Six films qui racontent la société portugaise

Six films qui racontent la société portugaise

06 juillet 2022
Cinéma
Alma Viva - crédit Tandem Films
« Alma Viva » de Cristèle Alves Meira Tandem Films

À l’occasion de la rétrospective accordée aux films portugais par le festival de La Rochelle et de la saison culturelle France-Portugal organisée sur notre territoire par l’Institut Français, retour sur une sélection d’œuvres emblématiques du cinéma lusitanien.


Douro, travail fluvial de Manoel de Oliveira (1931)

Il y a près d’un siècle, un jeune réalisateur en herbe utilisait sa première caméra, offerte par son père, pour tourner un petit film sur sa ville, Porto, et plus précisément sur son fleuve, le Douro, et la vie des marins qui y travaillaient alors. Pendant deux ans (de 1927 à 1929), Manoel de Oliveira, tout juste âgé d’une vingtaine d’années, tourne ce documentaire naturaliste muet, en noir et blanc, qu’il intitulera Douro, faina fluvial. Un court métrage de 18 minutes qui décrit les quais du fleuve et le labeur quotidien des dockers portuenses, des déchargements à la vente du poisson... Le cinéaste s’inspire de la structure du film Berlin, symphonie d’une grande ville de Walter Ruttmann (1927), qui avait filmé la vie trépidante de la capitale allemande, de l’aube à minuit. Il y rend un hommage poétique aux gens humbles, aux travailleurs, tout en signant une critique du pouvoir. Manoel de Oliveira dira de son premier film qu’il est à voir comme « une œuvre dirigée contre la discipline militaire, une critique de la police et de la violence dans le Porto de l’époque ». Soixante ans plus tard, il revient filmer le Douro – et son pont Maria Pia construit par Gustave Eiffel – pour le film En une poignée de mains amies coréalisé avec Jean Rouch, restauré et numérisé par le CNC. « Ce qui est important n’est pas de faire un film, mais que celui-ci donne naissance à d’autres films », dira le documentariste français dont le cinéma-vérité a fortement influencé la Nouvelle Vague.

Les Vertes Années de Paulo Rocha (1963)

Après avoir étudié le cinéma en France et avoir été assistant-stagiaire de Jean Renoir, Paulo Rocha rentre au pays, très inspiré par la Nouvelle Vague et le néoréalisme. Dans la foulée de sa collaboration avec Manoel de Oliveira sur Le Mystère du printemps (1963), il se lance dans son premier long métrage, Les Vertes Années, qui nous fait découvrir l’Estado Novo, la dictature nationaliste à laquelle a été soumis le pays sous la coupe de Salazar. Dans ce Lisbonne oppressé, on suit les amours tragiques d’un cordonnier provincial et d’une employée de maison éprise de modernité. Un film pionnier, établissant les fondations du Novo Cinema, la nouvelle vague portugaise, dont Paulo Rocha fut l’un des précurseurs. Un cinéma d’avant-garde, censuré à l’époque dans son pays par le pouvoir en place.

Trás-os-Monte d’António Reis et Margarida Cordeiro (1976)

Il est devenu l’un des symboles de la libération du Portugal. Deux ans après la révolution des Œillets (avril 1974), qui renversa le régime de Salazar et la dictature en cours dans le pays depuis plus de quarante ans, l’artiste António Reis et sa femme Margarida Cordeiro, psychiatre de profession, se lancent dans la réalisation et dans une forme de cinéma non conventionnel, parsemé de poésie, pour mieux raconter les régions rurales du Portugal. Ils filment ainsi le Haut Trás-os-Monte, région perdue dans les montagnes, hors du temps et de l’espace, tombée dans l’oubli. Délaissant l’aspect naturaliste, Trás-os-Monte adopte une narration plus ésotérique, prenant la forme d’une « ethnofiction » (un docu-fiction ethnographique), pour mieux rendre hommage à cette population déshéritée mais ancrée dans ses traditions ancestrales, aussi solides que le granite de ses montagnes.

Le Sang de Pedro Costa (1989)

L’ancien élève de João Botelho met en scène un premier film coup de poing, qui raconte la vie des oubliés de la capitale portugaise. Dans la banlieue de Lisbonne, durant les fêtes de fin d’année, on suit deux frères livrés à eux-mêmes et obligés de grandir trop vite. Une exploration quasi documentaire et très esthétique du quotidien des marginaux des quartiers populaires lisboètes, disséquée par une photographie époustouflante, en noir et blanc, tout en contraste. Une œuvre à la fois primitive et lyrique, sélectionnée à la Mostra de Venise, où Pedro Costa reviendra en 1997 pour décrocher le prix de la meilleure photographie avec Ossos.

Tabou de Miguel Gomes (2012)

Inspirée par le chef-d’œuvre éponyme de Friedrich Wilhelm Murnau, cette adaptation franco-portugaise se regarde avant tout comme une grande romance impossible, qui nous ramène dans le contexte de l’achèvement de la décolonisation portugaise en Afrique, dans le courant des années 1960. Un voyage dans le passé que le réalisateur a voulu luxuriant et qui souffle sur les braises encore brûlantes de cette époque colonialiste. Avec une approche plus bucolique que nostalgique, le cinéaste déclame ici un grand poème mélancolique sur un paradis perdu.

Alma Viva de Cristèle Alves Meira (2022)

À travers l’histoire d’une famille endeuillée, la jeune réalisatrice franco-portugaise nous fait découvrir le village de son enfance, celui de ses origines, perdu dans les paysages montagneux du nord du Portugal. C’est là que son héroïne, la petite Salomé, passe chaque année ses vacances d’été,dans une communauté très attachée à ses croyances, bien loin des plages de carte postale de la côte lusitanienne. Une autre facette du pays, contée sous la forme d’une ode tendre et cocasse au folklore portugais. Ce premier film prend la forme d’un retour aux sources, présenté à la Semaine de la Critique, à la 75 e édition du Festival de Cannes, en mai dernier. Il sortira prochainement dans les salles.

Soutien du CNC : Aide aux cinémas du monde (avant réalisation), Aide franco-portugaise