Sophie Fillières est décédée ce lundi 31 juillet, à l’âge de 58 ans. Après quelques courts et six longs métrages, Sophie Fillières venait tout juste de terminer le tournage de son septième film, Ma vie ma gueule, avec Agnès Jaoui et Philippe Katerine dans les rôles principaux. Le film, produit par Julie Salvador (Christmas in July), sera distribué par Jour2fête. Elle préparait également un nouveau projet avec Fabrice Luchini, produit par Charles Gillibert (CG Cinéma), rapporte Le Parisien. On pourra la retrouver, devant la caméra cette fois-ci, le temps d’une scène dans Anatomie d’une chute de Justine Triet, la Palme d’Or du dernier festival de Cannes.
Comme Noémie Lvovsky, Solveig Anspach ou Emilie Deleuze, Sophie Fillières a fait ses premiers pas de réalisatrice dans la première promotion de la Fémis (1986-1990). Elle y signe ses premiers courts métrages (L'Insu, Antoine facteur, La Fille du directeur et la correspondante anglaise...) avant d’être remarquée en 1991 avec Des filles et des chiens, récompensé du Prix Jean-Vigo. Cette comédie fantaisiste pose les bases de ce qui fera son cinéma : un goût prononcé pour les portraits de femmes (à commencer par ceux de sa sœur cadette Hélène Fillières et de Sandrine Kiberlain), un charme décalé et un humour souvent incongru, proche de l’absurde. Ce registre comique va ainsi devenir son genre de prédilection.
Son premier long, Grande petite (1994), porté par Judith Godrèche et Hélène Fillières, joue sur le langage et les savoureux malentendus que peuvent créer les lapsus. Dans Aïe (2000), elle offre à sa sœur un beau personnage de fille fantasque qui donne du fil à retordre à André Dussollier, quinquagénaire célibataire. En 2005, elle dirige Emmanuelle Devos dans la peau de Fontaine Leglou, l'héroïne borderline de Gentille. Cette comédie sentimentale à tendance psychanalytique confirme son sens inouï des situations farfelues et du dialogue. La maîtrise des (jeux de) mots émaille tous ses films mais irradie Un chat, un chat avec Chiara Mastroianni. L’actrice y incarne une écrivaine atteinte du syndrome de la page blanche dont les tourments existentiels ressemblent t à s’y méprendre à ceux qui frappent alors la cinéaste. Suivront Arrête ou je continue, une histoire de couple désuni avec Mathieu Amalric et Emmanuelle Devos puis, en 2018, La Belle et la belle, avec sa fille Agathe Bonitzer, et Sandrine Kiberlain, singulier récit d’apprentissage où la comédie se fait subtilement mélancolique. Dans cette œuvre forte et pétulante, l’humour côtoie la langueur et le vague à l’âme.
Assoiffée de vie, inquiète de ce qu’elle n’y trouvait pas, toujours à gratter là où ça faisait mal, Sophie Fillières pratiquait au fond un cinéma singulier, antinaturaliste et salvateur à l’écriture ciselée. On ne s’étonnera donc pas que, en parallèle, tout au long de ces années, elle ait régulièrement mis son talent de scénariste au service des autres, dans tous les registres. De Xavier Beauvois (Nord) à Noémie Lvovsky (Oublie-moi), de Philippe Grandrieux (Sombre) à Arnaud et Jean-Marie Larrieu (Un homme un vrai), de Julie Bertuccelli (La Dernière folie de Claire Darling) à Nicolas Maury (Garçon Chiffon ), nombreux furent les cinéastes à utiliser sa science des mots et sa folie du langage.
Engagée en faveur de la création d’œuvres cinématographiques de qualité, Sophie Fillières avait à coeur de défendre le septième art. Elle a ainsi siegé à plusieurs commissions du CNC, d’abord comme membre du 1er collège de la commission d’Aides sélectives à la distribution en 2008 puis comme vice-présidente d’octobre 2017 à septembre 2020. Elle a également été membre, puis membre suppléante en 2015 et 2016 de l’Avance sur recettes.