Avec Henri Verneuil
C'est avec le réalisateur de La Vache et le prisonnier et Un singe en hiver qu'Ennio Morricone aura sa plus fructueuse collaboration en France, avec pas moins de six films. Le premier est le spectaculaire La Bataille de San Sebastian (1968) : un « pré-western » qui se déroule en 1743, tourné au Mexique dans les décors des Sept mercenaires, avec Anthony Quinn et Charles Bronson. Le film utilise une partition épique et héroïque, dans la lignée de celle d'Il était une fois dans l'Ouest sorti la même année. Mais c'est la musique du film policier Le Clan des Siciliens (1969), leur collaboration suivante, qui sera plus mémorable, avec sa guitare électrique et ses percussions. Pour Henri Verneuil, Morricone composera ensuite, dans un style similaire, le polar Le Casse (1971), avant d'aller vers une ambiance plus symphonique dans Le Serpent (1973), et de retourner à l'action pure avec le film d'action Peur sur la ville (1975). C'est pour le thriller politique I… comme Icare (1979) que Morricone se laissera aller à plus de liberté, utilisant par exemple un solo d'orgue lancinant dans le « Prélude à Icare ».
Avec Francis Girod
Le Trio infernal (1974) est le premier film de Francis Girod que compose Ennio Morricone : un thriller à l'humour noir marqué qui se retrouve dans les titres des morceaux de la bande originale (« Requiem à l'acide sulfurique », par exemple) et dans la musique elle-même, jouant sur les pauses et les démarrages et détournant avec ironie le rôle de l'orchestre à cordes. En 1976, Ennio Morricone retrouve le cinéaste pour René la Canne -ou la vie romancée d'un gangster bien réel, dont une évasion a d'ailleurs inspiré le début du Clan des Siciliens. Ennio Morricone y fait appel à sa veine romanesque, romantique et nostalgique, la même qui irriguera la partition de La Banquière, son troisième et dernier film avec Girod, en 1981 : mais le compositeur y joue plus l'épure, se limitant à quelques instruments-clefs (piano, violon) pour illustrer la vie tragique d'une femme juive et lesbienne, travaillant dans la finance, dans la France des années 20.
Avec Edouard Molinaro
Ennio Morricone a illustré musicalement la trilogie de La Cage aux folles avec Michel Serrault et Ugo Tognazzi (qui jouait dans Mission ultra-secrète, le premier film officiellement composé par Ennio Morricone, en 1961). Le premier Cage aux folles signé Edouard Molinaro, adapté d'une pièce de théâtre, a été le plus gros succès français de l'année 1978. Le film, coproduit avec l'Italie et tourné dans les studios de Cinecittà, a donc engendré deux suites en 1980 et 1985, au succès quelque peu décroissant. Mais l'équipe reste la même : Michel Serrault, Ugo Tognazzi, Edouard Molinaro... et Ennio Morricone. Le maestro compose pour l'occasion une musique très lounge, allant des valses langoureuses évoquant Nino Rota à des longs solos de trompettes.
Avec Georges Lautner
Sa musique (pour un film français) la plus connue n’a étonnamment pas été composée pour un film français : le titre « Chi Mai », qui illustre Le Professionnel (1981) de Georges Lautner avec Jean-Paul Belmondo (deuxième plus gros succès français de l'année, derrière La Chèvre de Francis Veber), est en réalité issu de la bande originale de Maddalena de Jerzy Kawalerowicz (1971). Grâce au film de Belmondo, ce morceau sera disque d'or en France (plus de 900 000 exemplaires vendus de la musique) et en Angleterre... « On m'avait fait entendre cette musique d'un film des années 1970 qui n'avait pas eu de succès [Maddalena] », se souvenait Belmondo en 2014. « Je me suis tout de suite dit que c'était ça qu'il nous fallait pour Le Professionnel. Avec Georges Lautner, je rencontre Ennio Morricone qui accepte de nous réorchestrer le même thème avec un ensemble symphonique. Mais quand on a écouté le résultat, on a préféré la version plus simple. » Ennio Morricone avait créé ce titre à partir d'éléments de la musique du western Le Grand silence (1968) de Sergio Corbucci. Conscient de son efficacité, le compositeur l'a donc réutilisé pour Le Professionnel ainsi que pour la série télévisée anglaise The Life and Times of David Lloyd George la même année.
Avec Roman Polanski
Le thriller franco-américain Frantic, où Harrison Ford part à la recherche de sa femme disparue dans Paris, est l'occasion de l'unique rencontre entre Roman Polanski et Ennio Morricone : le compositeur livre une partition élégante, très efficace, utilisant beaucoup la guitare électrique sur fond de violons très angoissés.
Mais également…
Pour Le Marginal (1983), autre film d'action avec Belmondo réalisé par Jacques Deray, Ennio Morricone crée un univers et des rythmes très modernes, en utilisant un orchestre avec basse, batterie, guitare, cuivres... Ses collaborations avec des « poids lourds » du cinéma français ne doivent pas faire oublier des partitions plus modestes qui ne seront que des collaborations uniques mais très belles : le thème très élégant de la romance politique La Califfa (1970), production franco-italienne d’Alberto Bevilacqua avec Romy Schneider, celui très curieux de La Faille (Peter Fleschmann, 1974) avec Michel Piccoli, ou encore la partition élégiaque du film d'horreur médiéval -encore avec Michel Piccoli- Léonor (1975) de Juan Luis Buñuel...
Il y a également des musiques plus « classiques », comme celles de Sans mobile apparent (Philippe Labro, 1971) ou de L'Attentat (Yves Boisset, 1972), où on retrouve le style Morricone. Pour être totalement complet, il faudrait encore citer Le Secret (1974) de Robert Enrico, One, Two, Two : 122, rue de Provence (Christian Gion, 1978) sur l'histoire d'une fameuse maison close de Paris, et enfin Espion, lève-toi (Yves Boisset, 1981) et Le Ruffian (José Giovanni, 1982). Ennio Morricone compose son dernier film français en 2015, un an avant son Oscar pour Les Huit salopards de Quentin Tarantino et neuf ans après le polar franco-américain Un crime (2006) de Manuel Pradal : il s'agit du film En mai, fais ce qui te plaît de Christian Carion, situé pendant la « drôle de guerre » de 1940. « Je ne voulais plus faire de films de guerre, déclarait Ennio Morricone pendant son travail sur le film. Mais celui-ci, j'ai compris que c'était autre chose. C'est un film sur des gens en quête de paix et de tranquillité. » Des émotions que le maestro se chargea de transmettre à l'aide d'un orchestre apaisé et polyphonique.