C’est l’histoire d’un coup de cœur : celui que Safy Nebbou, réalisateur et scénariste, a ressenti à la lecture de Celle que vous croyez, le roman de Camille Laurens édité aux éditions Gallimard en 2016, « dévoré en quelques heures à peine ». S’ensuit un appel enthousiaste à Frédérique Massart, la directrice des droits audiovisuels et spectacles vivants chez Gallimard. Puis un « casting » de réalisateurs potentiels organisé par la maison d’édition au cours duquel le cinéaste a dû déployer toute sa force de conviction pour « décrocher » l’adaptation espérée. Jusqu’à la rencontre décisive avec l’auteur afin d’expliquer en détails l’envie de porter son roman sur grand écran, marquée par l’évidence d’une sensibilité commune entre les deux artistes. L’aventure cinématographique débute alors.
« Je dois dire ma surprise d’apprendre que Celle que vous croyez allait être adapté au cinéma. J’étais d’autant plus dubitative que son écriture faite d’emboîtements, à la manière de poupées russes, ses différents niveaux narratifs me semblaient impossibles à transposer à l’écran ! » explique Camille Laurens. « Au contraire, intervient Safy Nebbou, l’écriture minutieuse de Camille, son travail de construction, sa mécanique aussi précise qu’une horloge m’ont facilité l’écriture du scénario. »
Projeter une écriture sur une autre écriture
De la première version du scénario aux premières images tournées, un an et demi s’est écoulé. Si le projet d’adaptation est une évidence pour le cinéaste, les images du film, contrairement aux idées reçues, apparaissent rarement à celui-ci dès la lecture du roman : « Avant les images, c’est l’histoire, l’écriture, un scénario que l’on projette. Dans le roman de Camille se dégage une construction cinématographique, très hitchcockienne et ludique, un potentiel scénaristique manifeste. Le travail de scénariste consiste finalement à projeter une écriture sur une autre écriture. C’est de cette structure narrative que vont naître les images ».
« C’est étrange, s’amuse Camille Laurens, car lorsque j’écris un livre, je visualise très vite l’histoire, les personnages...».
La romancière et le cinéaste-scénariste ont rapidement trouvé leur équilibre. S’il arrive que sur certains projets d’adaptation, l’auteur soit proposé comme coscénariste, Camille Laurens a pour sa part préféré laisser vivre ses personnages à travers le regard de Safy Nebbou et de Julie Peyr, coscénariste de Celle que vous croyez. « Je connaissais le travail de Julie sur les films d’Arnaud Desplechin (Trois souvenirs de ma jeunesse, Les Fantômes d’Ismaël) et j’avais très envie de travailler avec elle. Nous avons eu la même compréhension de l’histoire, le même ressenti. De plus, il me semblait intéressant d’apporter un point de vue féminin à l’écriture du film » précise le réalisateur.
Une adaptation libre mais fidèle au roman
La liberté qu’un scénariste prend par rapport au roman initial est nécessaire, dès lors qu’il reste fidèle à l’histoire. Bien souvent, des modifications surviennent à l’écriture du scénario pour insuffler du rythme au film, ménager un certain suspense ou apporter un tout autre éclairage à l’histoire. C’est ainsi que Safy Nebbou a fait le choix de changer l’un des personnages du roman, avec la complicité de Camille Laurens : « Le fait que le personnage du psychologue soit un homme dans le roman venait, dans le film, brouiller l’histoire d’amour principal. L’héroïne – jouée par Juliette Binoche - semblait alors prise entre deux histoires, celle avec son psy et celle avec ce jeune homme qu’elle séduit via les réseaux sociaux. Cela racontait autre chose de l’héroïne, qui devenait soudain une femme à hommes, alors que ce n’est pas ce que le roman raconte. L’idée de faire du psy une femme plus âgée – interprétée par Nicole Garcia -, qui agirait envers l’héroïne comme un miroir réfléchissant, me semblait apporter une strate supplémentaire à l’histoire. » révèle le cinéaste.
Finalement, qu’est-ce qui motive l’envie d’adaptation d’un livre pour un cinéaste ? A l’évidence, l’intérêt pour l’histoire, le potentiel cinématographique du récit, la richesse des personnages... Safy Nebbou évoque également une forme d’empathie pour le sujet, peu importe qu’il s’agisse d’un roman, d’une autobiographie ou encore d’une pièce de théâtre : « La richesse que j’ai, en tant que réalisateur, c’est de pouvoir parcourir plusieurs types d’univers. Ce qui m’intéresse à travers ces différentes sortes de récit tourne toujours autour du même sujet : la quête identitaire. Dans Celle que vous croyez, j’ai été séduit par la façon dont la romancière raconte le dysfonctionnement de notre société à travers l’utilisation des réseaux sociaux. Voilà ce que je recherche en termes de cinématographie : traiter d’un sujet grand public en étant ambitieux et exigeant. » Pour Camille Laurens, le fait de voir son roman porter à l’écran répond à une recherche d’interaction entre les arts : « L’idée de faire se rencontrer la littérature et le cinéma, ou encore faire dialoguer la littérature avec la photographie ou la danse, des projets que j’ai concrétisés dans le passé, me plaît beaucoup. Et il est vrai que voir son histoire incarnée sur grand écran est particulièrement émouvant. Mais je ne sacralise pas mon travail. Je ne suis pas prête à tout concéder non plus ! Ce qui m’importe, c’est d’être en confiance avec le scénariste et le réalisateur, de savoir qu’ils seront fidèles à l’histoire. »
Celle que vous croyez sort en salles le 27 février 2019. Réalisé par Safy Nebbou sur un scénario de SafY Nebbou et Julie Peyr, le film réunit Juliette Binoche, François Civil et Nicole Garcia.
Produit et distribué par Diaphana, il a bénéficié de l’aide à la création de musiques originales du CNC.
Celle que vous croyez
En un vertigineux jeu de miroirs entre réel et virtuel, Camille Laurens raconte les dangereuses liaisons d’une femme qui ne veut pas renoncer au désir.