Michèle Halberstadt, une vie entre cinéma et littérature

Michèle Halberstadt, une vie entre cinéma et littérature

13 avril 2021
Cinéma
Michèle Halberstadt
Michèle Halberstadt DR
À l’occasion de la sortie en librairies de son neuvième livre, Née quelque part, retour sur le parcours de la productrice et le lien qu’elle entretient depuis toujours avec le 7e art.

« J’ai toujours eu trois amours dans la vie : la musique, la littérature et le cinéma », explique Michèle Halberstadt, la patronne (avec son mari Laurent Pétin) de la société de distribution et de production ARP Sélection, qui vient de sortir en librairies son neuvième livre, Née quelque part (éditions Albin Michel) où elle tire les fils de sa lignée, en croisant l’itinéraire de sa famille paternelle et celui d’un autre Halberstadt, Max, le gendre de Sigmund Freud. « Je dois ma passion pour les livres et les films à ma mère, grande lectrice qui avait même publié quelques nouvelles dans des journaux à Vienne avant la Seconde Guerre mondiale. Lorsque j’étais enfant, elle ne m’a jamais emmenée voir des Disney car ça l’ennuyait, mais Citizen Kane ou Rebecca. Le cinéma avait aussi dans ma jeunesse l’attrait de l’interdit car je n’avais pas le droit d’y aller seule. La frustration crée forcément l’envie. »

Pour autant, atteindre son rêve de travailler un jour dans le milieu prendra du temps, des tours et des détours. « Pour mes parents, ce n’était qu’un hobby, mais moi je voulais en vivre. » Une lecture la confortera très jeune dans ce choix, celle du Cheval blanc d’Elsa Triolet.

Son héros, doué en tout, va choisir de ne se consacrer à rien puisque la seule quête qui lui tient à cœur — délivrer une femme prisonnière en arrivant sur un cheval blanc — lui apparaît impossible. Cet homme qui a tous les talents et n’en fait rien passe donc à côté de sa vie. À 13 ans, je ne savais pas encore précisément quels étaient les miens, mais je ne voulais passer à côté de rien ! 

Son bac en poche à 16 ans et demi, c’est d’abord vers le journalisme qu’elle s’oriente. « Le cinéma me paraissait inaccessible car je ne connaissais personne. Le journalisme allait me permettre de rencontrer des gens, d’aller dans tous les milieux. » En parallèle de ses études en droit et à Sciences Po, elle entre à Europe 1 où pendant quatre ans, elle multiplie les petits boulots pour la rédaction et les programmes avant de travailler avec Philippe Alfonsi pour son émission Histoire d’un jour. Quand elle comprend qu’elle ne pourra pas accéder à l’antenne, elle part pour Radio France qui commence alors à développer ses radios locales à travers le pays. Elle va s’en occuper quelques mois avant de débuter derrière le micro sur Radio 7. C’est là qu’elle se rapproche du cinéma, « en faisant des interviews mais aussi, en parallèle, des papiers pour Libération et Actuel ». Son départ de Radio 7 va acter son rapprochement vers le 7e art. « J’avais trois offres. J’ai refusé celle de Jean-François Bizot pour Actuel et de Serge Daney de Libération pour accepter celle de Marc Esposito, le patron du mensuel Première. »

Dès lors, le cinéma devient son quotidien. Elle va multiplier les interviews et les rencontres au long cours dans des cadres privilégiés. Robert Redford, Stanley Kubrick, Robert De Niro, Jack Nicholson, Isabelle Adjani, Alain Delon… « Avec le recul, je me suis rendu compte qu’à chaque fois, la première interview avec chacun était la meilleure. Quand tu connais trop les gens, c’est compliqué car tu es passée de l’autre côté. Donc autant faire un autre métier à leurs côtés. »

Elle va s’y employer une première fois alors qu’elle pense quitter le mensuel au milieu des années 80. Elle écrit ainsi les scènes d’ouverture de Nikita de Luc Besson (jusqu’à la sortie du centre de détention de son héroïne) et coécrit entièrement Kamikaze de Didier Grousset, « avec la frustration qui va avec de ne pouvoir peser sur aucun choix par la suite ». Mais le jour où elle doit quitter officiellement Première, on lui propose le poste de rédactrice en chef qu’elle va accepter tout en lançant le Première américain. Une aventure qui la mènera jusqu’au début des années 90 où elle va être percutée par une tragédie : la mort de sa fille. « J’ai su alors que si je ne m’arrêtais pas, j’allais devenir folle, car trois jours après sa mort, j’étais au journal. Or il est impossible de continuer comme avant après un tel séisme. »

Le déclic aura lieu lors d’une projection de presse de La Vengeance d’une femme de Jacques Doillon « quand je me suis rendu compte que je venais de passer à côté des dix premières minutes du film parce que je réfléchissais à ce qu’on allait faire dans le journal. Là, j’ai compris qu’il fallait que je m’en aille car j’étais en train de devenir la caricature de ce que je voulais éviter. »

Après une année sabbatique où elle écrit son premier livre (Prends soin de toi), elle va revenir vers ce cinéma qui la passionne. Approchée par Patrice Ledoux afin de faire des acquisitions de films étrangers pour la Gaumont puis par Jean-Claude Fleury de Ciby 2000 pour capitaliser son carnet d’adresses anglo-saxon et devenir productrice exécutive des films qui verraient le jour, elle décline. « Après Filipacchi, je n’avais pas envie de me retrouver dans une autre grosse structure. » Elle va plutôt choisir de creuser en tandem avec son mari Laurent Pétin une activité qu’elle avait commencé à mener pour leur ami Paul Rassam d’AMLF alors qu’elle était à la tête de Première. « Paul me consultait régulièrement sur des scénarios car je lisais vite. Avec Laurent, on l’a poussé à acheter en 1989 Un Compagnon de longue date de Norman René [le premier film américain traitant du sida, NDLR], qu’on avait découvert à l’American Film Market. » Ce « hobby » va donner lieu à une aventure commune, couronnée de succès. « À cette époque, à Hollywood, Sony venait de créer Sony Classics. Laurent est donc allé voir Claude Berri pour lui proposer de faire AMLF Classics. Découvrir de nouveaux talents que Claude pourrait ensuite faire fructifier. Il nous dit OK mais à deux conditions : pas de cinéma français car c’est la chasse gardée de Richard Pezet, ni de cinéma américain que gère Paul Rassam. On a accepté en se concentrant sur d’autres marchés : la Chine, l’Australie... » 

En duo, ils se mettent à acheter des films qu’AMLF va distribuer, par le biais d’ARP, l’agence de publicité de cinéma créée par Laurent Pétin en 1982, qui va ainsi se diversifier. Mais le démarrage se révèle poussif. Proof de Jocelyn Moorhouse ne trouve pas son public. Épouses et Concubines de Zhang Yimou, bien que couronné du Lion d’argent à Venise en 1991, reçoit un mauvais accueil de la presse avant de connaître un premier jour catastrophique en salles.

Le vendredi soir, Laurent me dit qu’on va être obligés de fermer le département. Mais le lundi, Épouses et Concubines commence à trouver son public. Il finira par totaliser 300 0000 entrées. Ça nous a sauvés et ouvert le marché chinois pour la suite ! On va ainsi découvrir Wong Kar-Wai et permettre de faire connaître le cinéma chinois contemporain en France.

Après AMLF, ils continueront à faire ce travail pour AFMD et UGC avant de travailler uniquement pour ARP où ils vont tout faire eux-mêmes, Michèle Halberstadt rédigeant les dossiers de presse, les sous-titres des films, s’occupant des ventes TV... « Le premier film qu’on a distribué est Bienvenue dans l’âge ingrat de Todd Solondz [Grand Prix du jury du festival de Sundance 1996, NDLR]. Un titre ô combien symbolique », s’amuse-t-elle. En 1999, ils enchaînent le carton en salles du Taxi de Gérard Pirès et la Palme d’or pour Rosetta des frères Dardenne. « Ce doublé nous a offert la liberté, mais surtout la possibilité de construire des relations privilégiées avec des auteurs : François Dupeyron, Jean-Paul Rappeneau, Atom Egoyan, Steven Soderbergh... D’acheter des films découverts en festivals bien sûr, mais aussi de s’engager sur un scénario et d’accompagner le projet à chaque étape, de son écriture à la stratégie de sa sortie en passant par le choix du casting, des décors… Finalement, on fait plein de métiers en un et c’est ce qui le rend aussi passionnant. »

Vingt ans après Kamikaze et Nikita, Michèle Halberstadt, tout en continuant à signer des romans, se remet à l’écriture de scénarios. Le plus souvent sans apposer son nom au générique, à l’exception des Blessures assassines « où Jean-Pierre Denis me l’a demandé, comme il m’a demandé d’être avec lui derrière le combo sur le tournage parce qu’il n’avait pas réalisé de film depuis longtemps et qu’il trouvait important de montrer qu’il avait développé ce projet avec une femme ». Pour autant, elle ne s’imagine pas passer elle-même derrière la caméra — « Je n’ai pas l’œil, contrairement à Laurent » — ni développer un scénario en solo.

Pour moi, l’écriture d’un scénario est un exercice collectif. Sinon, je préfère écrire des romans.

Et alors qu’elle souligne la concurrence de plus en plus accrue dans son secteur – « On est de plus en plus nombreux sur un nombre de plus en plus restreint de films avec des vendeurs qui tentent forcément d’en profiter, posant par là même la question de la survie économique de notre système », elle est toujours portée par les rencontres que ce métier permet. « J’ai eu la chance de travailler juste avant sa disparition avec Jean-Loup Dabadie [en mai 2020, NDLR] pour l’adaptation des Volets verts de Georges Simenon. J’ai passé dix jours chez lui et je m’en souviendrai toute ma vie ! » Le tournage devrait débuter cet été. Il fait partie des nombreuses actualités d’ARP dès la réouverture des salles, à commencer par la sortie de Minari du Coréen Lee Isaac Chung, Golden Globe du meilleur film en langue étrangère et candidat à six Oscars — dont celui du meilleur film — le 26 avril prochain.