Sébastien Godefroy, des images et des voyages

Sébastien Godefroy, des images et des voyages

26 février 2021
Cinéma
Inupiluk de Sébastien Betbeder

Chef opérateur amoureux de cinéma et de photographie, Sébastien Godefroy revient ici sur un itinéraire où les mouvements du réel comme de la fiction obligent à constamment adapter son regard. 


Un jour qui ne finirait pas. Un soleil éternellement là, en suspension, à peine masqué par un iceberg qui viendrait retenir la puissance de ses rayons. On imagine sans mal que cette lumière « éternelle » et naturelle doit ravir un chef opérateur dont le métier est justement de savoir composer avec elle. Sébastien Godefroy, 48 ans, a fait partie de l’aventure du long métrage Le voyage au Groenland, une comédie douce-amère de Sébastien Betbeder avec Thomas Blanchard et Thomas Simeca. Il raconte les mésaventures de deux comédiens parisiens propulsés au fin fond d’un des villages les plus reculés du Groenland.

« Nous avons passé plus d’un mois sur place, se souvient le chef opérateur. Au départ nous pouvions compter sur une journée de huit heures avec du soleil mais les jours se sont mis à rallonger de manière impressionnante. »

C’était assez magique mais nous devions sans cesse nous adapter et tricher pour traduire des variations de luminosité en fonction de ce qui était écrit dans le scénario. Je n’aurais jamais pensé en débutant ce métier devoir imaginer une fausse nuit polaire, ce moment où le soleil ne se couche pas et diffuse une lumière extrêmement douce.

Un travail rendu d’autant plus périlleux que tout le matériel pour la lumière n’est jamais arrivé à destination. En effet, pour rejoindre depuis Paris le village de Kullorsuaq où se situaient les prises de vue, l’équipe a dû emprunter quatre avions et un hélicoptère. C’est avec ce dernier moyen de transport que les choses se sont compliquées. La lourdeur du matériel a rendu impossible son acheminent. Sébastien Godefroy a dû faire sans lui. Ou à peu près « Heureusement nous avions gardé en bagages à main, les deux caméras nécessaires au tournage. Sébastien Betbeder voulait en effet que je filme notre voyage. La seule batterie que nous avions à disposition pour les deux appareils ne nous a pas lâchés. Un petit miracle. »

Ces imprévus qui s’apparentent à des contraintes, Sébastien Godefroy a appris à les accueillir avec sagesse, voire même comme des promesses. Le chef opérateur qui est aussi un photographe aguerri, aime justement dans le cinéma cette idée de mouvement permanent : « Ça chatouille et secoue mon approche de la photographie où les choses sont à priori plus figées. Avec l’expérience, on peut se retrouver prisonnier d’un savoir-faire. L’image en mouvement du cinéma oblige à constamment être sur le qui-vive. »

Au pays des Lumière

Sébastien Godefroy est « tombé dans l’image » presque par hasard et très tôt. A l’âge de treize ans avec son ami Frédéric Dubreuil, futur producteur de ce Voyage au Groenland et du court métrage dont il est la continuité, Inupiluk, ils s’amusent avec des caméras Super 8. Ils fondent même une petite société de production, Les films à Toutes Berzingue, grâce à laquelle les deux complices multiplient les expériences. « Je suis passé par tous les postes dont celui de chef opérateur. Le déclic est peut-être venu de là », poursuit Sébastien Godefroy. Il se souvient aussi de l’anniversaire de ses 18 ans où sa maman, sur les conseils de Frédéric Dubreuil, lui offre un appareil photo.

Dans la foulée du baccalauréat, il tente le concours de l’école nationale supérieure Louis Lumière, mais échoue de peu. Ce n’est que partie remise, et après un DEUG d’Arts plastiques section photographie à Paris 8, il retente sa chance. Avec succès cette fois. « J’étais plus mature et j’ai enfin intégré cette prestigieuse école dans la section photo. Mais dans la fougue de ma jeunesse, j’ai arrêté au bout d’un an. Je voulais me confronter au terrain tout de suite. Je le regrette un peu aujourd’hui. Je me suis donc retrouvé à travailler pour gagner ma vie à 20 ans. Je faisais des reportages personnels et je répondais à des commandes pour des entreprises qui avaient besoin de visuels. Je continue d’ailleurs à le faire. »

Recherche d’authenticité

Au cinéma, Sébastien Godefroy travaille d’abord avec la réalisatrice suisse installée en Belgique Delphine Lehericey. Son long métrage Puppylove en 2013 avec Solène Rigot et Vincent Perez est sa première expérience professionnelle.Toujours avec la même cinéaste, il y aura aussi le documentaire Une cheffe et son étoile en 2016. C’est entre ces deux films que se glisse le court métrage Inupiluk dont l’aventure mérite aussi d’être racontée. « Le frère de mon ami producteur Frédéric Dubreuil est Nicolas Dubreuil, un guide spécialiste des milieux polaires. Un jour il nous apprend que deux amis chasseurs groenlandais s’apprêtent à débarquer à Paris. Il pensait que ça pouvait être intéressant de filmer cette arrivée et leur découverte d’une ville aussi agitée que Paris. Sébastien Betbeder était intéressé pour le réaliser mais ne voulait pas se contenter de la dimension documentaire. Il a donc écrit un scénario. Nous avons tourné le film avec de très petites caméras afin de ne pas se faire remarquer par les passants et ainsi garder une certaine authenticité. »

L’autre rencontre décisive dans la vie professionnelle de Sébastien Godefroy est celle du documentariste Jean-Pierre Thorn pour lequel il a éclairé le documentaire L’âcre parfum des immortelles (2019). Ce film centré sur les souvenirs de son auteur de la révolte de mai 68, n’a rien de nostalgique et permet un voyage au présent sur les traces d’un homme engagé. « J’aime la liberté de Jean-Pierre [Thorn] dans le travail, sa souplesse. De façon générale, le documentaire est une forme qui me convient bien. »

Des histoires à raconter

Comme tous les chef opérateurs actuels, Sébastien Godefroy, qui a connu les tournages en pellicule, tourne en numérique. Il n’est pas nostalgique de l’ancien format. « Le celluloïd est plus beau et charnel peut-être mais le numérique offre une approche très pédagogique des choses. Le fait de voir immédiatement ce que l’on tourne permet un apprentissage plus rapide. »  Le chef opérateur voudrait désormais mêler son travail photographique avec le cinéma et pourquoi pas, réaliser un long métrage lui-même. « Il y a plein d’histoires à raconter, conclut-il. J’ai fait un tour de France et photographié des mal-logés. Ce travail me tient à cœur, j’aimerais qu’il prenne vie autrement. » Toujours ce besoin de mouvement permanent.