Comment naît l’idée de consacrer un documentaire à Olivier Goy, cet entrepreneur dont la vie a basculé en décembre 2020, quand il a appris qu’il était atteint de la maladie de Charcot ?
Stéphanie Pillonca : C’est un projet que l’on m’a proposé. Mais, au départ, je commence par refuser. Je suis alors en plein tournage d’un documentaire autour du cancer du sein, je vis quelque chose de très puissant émotionnellement et je me pense alors incapable d’enchaîner tout de suite avec un autre projet. J’anticipe que j’aurais forcément besoin de souffler. Et ce d’autant plus que je ne connaissais rien à la maladie de Charcot. Je ne me voyais pas partir sur des mois et des mois de recherches.
Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
La rencontre avec Olivier que j’avais acceptée alors même que je comptais refuser le film. Mais comment résister à Olivier ? Dès qu’il est rentré dans la pièce, ça a été le coup de foudre. Parce que j’ai vu son sourire. Parce que j’ai tout de suite compris qu’il ne voulait pas raconter sa maladie mais entrer en mission pour les autres, les malades et leurs proches. Je comprends tout de suite que j’ai face à moi un type pas comme les autres. À cette époque, il pouvait encore parler. Après m’avoir dit qu’il était condamné à court terme, quand je lui ai demandé ce qu’il avait envie de raconter à travers ce film, il m’a répondu : « Témoigner de la beauté de l’urgence à vivre coûte que coûte. » C’est ce film que j’ai eu envie de le faire avec lui.
Comment en construisez-vous la colonne vertébrale ?
Je sais très tôt que ce documentaire s’appuiera sur un entretien au long cours avec Olivier dont je parsèmerai des extraits au fil du film. Je commence donc le tournage par cette interview. Parce que je sais d’expérience que, même si la personne est d’accord sur le principe, entrer ainsi dans l’intimité de quelqu’un n’est jamais quelque chose d’anodin et peut provoquer des réactions violentes. Dans le cas d’Olivier, il y a évidemment aussi une sorte de course contre la montre, car lui comme moi savons que sa parole va aller en déclinant avant qu’il en perde totalement l’usage. Il me fallait donc sécuriser ses mots. Cet entretien a duré quatre heures, chez lui en Normandie. C’est la première fois qu’on échangeait vraiment tous les deux. En fait, ce premier échange, c’est comme dans un premier rendez-vous amoureux. On fait attention, on se tient bien ! (Rires.)
Outre cet entretien, ce documentaire se nourrit d’images d’archives de ses passages à la télévision avant et après la maladie, mais aussi de rencontres. On le voit ainsi face au père de l’animatrice et ex-Miss France, Malika Ménard, atteint lui aussi de la maladie de Charcot mais dans une phase plus avancée. Pourquoi avoir souhaité cette confrontation ?
Olivier avait fait un podcast où de nombreuses personnalités étaient venues lui témoigner leur soutien. Et parmi elles, Malika, dont le père souffrait en effet de la même maladie. J’ai souhaité créer cet échange devant la caméra car cet homme est comme Olivier porteur d’une grande force. Et j’ai souhaité la présence à leurs côtés de Malika et d’un des fils d’Olivier pour montrer des aidants. Des aidants jeunes qui se prennent aussi de plein fouet la maladie de leur père. Je dois dire que ce moment nous a tous complètement dépassés. Il en ressort quelque chose de très fort et de très beau.
Parmi les autres rencontres que vous orchestrez, il y a ces face-à-face entre Olivier Goy et le bouddhiste Matthieu Ricard et la femme rabbin Delphine Horvilleur. La question de la religion vous paraissait-elle un élément indispensable au récit ?
Olivier n’est pas croyant mais un jour, à la sortie de la Pitié-Salpêtrière, je l’ai vu aller se recueillir dans la petite chapelle de l’hôpital. J’ai donc eu envie de creuser cette question de la spiritualité et de comment on la vit quand on connaît avec une certaine précision le moment de sa mort. J’ai filmé son recueillement dans cette chapelle mais j’étais mécontente des images. Je trouvais qu’elles ne rendaient pas grâce à ce moment. Tout paraissait soudain factice. J’ai alors eu l’idée de partir à la rencontre de moines dans un monastère où j’avais déjà tourné avant de choisir de m’orienter vers des échanges plus philosophiques que religieux. D’où le choix de Matthieu Ricard qui pratique la photographie comme Olivier et qui avait déjà échangé avec lui, et de Delphine Horvilleur dont j’ai adoré le livre, Vivre avec nos morts. Écouter Delphine Horvilleur est passionnant en particulier quand elle explique qu’au fond, chaque jour, nous mourons un petit peu car les cellules de notre corps se désagrègent. Sa parole est à la fois très juste et réconfortante et elle épousait à ce titre ce qu’Olivier lui-même désirait exprimer.
Comment leur avez-vous présenté le projet ?
Je leur ai dit que j’avais la grande chance de suivre un homme atteint d’une maladie qui gagne à tous les coups, mais porteur d’un message singulier pour faire avancer la recherche. Et que ce documentaire allait être un moyen de poser un regard sur la vulnérabilité d’un homme pourtant rayonnant, qui essaie de nous montrer que la fragilité peut aussi être une force. Matthieu Ricard comme Delphine Horvilleur ont tout de suite accepté.
La difficulté dans ce genre d’exercice est de ne pas laisser les commandes aux seules émotions et d’éviter trop de sentimentalisme. Comment vous y êtes-vous employée ?
En me faisant violence ! Mais tout cela se joue surtout au montage. Par exemple, j’ai beaucoup filmé les enfants, mais si j’avais gardé les images où on les voit face caméra en larmes, j’aurais peu à peu glissé vers le sensationnalisme. De mon point de vue, on ne peut pas tout montrer au cinéma parce que le grand écran amplifie les choses. Il me paraît par exemple impossible de montrer un enfant qui pleure plein cadre en disant « Papa va mourir » sans verser dans l’indécence. Faire pleurer tout le monde avec ce documentaire aurait été un contresens, une trahison par rapport à la personnalité d’Olivier et au message qu’il souhaitait faire passer. J’ai donc beaucoup coupé pour me maintenir en permanence sur une crête et ne jamais en tomber. Je pensais aussi tout le temps aux enfants et je n’avais pas envie que certaines images d’eux les poursuivent adultes.
Comment Olivier Goy a-t-il réagi en découvrant les images de ce documentaire ?
Olivier est souvent venu au montage. À chaque fois, il a eu cette grande élégance de ceux qui, même dans leur souffrance, font attention aux autres. Il avait l’œil du photographe, de l’homme d’images. Au-delà de sa sensibilité, il a mis son intelligence au service du film. Il savait que j’avais besoin de lui, de son œil, de son adoubement pour avoir la certitude de ne pas l’avoir trahi. Et il a su totalement s’effacer au profit du film, au profit des autres.
INVINCIBLE ÉTÉ
Réalisation : Stéphanie Pillonca
Images : Hugues Poulain
Montage : Fabien Bouillaud
Musique : Martin Balsan
Production : Païva Films, Troisième Œil Productions/Mediawan, Monte Rosa Participations
Distribution : Apollo Films
Sortie en salles le 31 mai 2023