Tourner Leto en noir et blanc a-t-il été une évidence ?
Kirill Serebrennikov et moi, nous n’étions pas d'accord. Quand il a vu tout le travail sur les décors, toute la production design si belle et colorée, il a eu des regrets et il a voulu tourner le film en couleurs... J'ai insisté, parce que tourner en noir et blanc est un rêve de chef op’… et j’ai eu gain de cause. Il y avait un équilibre délicat à trouver : ne pas faire un film trop propre ni trop amateur, pour reproduire l'ambiance de l'URSS de la période.
Pourquoi est-ce un rêve de chef opérateur ?
Ma théorie personnelle, c'est que parfois la couleur te distrait du principal : les personnages. Tourner en noir et blanc c'est enlever le superflu. Kirill a tout de même inclus des moments en couleur, tournés en 16mm. On a essayé avec des caméras modernes mais le résultat était de trop bonne qualité. Alors on a utilisé la vieille caméra de mon père, une Eclair française des années 60... Et on a eu le résultat qu'on voulait.
C'était la caméra de votre enfance ?
Oui, j'ai grandi avec elle. Mon père était chef opérateur à la télévision soviétique. Il m'emmenait sur ses tournages.
Quelle a été la scène la plus dure à tourner ?
Celle du train, où les personnages se battent en chantant Psycho Killer des Talking Heads en se battant... Kirill avait découpé la scène en un seul plan-séquence, avec des mouvements d'appareil dans tous les sens. Il fallait que je mette en place un éclairage qui puisse fonctionner à 360°. Kirill aime les plans-séquences !
La musique de Leto, c'est celle que vous écoutiez dans votre jeunesse ?
Bien sûr, j'étais fan de Zoopark et de Kino, comme tout le monde. C'est ce qui m'a fait tomber raide dingue du projet. Replonger dans la musique de l'époque... Mais avant de parler de musique, le film parle surtout de la quête de liberté intérieure des personnages.
Il parle aussi beaucoup de musique…
Oui, bien sûr. Mais en-dehors de la Russie vous ne comprenez pas que le rock représente bien plus que du son. Pas d'avenir, pas d'argent pour se payer une bière... Ils rêvaient du Pays des merveilles comme Alice. David Bowie représentait cet ailleurs, cet idéal de liberté. Le problème avec les Occidentaux, c'est qu'ils ne comprennent pas à quel point on était privés de culture. On devait dessiner des posters de nos idoles à la main. On se prêtait des vinyles, on écoutait le même disque toute une semaine. On traduisait les paroles des chansons dans des cahiers. Le film montre tout cela.
Quel est votre plan préféré du film ?
Lorsque l'un des héros saute dans un écran qui projette un film en 16 mm où l'on voit une plage, et qu'il se retrouve sur la plage, et que le film passe en couleurs, mais en couleurs pastel et douces. Il y a beaucoup de symbolisme dans le film.
leto
Le film a bénéficié de l'aide sélective à la distribution et de l'aide aux cinémas du monde.