Vos premiers longs métrages – Le Bleu des villes, Je ne suis pas là pour être aimé, Entre adultes et Mademoiselle Chambon – parlaient tous d’amour. Qu’est-ce qui vous a donné envie de renouer avec la romance, après avoir consacré trois films au monde de l’entreprise (La Loi du marché, En guerre et Un autre monde) ?
Stéphane Brizé : Depuis toujours, je fais des films pour mieux comprendre le monde, pour mieux me comprendre et pour mieux me comprendre, moi, dans le monde. Sans esprit thérapeutique, car le cinéma n’est pas une thérapie. Mais chacun de mes films raconte mon état intérieur au moment où je me suis lancé dans leur écriture. Il y a donc eu une période de ma vie où j’avais la nécessité de mieux me comprendre, à l’intérieur de ces deux systèmes que sont la famille et le couple. Puis, quand quelque chose à l’intérieur de moi s’est solidifié, j’ai pu mettre mes personnages plus directement en lien avec le monde extérieur car les questions qui me traversaient à ce moment-là étaient la conséquence d’une brutalité du monde. Ça a donné naissance au triptyque que vous évoquiez, mais sans que rien ne soit pour autant prémédité car chacun de ces films a déclenché le suivant. Si j’avais su tout cela en amont, je serais plutôt parti sur une série.
Au moment de la sortie d’Un autre monde, vous évoquiez pourtant un quatrième volet. Pourquoi l’avoir finalement laissé de côté ?
J’avais en effet commencé à écrire un scénario qui se passait encore dans le monde de l’entreprise. J’avais d’ailleurs un traitement d’une cinquantaine de pages. Et ce même si, intuitivement, j’avais perçu qu’une boucle s’était bouclée avec Un autre monde. Qu’il allait falloir rebattre les cartes. Ce sentiment s’est retrouvé amplifié par l’expérience du confinement qui a suivi. Une expérience vertigineuse car on nous a demandé d’arrêter le mouvement alors que nous sommes des êtres de mouvement et que ce mouvement nous permet de contourner des obstacles intimes. Alors que la mort rôdait et qu’on avait l’impression d’être au bord du précipice, ont remonté en moi des interrogations au fond ultra-archaïques : suis-je à la bonne place ? Comment vais-je moi-même rebattre les cartes ? Ne pas me répéter ? J’ai vite compris que le Covid allait changer la donne dans l’entreprise, que de nouvelles problématiques allaient naître. Je devais donc laisser momentanément de côté ce que j’avais écrit pour avoir le temps d’observer ces évolutions et les digérer. Tout cela est venu percuter la nécessité que je ressentais de revenir à des questions ultra-essentielles. Or, pour moi, rien n’est plus essentiel que l’amour. L’amour qu’on a reçu ou non enfant et sur lequel on construit sa vie ; nos histoires d’amour successives, dont chacune questionne la précédente.
Comment est né Hors-saison ?
J’ai immédiatement eu trois images en tête. Un homme et une femme qui se sont aimés, séparés et se retrouvent par hasard au bout de quinze ans. Une station balnéaire hors saison. Et un piano qui joue tout seul. Trois images qui convoquent des fantômes et épousent naturellement le mélancolique que je suis. Trois images à partir desquelles je vais développer l’histoire de deux personnages qui ont besoin de questionner les fondamentaux de leur vie à ce moment de leur existence et dans leurs couples respectifs. Or le sujet du couple, de ce qui se joue à l’intérieur de celui-ci, me fascine. Et ce, même si certains en ont parlé si brillamment que cela peut freiner de s’y engager : le Bergman de Scènes de la vie conjugale ou ces scientifiques de l’âme humaine que sont Claude Lelouch ou Claude Sautet.
Vous avez commencé à écrire seul un premier jet ?
Je ne commence jamais seul. Je vais toujours voir celle ou celui à qui je pense pour coécrire et lui raconte l’histoire que j’ai en tête pour voir si elle ou lui serait partant.
En l’occurrence ici Marie Drucker que vous aviez dirigée dans Un autre monde. Pourquoi avoir fait appel à elle ?
Tout est parti de ma première rencontre avec Marie [Drucker], il y a neuf ans, peu après qu’elle avait arrêté la présentation du 20 Heures pour devenir productrice et réalisatrice de documentaires. À ce moment-là, elle souhaitait s’essayer à la production de fictions et elle m’avait approché pour porter à l’écran un livre dont elle avait acheté les droits. Je suis allé à ce rendez-vous pour lui expliquer pourquoi je ne le ferai pas. Et là, nous sommes restés des heures à discuter, à échanger sur des choses intimes comme si on se connaissait depuis des années. En partant, je lui ai assuré que si un jour j’écrivais quelque chose sur le couple, je ferais appel à elle.
Comment se déroule l’écriture à deux ?
Tout commence par des séquences quotidiennes de quatre heures non-stop, très psychanalytiques, où l’on étudie en profondeur nos deux personnages. Que faisaient-ils à l’époque où ils étaient ensemble ? Pourquoi ont-ils rompu ? Avec qui ont-ils refait leurs vies ? Pourquoi, quinze ans après, sont-ils capables de se retrouver ? De ces réflexions vont naître les premières scènes alors qu’en parallèle, comme à chaque fois, je demande à un compositeur de travailler sur la musique car l’écoute des différents morceaux va nous inspirer de nouvelles scènes.
Le choix de Vincent Delerm fut-il une évidence pour cette BO ?
Oui, je suis allé spontanément vers lui car il y a toujours dans ses chansons l’humeur que je souhaitais pour Hors-saison : une élégance et une espièglerie derrière la mélancolie.
L’idée de Guillaume Canet en tant que premier rôle masculin est-elle aussi arrivée pendant le processus d’écriture ?
Oui même si – et c’était aussi le cas à chaque fois avec Vincent Lindon –, je n’écris jamais un personnage pour un acteur, sinon celui-ci va automatiquement perdre de son amplitude. Il y a chez Guillaume [Canet], outre son talent, une mélancolie naturelle et une autodérision qui épousaient naturellement celles que je voulais déployer dans mon film. Mes premiers échanges avec lui n’ont fait que le confirmer. Comme Vincent [Lindon], je l’ai rencontré au cap de la cinquantaine, et ce sont deux acteurs, deux personnes à qui le temps qui passe va bien, je trouve.
Comment avez-vous choisi sa partenaire féminine ? Le personnage d’Alice (Alba Rohrwacher) était-il écrit pour une actrice étrangère ?
Pas du tout. Et ce rôle n’était vraiment pas évident à caster. Face à Guillaume qui incarne un acteur connu et pour jouer avec le réel, Alice ne pouvait pas être interprétée par une comédienne avec la même notoriété que lui. Cela aurait cassé quelque chose. Mais pour autant, il me fallait une immense actrice. Car ce rôle nécessite ce qu’il y a de plus complexe pour un acteur : jouer en creux ce qu’il y a entre les lignes. Ce que Sandrine Kiberlain avait su si merveilleusement exécuter dans Mademoiselle Chambon, par exemple. C’est d’ailleurs à cela qu’on reconnaît les plus grands : à leur capacité à jouer la part invisible de leurs personnages. C’est la directrice de casting Coralie Amadeo qui m’a suggéré Alba [Rohrwacher], en me demandant si ce personnage pouvait être d’origine étrangère. J’avoue avoir été un peu dubitatif au départ car j’ai surtout vu Alba [Rohrwacher] dans des personnages très barrés, à mille lieues de celui d’Alice. Mais à la seconde même où je l’ai rencontrée dans ce café près d’Opéra où nous avions rendez-vous, j’ai su que c’était elle. Par son sourire, cette lumière qui émanait d’elle. Cette première impression s’est renforcée au fil de notre échange. De la même manière qu’avec Marie Drucker, c’est comme si on se connaissait depuis toujours. Dès les essais, elle a tout joué mieux que ce qui était écrit. Elle a révélé tout ce que nous nous étions efforcés de ne pas écrire.
Comment vous abordez le financement de ce type de film sur lequel on ne vous attend pas forcément, à ce moment de votre carrière ?
Depuis toujours, je tiens à faire des films cohérents économiquement. Sans doute aussi parce que je suis bien à cet endroit-là, que ça me libère d’une partie de la pression du résultat économique du film. Je parlais plus tôt de rebattre les cartes. Je l’ai aussi fait ici en travaillant pour la première fois avec la Gaumont. Et je dois dire que tout s’est merveilleusement déroulé à chaque étape, de la phase d’écriture à la promotion, grâce à des interlocuteurs aussi pertinents qu’engagés sur le projet.
HORS-SAISON
Réalisation : Stéphane Brizé
Scénario : Stéphane Brizé et Marie Drucker
Photographie : Antoine Héberlé
Musique : Vincent Delerm
Montage : Anne Klotz
Production et distribution : Gaumont
Ventes internationales : Gaumont International
Sortie le 20 mars 2024