur terre, quitte à décontenancer son agent, comme lorsqu’il décline Quelques jours avec moi de Claude Sautet « parce que ce personnage exigeait une dimension de séducteur que je ne possède pas ». Et c’est une fois encore sous la direction de Patrice Leconte, lui-même en plein tournant dramatique dans sa carrière après Tandem, que l’acteur va trouver avec Monsieur Hire, adapté de Georges Simenon, ce qu’il considérait comme son premier vrai personnage de composition : « J’étais un acteur à qui on donnait beaucoup de dialogues et qui gesticulait énormément. Monsieur Hire, c’est exactement l’inverse : il ne bouge pas et s’exprime uniquement par le regard. » Ce personnage de misanthrope soupçonné d’un meurtre qu’il n’a pas commis lui vaut une nomination au César du meilleur acteur, remporté cette année-là par le Philippe Noiret de La Vie et rien d’autre. Mais il marque aussi le début d’une période où Michel Blanc tournera moins, faute de projets satisfaisants.
Grosse fatigue
Cette pause volontaire sera pour le comédien et cinéaste l’occasion de se remettre à l’écriture, près de dix ans après Marche à l’ombre. « J’ai mis longtemps à me libérer du blocage du type qui, après un succès, ne veut pas refaire la même chose tout en doutant d’être capable d’écrire autre chose », confiait-il à Studio Ciné Live. Il commence à développer avec Jacques Audiard (qui s’apprêtait à ce moment-là à tourner Regarde les hommes tomber) un projet de film sur le monde du spectacle qu’il abandonne en chemin, faute de savoir où il va. On lui conseille alors de travailler avec Blier qui va, comme il l’expliquait lui-même, lui apprendre à écrire, à débrider son imagination entravée par son obsession à structurer parfaitement chaque scène. Le résultat sera Grosse Fatigue où chacun des membres de la grande famille du cinéma français joue son propre rôle, de Carole Bouquet à Philippe Noiret en passant par toute la bande du Splendid, réunie dans le même film pour la première fois depuis des années. Le succès sera au rendez-vous, doublé d’un prix du scénario à Cannes. Mais dans sa carrière de réalisateur, Michel Blanc cherchera encore à ne pas se répéter, enchaînant avec Mauvaise Passe l’histoire d’un prof agrégé (Daniel Auteuil) qui, fuyant sa vie bien installée où il ne se reconnaît plus, devient escort à Londres. Suivra Embrassez qui vous voudrez, une comédie de mœurs chorale à l’écriture ciselée où il révèle aux yeux du grand public deux acteurs alors au balbutiement de leur carrière, Mélanie Laurent et Gaspard Ulliel. Le film connaîtra une suite Voyez comme on danse, seize ans plus tard, en 2018.
De tous les registres
Entre-temps, l’acteur Michel Blanc reprendra le dessus, dans la foulée du carton en salles de Je vous trouve très beau d’Isabelle Mergault, César du meilleur premier film en 2006. Son rôle d’agriculteur en quête de l’âme sœur l’entraînera sur un registre sentimental inédit. On le retrouvera ensuite chez André Téchiné (Les Témoins et La Fille du RER), Jean-Paul Rouve (Les Souvenirs) et Pierre Schoeller dans L’Exercice de l’État où sa composition en directeur de cabinet d’un ministre des Transports lui vaudra un César du meilleur second rôle. Le seul de toute sa carrière.
Les années passant, il renouera aussi avec des comédies plus franches : Les Bronzés 3 : Amis pour la vie, retrouvailles du Splendid aux 10 millions d’entrées, mais aussi Raid dingue de Dany Boon, Les Tuche 4 d’Olivier Baroux ou encore Docteur ? de Tristan Séguéla et Les Cadors de Julien Guetta. Dans les deux derniers longs métrages où on a eu l’occasion de l’admirer, Les Petites Victoires (Mélanie Auffret) et Marie-Line et son juge (Jean-Pierre Améris), c’est la tendresse qui s’imposait avec des personnages qui, à chaque fois, fendaient l’armure pour laisser vivre leur générosité. Le comédien y rejoignait au fond l’homme qu’il était. Réservé mais jamais distant, regardant devant lui sans pour autant se montrer avare de confidences sur son parcours. Un parcours qui s’achève alors qu’il avait fini de tourner ce qui constituera son ultime apparition à l’écran : La Cache de Lionel Baier, adapté du roman de Christophe Boltanski, Prix Femina 2015. « Au début du film, Michel nous fait vraiment rire avec une scène d’ouverture complètement absurde, avec un humour très britannique, en retenue comme il sait si bien le faire. À la fin, il est bouleversant de sincérité dans ce qu’il raconte à l’un des personnages. C’est magnifique. Je savais, en bénéficiant de sa présence sur le tournage, que j’aurais toute cette gamme chez une seule personne. Tout ce que le film essaie de faire, à savoir passer du rire aux larmes », a confié le réalisateur à FranceTVinfo.fr.