Rue du Conservatoire est votre premier documentaire. C’est un genre auquel vous aviez envie de vous confronter depuis longtemps ?
Valérie Donzelli : Avec le festival du film francophone d’Angoulême et la rétrospective de mes films qu’il a accueillie fin août, je me suis rendu compte que, dans mon travail, j’ai toujours été prise de vitesse par les choses. Et je continue à l’être, à aimer ne pas trop réfléchir à ce que je fais. Rue du Conservatoire en constitue le parfait exemple. Tout est parti d’une master class qu’on m’avait proposé de donner au Conservatoire sur le jeu d’acteur au cinéma. J’avais expliqué à sa directrice de l’époque, Claire Lasne Darcueil, que j’étais d’accord mais à condition d’avoir une caméra et un preneur de son. Car le cinéma, ça se filme et ça s’enregistre. Claire a accepté et j’ai choisi de faire travailler les élèves sur une scène d’un livre que je voulais adapter. Un texte qui n’était pas du tout un texte de théâtre. Ils se le sont réapproprié et j’en ai tiré un court métrage, tourné en trois jours. En les filmant, j’ai vu à quel point j’avais face à moi des comédiens incroyables. Ça m’a rappelé ce que j’avais pu vivre avec les acteurs de la Comédie-Française sur le téléfilm Que d’amour !, d’après Le Jeu de l’amour et du hasard. Ils sont si virtuoses que les filmer équivaut à filmer un grand musicien ou un grand sportif. Il n’y a rien à faire. Parmi eux, il y avait donc Clémence [Coullon] qui possède un potentiel de comédie formidable.
Clémence Coullon est au centre de votre documentaire. Comment l’avez-vous choisie ?
Avant de quitter le Conservatoire, Clémence a décidé de mettre en scène et de diriger ses camarades dans une version totalement revisitée d’Hamlet, intitulée Hamlet(te). Elle est venue me voir pour me proposer de filmer ce moment. J’ai immédiatement accepté car j’ai senti qu’il y avait une urgence chez elle. C’était aussi une façon pour moi de tendre la main à cette jeune femme, de l’accompagner comme une petite sœur que je prendrais sous mon aile. À ce moment-là, je ne savais pas du tout ce que serait le film mais j’en avais les grandes orientations : je voulais être présente avec Clémence dans la phase de création, raconter les premiers pas d’une metteuse en scène et non pas le résultat de la pièce. Répondre, au fond, à des questions assez basiques : qu’est-ce que mettre en scène ? Qu’est-ce que fabriquer une œuvre artistique ?
À partir de ce socle, comment avez-vous avancé ?
J’ai improvisé. J’ai commencé par filmer la première lecture avec tous les acteurs. Puis j’ai demandé à mon neveu, étudiant en école de cinéma, de venir avec une copine pour filmer aussi et mon ingénieur du son André Rigaut a pu se libérer. Les images ne sont pas géniales mais elles apparaissent dans le montage final. Ensuite, j’ai filmé des répétitions avec mon iPhone, je me suis adaptée à chaque situation et j’ai accumulé de la matière que j’ai ensuite retravaillée au montage, étape où le film est vraiment né.
Qu’avez-vous ressenti au milieu de ces jeunes comédiens ?
Avant tout, une énergie incroyable qui, je l’espère, se retrouve dans le film. J’étais comme une spectatrice privilégiée, une petite souris qui avait la chance de les voir au travail. Ce qui m’a frappée chez eux, c’est l’absence de cabotinage. Ils ne cherchaient pas à en faire trop parce qu’ils étaient filmés comme ça arrive parfois. De mon côté, je me suis fondue dans cette troupe pour devenir un élément parmi les autres.
Ce documentaire a aussi cette particularité de créer une nostalgie immédiate. C’est le dernier geste commun de ces jeunes avant de quitter le Conservatoire et de s’éparpiller dans la nature…
Oui, c’est à la fois une première et une dernière fois. Les premiers pas de Clémence comme metteuse en scène, avec une pièce qu’elle a rejouée au TGP (Théâtre Gérard Philipe), mes premiers pas dans le documentaire et leurs derniers mois comme élèves. Tout cela charrie forcément une émotion particulière.
Vous ne vous êtes jamais sentie de trop ?
Non, mais tout est question de ressenti. J’ai tout de suite vu qu’Hélène [Gigou], une des élèves, n’était pas très à l’aise quand je filmais les répétitions. Mais cette tension créait quelque chose d’intéressant et je me suis adaptée. De même, quand certains me disaient ne pas vouloir être filmés, j’acceptais, évidemment. Je ne voulais pas de quelque chose d’intrusif. Je ne venais d’ailleurs que deux jours par semaine, chaque mardi et jeudi, tout en gardant la possibilité de m’adapter si certains jours il ne se passait rien. Ensuite, c’est la chance qui fait qu’on assiste à certains moments uniques.
Comme celui où une des comédiennes vient se fracasser sur le décor…
Et ça, je le dois à Sébastien Buchmann, mon directeur de la photographie qui, lui, parce qu’il a l’habitude du documentaire, a continué de filmer. Alors que moi je n’aurais jamais osé... À l’arrivée, c’est une scène qui a un impact humoristique fort parce qu’évidemment la comédienne s’en est remise et qu’il n’y a rien eu de grave.
On vous voit aussi leur poser des questions. Étaient-elles toutes préparées ?
Oui. J’avais décidé de poser des questions très basiques : comment tu t’appelles ? Comment tu te vois dans dix ans ? Des questions ouvertes pour qu’ils puissent exprimer leur personnalité à travers leurs réponses.
Comment a évolué votre rapport avec Clémence durant le tournage ?
Clémence, c’est ma protégée. On s’écrivait, elle m’appelait, elle me partageait ses angoisses. Des messages qu’on retrouve dans le film. Je comprenais parfaitement ce qu’elle ressentait puisque c’est la même chose pour moi lorsque je tourne. Cet état de profonde solitude au milieu des autres…
Comment s’est construit le montage de Rue du Conservatoire ? Quelle en a été la ligne directrice ?
L’arc était clair et je l’ai tout de suite communiqué à Clara [Chapus] ma monteuse. Je savais qu’on partirait de moi puis qu’on s’immergerait dans les répétitions, au milieu des comédiens, pour aller jusqu’à la représentation. Je savais aussi que je voulais qu’apparaisse la vision de Clémence, que j’ai tournée en Super 8 comme si c’était quelque chose qu’elle rêvait. Tout était organisé, mis en scène, même si cela s’est reconstruit au montage. Évidemment, je ne savais pas avec précision ce que j’allais filmer chaque jour, mais j’avais ma colonne vertébrale : raconter la « fabrication » d’une metteuse en scène.
Avec le recul, qu’est-ce qui vous a le plus séduite dans cette expérience de documentariste ?
L’esprit de liberté. Retrouver l’idée de travailler avec une petite équipe comme dans mes deux premiers longs métrages, La Reine des pommes et La guerre est déclarée. C’est la raison profonde pour laquelle je fais ce métier.
Cela vous a-t-il donné envie de vous confronter de nouveau à l’exercice ?
Oui. J’ai même déjà un projet de documentaire autour de l’argent. En fait, j’aime faire des documentaires hybrides qui ne soient pas comme des commentaires.
De la même manière que vous faites vos fictions au fond, non ?
Exactement !
RUE DU CONSERVATOIRE
Réalisation : Valérie Donzelli
Photographie : Sébastien Buchman
Montage : Clara Chapus
Production : Rectangle Productions, Les Films de Françoise, le CNSAD-PSL
Distribution : Diaphana
Sortie le 18 septembre 2024
Soutiens du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024), Aide à l'édition vidéo (aide au programme éditorial)