Myriam Borsoutzky, plus généralement créditée sous le nom de « Myriam », tient une place prépondérante dans le cinéma français des années 1930-1950. Monteuse attitrée de Sacha Guitry, collaborant avec lui sur huit films entre 1936 et 1938, puis travaillant régulièrement avec le producteur Pierre Braunberger après la guerre, Myriam s’avère pourtant être une figure oubliée de l’histoire du cinéma, dont il ne reste pratiquement plus de trace dans la littérature spécialisée.
Mais qui était donc Myriam ? Afin qu’elle recouvre sa place dans l’histoire du cinéma, une véritable enquête a été menée pour lui redonner une existence, à commencer par un état-civil inconnu de tous jusqu’alors. Son nom apparaît pour la première fois dans la liste des membres de la corporation sous la mention « monteur » dans les Annuaires du Cinéma de 1942. Elle est toujours présente dans celui de 1954, ainsi que dans l’Annuaire Biographique du Cinéma et de la télévision en France de 1953-1954 où elle est domiciliée 24 rue Visconti, à Paris. Sa notule mentionne qu’elle a débuté dans le cinéma en 1930 aux studios de la Paramount. Nous constatons sa « disparition » dans l’annuaire suivant…
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Une recherche au nom de « Myriam », dans Calindex, livre ensuite une information de première importance : l’existence d’une notice nécrologique dans le n°70 de la revue Image et Son - La Revue du Cinéma, en mars 1954. Ce court article nous renseigne sur la date de son décès, en février ou mars. Après demande de son acte de décès à la mairie, celui-ci nous apprend que « Myriam Borsoutzky, née en Roumanie le 1er janvier 1907 de Abraham Boursoutzky et Fanny Bara (décédés) [est] morte à Colmar le 9 février 1954 au sanatorium départemental de Colmar. » Mais comment cette femme dont le journaliste vante les mérites, la considérant comme « notre meilleure monteuse, au grand prestige tant en France qu’à l’étranger, et dont le nom était associé aux meilleures œuvres du cinéma français » a-t-elle pu ainsi tomber dans l’oubli ?
Les débuts de sa carrière restent mystérieux, comportant de nombreuses zones d’ombre. La date de son arrivée en France est inconnue. Est-elle venue seule ? Avec ses parents ? Elle ne semble en tout cas pas s’être fait naturaliser, le Journal officiel ne gardant aucune trace de cette démarche… « Myriam » aurait commencé sa carrière aux studios de la Paramount à Saint-Maurice (Val de Marne) en 1930. Or travailler pour les studios à l’époque, ne semblait pas être aisé. Morgane Lefeuvre, dans sa thèse de doctorat, indique, à propos des personnes qui cherchaient à y entrer : (…) Si certains de ces « solliciteurs inconnus » parviennent à force de persévérance à venir à bout de la patience du gardien qui finit par les laisser entrer, ils semblent plutôt rares et le meilleur, pour ne pas dire l’unique moyen, d’entrer au studio est de connaître quelqu’un qui se trouve déjà dans la place (…).
Faits corroborés par le monteur Roger Spiri-Mercanton, qui débuta lui aussi comme assisant-monteur à la Paramount en 1930, et qui raconte que seules les personnes ayant des recommandations pouvaient œuvrer dans ces lieux. Introduit par son père, le réalisateur Louis Mercanton, il se souvient que le chef monteur de l’époque était Roger Capellani et qu’il travaillait avec une équipe constituée de six hommes, entourés de femmes qui tenaient des rôles d’assistantes. Est-il possible que Myriam ait été l’une d’entre d’elles ?
A la suite de la fermeture des studios de la Paramount en janvier 1933, les lieux sont loués à différentes productions, dont la société Cinéas montée par Serge Sandberg, ami de longue date de Sacha Guitry, pour produire les films de ce dernier. Myriam est probablement restée à Saint-Maurice et elle a pu y rencontrer les deux hommes à ce moment-là… Toujours est-il qu’elle entame officiellement sa carrière de monteuse en 1936 avec Le Roman d’un tricheur, son nom apparaissant pour la première fois sur un son générique. Mais peut-être a-t-elle déjà participé au premier film du tandem : Le Nouveau testament, sorti en février 1936, et pour lequel il n’y a pas de crédit de montage.
Autre question : pourquoi cet usage exclusif d’un prénom pour se faire créditer ? Là encore, il ne s’agit que d’une supposition, mais peut-être est-ce une précaution de sa part liée au contexte politique de l’époque. En effet, au tout début des années 1930, lorsque la Paramount décide d’installer des studios en région parisienne afin de tourner des films doublés en français, la profession applaudit des deux mains et la présence de travailleurs étrangers ne paraît gêner personne. Mais l’accession d’Hitler au pouvoir va changer la donne : fuyant le régime nazi, de nombreux techniciens allemands arrivent en France. Dès lors, par réflexe nationaliste et xénophobe, la presse dans son ensemble n’a de cesse de fustiger la présence de ces travailleurs, dénonçant « l’invasion étrangère ».
L’Affaire Stavisky est également toujours présente dans les esprits. Myriam Borzousky, roumaine d’origine juive, n’a-t-elle pas préféré « éliminer » son nom afin de pouvoir continuer à travailler sans risquer de discrédit dû à ses origines ? Quoiqu’il en soit, après Le Roman d’un tricheur, elle assure le montage des autres films du duo Sacha Guitry/Serge Sandberg : Mon père avait raison, Faisons un rêve, Le Mot de Cambronne, Les Perles de la couronne, Désiré, Quadrille, Remontons les Champs-Elysées.
Selon Jacqueline Delubac, le réalisateur et sa technicienne avaient une grande complicité professionnelle, se comprenant parfaitement. En 1939, elle enchaine le montage de De Mayerling à Sarajevo de Max Ophüls et de La Nuit de décembre de Curtis Bernhardt (sortis respectivement en mai 1940 et février 1941). Mais la guerre arrive… Myriam est certainement obligée de se cacher en raison de ses origines, mais elle ne semble pas quitter la capitale, si l’on en croit les souvenirs d’Alain Resnais, qui fait sa connaissance à Paris en 1943.
« J’ai eu la chance de connaître Myriam par des amis de Saint-Germain. (…) Nous sommes devenus amis. J’allais rentrer comme stagiaire à la librairie Galignani’s pour devenir libraire, puisque sans bachot, beaucoup de portes m’étaient fermées. Elle m’a dit : « mais tu es complètement idiot, tu t’intéresses au cinéma et l’Idhec va s’ouvrir, alors présente toi. (…) je me suis dit, après tout, pourquoi pas ? Je me suis présenté et j’ai été reçu. (…) Donc j’avais décidé d’être monteur. Je ne pensais pas du tout à la mise en scène. (…) L’influence de Myriam a été déterminante. Si elle ne m’avait pas envoyé à l’Idhec, je serais libraire. (…) C’était quelqu’un de passionnant. Dans le métier, elle faisait partie de la bande à Prévert. On peut la définir ainsi… » (Extrait tiré du livre « Alain Resnais, liaisons secrètes, accords vagabonds » paru en 2006).
Myriam débute sa collaboration avec Pierre Braunberger avec le court-métrage qu’il produit en 1945, Gitans d’Espagne. L’année suivante, on la retrouve créditée au générique, en tant que cheffe monteuse, de Départs pour l’Allemagne de Roger Leenhardt, film de montage de documents d’archives. Il n’est pas impossible qu’elle ait également participé au film suivant du réalisateur, également à base d’images d’archives : Naissance du cinéma, bien qu’il n’y ait pas de crédit de montage au générique.
A la même époque, Pierre Braunberger lui demande d’assurer le montage de Paris 1900 réalisé par Nicole Vedrès, assistée de « Yannick » (Marie Annick) Bellon et Alain Resnais. Ce film marque un tournant dans l’utilisation des images d’archives et représente une pratique novatrice en les associant par le montage comme par le commentaire. La critique admire l’importance du rôle dudit montage dans le film, André Bazin notant que « Védrès n’est pas la seule responsable de cette exceptionnelle réussite mais que [le film] doit beaucoup à la monteuse Myriam ».
Elle participe également à deux films d’animation d’Albert Dubout en 1947 : Anatole à la tour de Nesle et Anatole fait du camping, pour lesquels elle n’est pas créditée au générique mais il semblerait, d’après les souvenirs de Yannick Bellon, que ce fut un refus de sa part, n’ayant contribué à ces productions que pour des raisons alimentaires.
Monteuse estimée et reconnue, elle enchaine les films, et Bellon devenue réalisatrice lui demande d’effectuer le montage de deux de ses courts-métrages documentaires : Goémons en1946 et Colette en 1950.
En 1949, elle travaille sur plusieurs bandes produites par le fondateur de la Société du cinéma du Panthéon : Le Tampon du Capiston de Maurice Labro, L’Illusion, un court métrage de Jean Rougeul et Le Trésor des Pieds-Nickelés de Marcel Aboulker, au générique duquel elle est également créditée en tant que « collaboratrice de production ». Elle est aussi la cheffe monteuse de l'une des trois parties d'Avec André Gide, documentaire de Marc Allégret. Cependant, pour des raisons mystérieuses, elle n’est pas mentionnée au générique - seule son assistante Renée Lichtig est créditée.
C’est une période d’ activité intense pour Myriam puisqu’elle est employée au montage d’une quinzaine de films entre 1946 et 1950. L’année suivante, en 1951, Pierre Braunberger, passionné de tauromachie, a l'idée d'un film sur ce sujet, La Course de taureaux, qui reprend les mêmes procédés que Paris 1900, à savoir une utilisation importante d’images d’archives, et il fait donc naturellement appel à Myriam pour en assurer le montage. Vu l'importance de sa contribution, elle est finalement créditée en tant que coréalisatrice du film.
Dans cette seconde partie de sa carrière, Myriam s’avère être devenue une spécialiste du montage de films anciens ou d’actualités, avec des choix de plans qui se succèdent de façon extrêmement rapide et dynamique. André Bazin, dans sa critique intitulée « Mort tous les après-midi », ne manque pas de souligner « le talent de Myriam qui a su monter ses documents avec une diabolique habileté » et n’hésite pas à dire : « Depuis Le Roman d’un tricheur et surtout Paris 1900, nous tenions assurément Myriam pour une monteuse de grand talent, La Course de taureaux nous le confirme une fois de plus. A ce degré, l’art du monteur dépasse singulièrement sa fonction ordinaire, il est un élément majeur de la création du film. »
La dernière trace de sa collaboration avec Braunberger concerne un projet de film sur Marc Chagall en 1952, au moment où La Course de taureaux sort en salles. Cette œuvre, dont le scénario est signé Robert Hessens, devait être montée par Myriam. Cependant, il semble qu’il y ait eu un différend avec Chagall autour du scénario, ce dernier refusant de faire le film : en effet, « Le comité des amis de Marc Chagall », dépositaire des archives du peintre et de celles de sa femme Ida, ont indiqué détenir une lettre (non transmise) de cette dernière au producteur signifiant le refus de Chagall de donner suite à l’entreprise.
On l’aura compris : beaucoup de points restent encore à éclaircir sur la vie de cette femme, qui excellait tant dans son art qu’elle fut désignée par la suite comme étant à l’origine d’une « école de montage à la française ». Mais nos recherches sont toujours en cours et nous ne désespérons pas d’en apprendre davantage un jour prochain…