Comment est née l’idée de cette exposition Tolkien?
En 2003, au moment de la sortie du Seigneur des anneaux, la première trilogie de Peter Jackson, nous avions exposé dans l’une des allées de la BnF 120 dessins conçus pour le film par Alan Lee et John Howe. Depuis 15 ans, nous trottait donc dans la tête l’idée de faire une exposition sur la création des mondes imaginaires au sens large. Tout s’est accéléré à la suite du vote des Britanniques sur le Brexit : par peur d’être isolée culturellement, la Bibliothèque Bodléienne de l’Université d’Oxford a essayé de monter des partenariats avec plusieurs bibliothèques européennes. Cela fait donc trois ans que nous travaillons à réunir des documents pour cette monographie sur Tolkien.
Quels sont les rapports de la France avec Tolkien?
Les Français n’ont pas la même connaissance de Tolkien que les Anglo-saxons - qui étudient souvent Le Hobbit à l’école. En France, pour beaucoup de gens, Tolkien n’est qu’un simple nom et leur connaissance de son œuvre se résume aux films de Peter Jackson. Il y a donc deux publics : des fans qui n’ont besoin d’aucune médiation et viennent voir l’exposition quasiment en pèlerinage. Et le grand public qu’il faut vraiment accompagner dans l’exposition. C’est pour cela qu’on a conçu l’exposition en deux parties : d’abord, le voyage en Terre du Milieu qui permet de rentrer progressivement dans l’œuvre puis la partie biographique qui permet d’aborder tous les autres aspects de l’œuvre de Tolkien.
Comment avez-vous choisi les documents ?
Nous avons d’abord mis en avant le travail de Tolkien qui a réalisé des centaines de dessins et d’aquarelles. Le public va découvrir un Tolkien illustrateur. Puis nous avons choisi de revenir aux sources de son œuvre en exposant des pièces de contextualisation, puisées dans nos collections, afin d’expliquer d’où venait l’inspiration de Tolkien. Il a notamment grandi avec l’Art nouveau et la peinture préraphaélite. Nous avons exposé soit des œuvres dont il parle dans sa correspondance soit des éléments présents dans le monde dans lequel il a évolué. C’est un peu comme si nous avions retrouvé ses propres images mentales.
Pouvez-vous détailler certains de ces trésors sortis des collections de la BnF comme le cor de Roland ?
On ne peut pas imaginer que Tolkien, professeur de littérature médiévale, ne connaisse pas La Chanson de Roland. La scène de la mort de Boromir qui sonne du cor pour appeler à l’aide fait forcément référence à ce texte. Le cor dit de Roland et le jeu d’échecs dit de Charlemagne (datés tous les deux du XIè siècle) que nous exposons, sont issus du trésor de l’Abbaye de Saint-Denis. Pillé sous la Révolution, il a été confié au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Royale. Et depuis ce temps, il est conservé par le Musée des Monnaies et Médailles qui est abrité Rue de Richelieu.
On peut aussi admirer un éléphant à la morphologie très particulière…
Cette gravure signée Martin Schongauer est une des plus célèbres de la Renaissance allemande. C’est une manière de mettre en perspective cet animal quasi mythique décrit dans la bataille des Champs du Pelennor dans Le Seigneur des anneaux. Mais la première occurrence de cet animal chez Tolkien, c’est dans une comptine hobbit que récite Sam Gamegie, L’oliphant, issue d’un recueil de poèmes qui s’appelle Les Aventures de Tom Bombadil. Ce qui est intéressant c’est le parallèle qu’on peut faire entre Sam, qui dans sa Comté n’a jamais vu d’oliphant de sa vie, et Schongauer, l’Allemand, qui a dessiné un éléphant sans en avoir jamais vu non plus et qui n’en avait qu’une connaissance livresque.
Vous mettez en avant le travail de plusieurs illustrateurs, à commencer par celui de Gustave Doré sur La Divine Comédie de Dante. Pourquoi ?
Avec Le Seigneur des anneaux, le grand projet de Tolkien est de refaire une épopée. Il connaît tous les grands textes de la littérature occidentale et les appelle un peu à la rescousse. Les terres désolées de Mordor évoquent les cercles de l’Enfer que décrit Dante dans La Divine Comédie. Gustave Doré l’a très bien illustrée. Il y a notamment une scène terrible où Virgile et Dante se retrouvent au milieu d’un lac gelé avec des corps enfouis qui évoque furieusement les Marais Morts de Tolkien.
Arthur Rackham, illustrateur célèbre de la fin du XIXe siècle, est cité par Tolkien dans sa correspondance. Vous présentez certaines de ses œuvres dont l’illustration du Ring de Wagner…
Ce document a deux objectifs. Le premier est de montrer que Tolkien détestait Wagner et détestait encore plus ce que l’Allemagne nazie avait fait de Wagner. Quand on lui disait que son influence venait de L’Anneau du Nibelung, il répondait : « Le seul point commun entre l’anneau de Wagner et le mien, c’est qu’ils sont ronds tous les deux. » Mais c’était aussi l’occasion de rappeler la légende des Nibelungen, au centre d’un poème germanique du Moyen Âge.
Le cinéma a-t-il pu influencer Tolkien ?
Très peu. Il n’en parle quasiment pas dans ses lettres. Il voue une haine féroce à Disney, essentiellement pour le côté moralisateur de Disney. Chez Tolkien, le merveilleux ne doit pas être à destination des seuls enfants, il est pour tous.
Et pour vous en tant que commissaire de l’exposition, les adaptations de Peter Jackson ont-elles été une source d’inspiration ?
Nous avons choisi de n’exposer aucune pièce postérieure à la mort de Tolkien et donc de ne pas aborder la postérité de son œuvre en films, jeux vidéo ou jeux de rôles. C’est très difficile cependant de faire abstraction des films de Peter Jackson. La force ultime du cinéma est la puissance écrasante des images. A partir du moment où vous avez vu Ian McKellen dans le rôle de Gandalf, il est impossible de voir ce personnage autrement. Pour autant, leur présence aurait empêché le public de se construire son propre imaginaire. Mais nous les incitons bien sûr à les voir. Et nous avons prévu une conférence, le 12 décembre, pour compléter l’exposition, avec Alan Lee dont la collaboration avec Peter Jackson est essentielle.
"Tolkien, voyage en Terre du Milieu". Exposition jusqu’au 16 février 2020 à la BNF- François Mitterrand.