De manière générale, pensez-vous que le cinéma a inspiré votre travail ?
Parfois on est influencé sans vraiment sans rendre compte. On ne vit pas dans une bulle. On vit dans un univers culturel et on absorbe des images en permanence : télévisuelles, théâtrales, littéraires… Ça nous touche d’une manière ou d’une autre. Évidemment, le cinéma fait aussi partie de ces influences. Enfant, j’ai été abreuvé de films des années 50 et j’ai grandi avec les nouveautés qui sortaient. Aujourd’hui, au cinéma, on ne raconte plus les histoires de la même manière. On passe moins de temps sur les plans, ils sont plus saccadés. Il y a de plus en plus d’ellipses… Forcément ça joue sur mon travail.
J’ai entendu dire que pour dessiner Largo Winch, vous vous étiez inspiré de deux acteurs…
Oui au départ, c’est vrai. Avant même de dessiner la première page, j’avais une foule de personnages à créer : le héros, ses deux amis, les douze présidents des divisions Winch, le père adoptif de Largo… Forcément, je suis allé piocher où je pouvais. Jean Van Hamme [le scénariste, NDLR] avait mis quelques indications précises dans son scénario, mais étrangement pas pour Largo. À l’époque, j’avais été marqué par les traits de Patrick Swayze, que j’avais vu dans la série Nord et Sud. Et j’aimais bien Kurt Russell. Je me suis dit qu’en mélangeant les deux, ça pouvait marcher.
Le cinéma vous a servi pour créer d’autres personnages ?
En trente ans, il y a eu énormément de personnages dans Largo Winch ! Forcément, le cinéma m’a aidé. Il m’arrive de prendre délibérément le parti de rendre l’acteur ou l’actrice dont je m’inspire reconnaissable parce qu’il va occuper une toute petite place dans l’intrigue. Ça ne sera pas gênant ou troublant pour le lecteur. Mais je peux aussi m’inspirer d’un acteur que je vais suffisamment transformer pour qu’on ne reconnaisse pas ses mimiques spécifiques. Car c’est surtout là que la ressemblance joue. On le voit d’ailleurs très bien dans les dessins animés.
Votre façon de dessiner, de découper vos planches est très dynamique. Peut-on y voir, une fois de plus, une influence du cinéma ?
Il y a des passerelles entre mon dessin et le cinéma, mais elles sont très étroites, d’abord parce que le cinéma a un cadre figé, à l’inverse de la bande dessinée. Au cinéma, la taille de l’image, la diagonale de l’écran est invariable. À part, peut-être, parfois chez Nolan. Dans mes dessins, mes cases font la taille que je leur donne. Bien sûr au cinéma, on peut faire des split-screens, mais c’est rare. Dans la BD, on a en moyenne huit cadres différents sur la même page, mais on fait ce que l’on veut. Au cinéma, les images se succèdent dans un même cadre invariable.
Du coup, quelles seraient ces passerelles ?
On peut les trouver dans ce que l’on va mettre dans son dessin pour donner l’impression que l’on est dans un film. C’est une histoire de dynamique. Il y a un tas de petits trucs que l’on peut utiliser pour donner l’idée que l’on n’est pas dans quelque chose de statique, mais dans un mouvement, comme au cinéma. N’oublions pas que dans la bande dessinée, la plupart des actions ne sont pas montrées, puisqu’elles se passent souvent en réalité dans le blanc entre deux images. Par exemple, au cinéma pour faire un ralenti, on augmente le nombre d’images et inversement, quand on veut accélérer on réduit le nombre d’images. Dans la bande dessinée, c’est un peu le contraire. Moins je montre les actions, plus cela donne une impression de vitesse. Si je dessine Largo démarrant son moteur en case une, et en case deux au volant de sa voiture à 20 km de là, cela va très vite. En revanche, si en case une il démarre son moteur, mais qu’en cas deux, il a fait deux mètres, je crée un ralenti.
Pensez-vous que ce travail autour de l’ellipse et du temps dans la BD a pu être influencé par les changements actuels du cinéma autour de ces mêmes notions que vous venez d’aborder ?
Bien sûr. Le cinéma est beaucoup plus dynamique qu’il y a vingt ou trente ans. Il y a une mutation parallèle entre BD et cinéma, qui évoluent avec l’éducation du public aux images et sa capacité à les comprendre beaucoup plus vite aujourd’hui. Mais c’est assez occidental comme phénomène. Si ici on baigne à en vomir dans les images qui défilent à un rythme effréné, ce n’est pas forcément vrai pour une grande partie du monde qui aurait sans doute plus de mal à comprendre certaines ellipses des bandes dessinées ou des films actuels.
Vous utilisez beaucoup les contre-plongées dans vos dessins, cela vient aussi du cinéma ?
J’aime en effet donner un certain vertige au lecteur. Au cinéma, tout dépend de là où l’on met la caméra. Et effectivement, pour moi, mon cadrage, c’est ma caméra. Comme dans le dessin il n’y a pas de mouvement, il faut être assez efficace dans la manière dont on cadre, pour qu’en une image, on puisse rendre quelque chose qui au cinéma ferait l’objet d’un travelling, d’un plan complexe ou que sais-je… On dit souvent qu’une bande dessinée, c’est presque un story-board de film.
D’ailleurs, en parlant de films, que pensez-vous de l’adaptation de Largo Winch ?
J’ai beaucoup aimé le premier long métrage [réalisé par Jérôme Salle en 2008, NDLR], à part une petite réserve scénaristique sur la mort du père adoptif de Largo. Il y avait de quoi la mettre en parallèle avec la scène d’action finale, visuellement et scénaristiquement, cela aurait été beaucoup plus fort. Bien évidemment, quand il s’agit de cinéma, on oublie le trait de la BD, donc je ne vais pas dire que j’ai retrouvé mon Largo, mon dessin, mais je dirais que j’ai quand même retrouvé un esprit qui était cohérent avec mon travail.
Pensez-vous que les adaptations de BD au cinéma soient une bonne idée ?
Ce n’est pas une question d’idée, c’est malheureusement une question d’argent. Souvent on adapte une BD qui marche bien, ce qui permet de lever suffisamment de fonds. Après, malheureusement, la fidélité à l’œuvre d’origine, n’est plus la préoccupation première.