« Novembre » : traiter « l’onde de choc » plutôt que « le choc causé par les attentats »

« Novembre » : traiter « l’onde de choc » plutôt que « le choc causé par les attentats »

05 octobre 2022
Cinéma
Jean Dujardin et Sandrine Kiberlain dans « Novembre ».
Jean Dujardin et Sandrine Kiberlain dans « Novembre ». RECIFILMS - CHI-FOU-MI PRODUCTIONS - STUDIOCANAL - FRANCE 2 CINEMA - UMEDIA

Rencontre avec Olivier Demangel, le coscénariste d’Atlantique de Mati Diop et des saisons 2 et 3 de la série Baron noir, à l’origine du nouveau long métrage de Cédric Jimenez qui raconte les cinq jours d’enquête de la section antiterroriste après les attentats du 13 novembre 2015.


Comment est née l’envie d’écrire un film autour des attentats du 13 novembre 2015 ?

L’origine de Novembre remonte à mai 2017, quand le producteur Mathias Rubin me propose d’écrire un film sur le sujet de mon choix. Je pense alors spontanément au 13-Novembre mais avec une contrainte évidente : je ne voulais pas représenter les attentats, « refabriquer » le Bataclan. Je souhaitais plutôt traiter l’onde de choc que le choc lui-même. Restait à trouver le bon point de vue pour y parvenir. J’ai commencé par lire des articles, des livres, à voir des reportages sur le sujet. Et c’est là que j’ai réalisé que l’attentat ne se limitait pas à la nuit du 13 novembre mais se poursuivait jusqu’au 18, car durant ces cinq jours, les terroristes pouvaient refrapper à n’importe quel moment. Raconter toute cette période allait me permettre de traiter le 13-Novembre sans impudeur, avec la bonne distance et un point de vue respectueux.

Deux ans après les attentats, cela n’a pas semblé trop tôt pour aborder un tel sujet aux yeux de votre producteur ?

Non. Mathias a tout de suite été assez emballé. D’autant plus que, pour une fois, on allait pouvoir bénéficier du temps long qui est celui du cinéma. Je savais en effet que si ce film se concrétisait, il faudrait plusieurs années. Mais, pour répondre plus directement à votre question, je reste persuadé qu’il aurait été encore trop tôt de sortir en 2022 un film qui aurait recréé le Bataclan. Évidemment ce genre de films est possible dans le cinéma américain, comme Vol 93 de Paul Greengrass [sorti en 2006, NDLR], par exemple. Mais en France, dans notre ADN d’écriture, il existe quelque chose de plus distancié, de plus réfléchi.

En France, dans notre ADN d’écriture, il existe quelque chose de plus distancié, de plus réfléchi.

Élaboré un récit à partir de ces cinq jours, c’est aussi se plonger dans une enquête et des événements peu documentés pour le grand public…

Oui, c’est un peu comme accéder au secret des dieux. Même s’il y a forcément une distorsion par rapport à la réalité. À commencer par le secret de l’instruction, car le procès n’avait pas encore eu lieu. Mais au fil de mes recherches, j’ai trouvé une figure romanesque et héroïque inouïe au cœur de cette histoire : cette jeune femme, Samia, qui a permis à la police de localiser le coordinateur des attaques menées à Paris et à Saint-Denis. Novembre est construit sur cette très vaste enquête qui part dans tous les sens et ce personnage tient un rôle essentiel dans sa dramaturgie.

Dans Novembre, vous choisissez aussi de montrer les policiers uniquement sur leur lieu de travail et pas dans l’intimité de leur foyer. Pour quelle raison ?

D’abord parce que durant ces cinq jours, ils ne sont quasiment pas rentrés chez eux. Mais surtout parce que Cédric (Jimenez) et moi n’avions aucune envie de creuser leurs vies personnelles. Que l’un d’eux ait eu ce soir-là des soucis de couple ou de garde d’enfants, on s’en moque ici. Ce qui compte avant tout ce sont les 131 victimes, les 1440 blessés graves. Novembre est au fond un scénario de psychologie comportementale. J’ai voulu montrer des êtres humains dans un fonctionnement collectif, voir comment ils s’en sortent, quelles erreurs ils commettent, chacun ayant son moment de craquage au fil du scénario. Le contraire aurait été grossier. 

 

Vous avez rencontré beaucoup de policiers pour écrire le scénario ?

Comme le personnage de Samia n’arrive qu’au deuxième jour de l’enquête, il fallait faire exister ce qui se passait avant. J’avais élaboré cette idée de fausses pistes que les policiers auraient pu suivre. Mais je devais m’assurer de leur crédibilité. Or il se trouve qu’un ami de longue date qui travaille à la BAC connaissait très bien des membres de la section antiterroriste. C’est grâce à lui que j’ai pu les rencontrer. Même si cela a été très difficile car ils sont très méfiants et qu’ils sont profondément antihéroïques. Ils n’ont pas le sentiment d’avoir accompli un exploit. Il y avait donc chez eux une certaine défiance car ils se demandaient ce qu’un film allait raconter sur eux et leur action. Idem quand on a rencontré les gens du RAID qui avaient été échaudés à l’époque par certains articles indiquant que l’assaut de Saint-Denis avait été une catastrophe alors qu’ils avaient réussi à neutraliser les terroristes sans qu’il n’y ait aucun mort ! Bref, tout cela a pris du temps jusqu’à ce qu’ils s’assurent que notre ambition n’était pas de faire polémique mais de rétablir une vérité sur le fonctionnement de leur travail. À partir de là, ils nous ont confié des précisions indispensables à la véracité du récit?; sur leur organigramme?; sur les responsabilités de chacun?; sur leur manière précise d’agir sur le terrain. Sans jamais rentrer dans le détail des opérations car ils n’en avaient pas le droit tant que le procès n’avait pas eu lieu. En parallèle, j’ai aussi rencontré des victimes, des magistrats, des psychologues pour comprendre les différents enjeux et parvenir à la connaissance la plus fine possible du sujet. 

Aller trop loin dans la fiction aurait donné le sentiment qu’on relativisait le drame vécu par les victimes.

Mais avec tous ces éléments, il faut parvenir à faire fiction. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre ce réalisme et le fait que Novembre ne soit pas un documentaire ?

C’est un dosage permanent. On ne peut pas raconter n’importe quoi sur ce sujet. Aller trop loin dans la fiction aurait donné le sentiment qu’on relativisait le drame vécu par les victimes. Il fallait réussir à trouver de la fiction uniquement dans les mécanismes de fonctionnement interne chez ces policiers, à travers des fausses pistes, des personnages secondaires mais qui ne viennent jamais raconter quelque chose de trop spectaculaire, de trop « américain ». 

Quel a été l’apport de Cédric Jimenez quand il a accepté de porter ce scénario à l’écran ?

Cédric a su donner plus d’ampleur à ce qui était écrit. Sa force, c’est son envie de grand public donc de scènes possédant une dimension très visuelle. À commencer par celle de l’assaut de Saint-Denis. Il a, à juste titre, voulu montrer qu’il s’agissait de l’aboutissement de l’enquête. Mais on était sur la même longueur d’onde. La preuve : on a mis à peine un mois pour réécrire la version de tournage et on n’a pas touché aux fondamentaux du récit. 

Anaïs Demoustier dans Novembre RECIFILMS - CHI-FOU-MI PRODUCTIONS - STUDIOCANAL - FRANCE 2 CINEMA - UMEDIA

Avez-vous réécrit en fonction des comédiens quand ils ont été choisis ?

Très peu. En revanche, on a ajusté des choses car le scénario était très technique. Je me suis souvent rendu sur le plateau pour cela. Les acteurs se sont vraiment mis au service de Cédric et du film. À l’image de Jean Dujardin qui a accepté un rôle qui se fond dans le collectif. De son côté, Sandrine Kiberlain l’avait expliqué à Cannes : quand Cédric lui a parlé pour la première fois d’un film autour du 13-Novembre, elle n’était pas convaincue. Mais après avoir lu le scénario, elle a dit oui car c’était pour elle le moyen par lequel raconter comment une société traverse un tel événement, un tel drame. La coordination entre les services publics, de la police aux magistrats en passant par les hôpitaux et l’Éducation nationale pour aborder les événements avec les enfants à l’école… Le scénario est une mise en abyme de tout cela à l’échelle d’un service de police. 

Vous parliez de dialogues techniques. Comment les avez-vous écrits pour ne pas perdre le spectateur tout en respectant ce que ces personnages se disent dans la réalité ?

Il fallait en effet être à la fois technique et intelligible. On ne voulait pas de dialogues qui soient une explication à destination du spectateur mais que nos personnages ne se seraient pas dits. Mais, dans la « vraie » vie, ces policiers, ils disent au moins 40 acronymes par phrase ! Ce travail d’écriture a été comme de la dentelle : rajouter juste un mot en plus ici ou là, un mot pour mieux comprendre. Il fallait que les spectateurs soient perdus dans cette enquête tentaculaire mais que cela reste constamment compréhensible.

Avez-vous ressenti une impression de responsabilité inédite comme scénariste par rapport à vos projets précédents ?

Oui. Du premier jour jusqu’à la projection à Cannes ! C’était une grosse pression mais je l’ai trouvée noble. Elle ne m’a jamais étouffé. C’est aussi pour cela que Cédric et moi avons voulu que les victimes aient une place dans le film. On a ainsi fait le choix, à la fin du film, de cartons dans le noir et de silence afin de rendre hommage une dernière fois aux victimes. Dès le départ, il était clair pour Mathias comme pour moi que si une famille de victimes s’était à un moment opposée à ce projet, on aurait renoncé. 

NOVEMBRE

Réalisation : Cédric Jimenez
Scénario : Olivier Demangel et Cédric Jimenez
Photographie : Nicolas Loir
Montage : Laure Gardette. Musique : Guillaume Roussel
Production : Reci Films, Chi-Fou-Mi Productions, France 2 Cinéma, StudioCanal, UMedia
Distribution et ventes internationales : StudioCanal
Sortie : 5 octobre 2022