Pourquoi avoir accepté de parrainer le Festival international du film ethnographique Jean Rouch?
D’abord, Jean Rouch était un ami. J’ai de grands souvenirs de notre collaboration au Musée de l’Homme, que j’ai longtemps dirigé. Ce n’était pas toujours simple. Le musée de l’Homme est un coffre qui contient de belles et précieuses choses qu’il faut protéger. J’en étais responsable en tant que directeur et le soir, je fermais tout à clé. Quand j’arrivais le lendemain matin tout était ouvert en grand parce que les jeunes gens qui travaillaient avec Jean Rouch avaient fait des montages toute la nuit… C’était parfois un peu compliqué. Mais tout ça se faisait dans une grande générosité, à la manière de sa table ouverte au Totem, le restaurant du Musée de l’Homme. J’ai participé aussi avec lui à la première soutenance d’une thèse filmée.
Jean Rouch était aussi un grand nom. Il a lancé le cinéma direct, révolutionné la manière de voir l’Afrique. Ce regard, ne porte aucun jugement, mais raconte l’autre, a changé la donne. À travers le festival, c’est l’école de Rouch qui continue et apprend à un public varié, et notamment aux jeunes, ce que sont les populations à travers le monde et la fraternité qui devrait être la nôtre.
Sa discipline, l’ethnographie, vous est-elle proche ?
C’est aussi intéressant de voir comment ils taillent les cailloux, font de la poterie, fabriquent des objets en bronze comme on le faisait il y a des milliers d’années. Les uns nous apprennent des autres et vice versa. Tout cela, c’est un grand melting-pot dans lequel je nage.
Quel lien avez-vous avec le cinéma documentaire ?
J’étais très proche des documentaristes ethnographiques, comme Jean Rouch, évidemment, mais aussi Mario Ruspoli et, dans une certaine mesure, Christian Zimmer. Mais mes débuts avec le cinéma sont très anciens. J’y suis entré de manière un peu bizarre et curieuse. J’avais organisé une exposition en 1957 au Muséum national d’histoire naturelle où j’avais monté un mammouth avec de superbes défenses spectaculaires. Mon expo a impressionné les producteurs Anatole Dauman et Philippe Lifchitz d’Argos Films, qui m’ont démarché pour faire un film sur l’évolution biologique. Il faut savoir qu’à l’époque, on tournait beaucoup de courts métrages documentaires, car dans chaque salle avant le film, il y avait les actualités puis un court métrage et, après l’entracte, le grand film. En attendant le tournage, les producteurs me proposèrent de me familiariser avec le monde du cinéma. Je fus donc stagiaire pour Agnès Varda sur Du côté de la côte [projeté le 23 novembre lors de la soirée de remise des prix] et La Cocotte d’Azur. Le documentaire au muséum, intitulé Images des mondes perdus, a été tourné par Lifchitz. J’en étais le conseiller scientifique et l’assistant-réalisateur. J’ai ensuite travaillé pendant quatre ans comme assistant-réalisateur avec de grands réalisateurs comme Henri Colpi, Alain Resnais. Puis je suis revenu à la recherche.
À quel moment avez-vous compris l’intérêt du cinéma, et plus largement de l’audiovisuel, dans la vulgarisation de votre discipline, la paléontologie ?
Dès mes premières expéditions en Afrique en 1961, et la découverte d’un fossile très ancien d’homme, j’ai été confronté aux médias. Je ne les ai plus quittés depuis. J’étais très heureux de raconter mes histoires devant les caméras. On commence par répondre aux questions des journalistes, puis on devient conseiller scientifique sur des films, et enfin on participe à l’écriture de scénarios et on s’implique dans les tournages. La découverte de Lucy a bien sûr encore accentué les choses. Plusieurs fois, on m’a proposé de prendre en charge moi-même les films, mais je voulais rester scientifique.
Pour les spectateurs d’aujourd’hui, vous êtes l’homme de L’Odyssée de l’espèce et de ses deux suites Homo Sapiens et Le Sacre de l’homme, ce triptyque sur les origines de l’homme qui a connu un succès d’audience phénoménal…
Ce succès est incroyable et paradoxal. Pendant des années, j’ai fait des milliers de conférences sur le sujet, et à chaque fois, pour expliquer ce qu’étaient les humains et leur histoire, je montrais des ossements. Pour expliquer leur culture, je montrais des pierres taillées. Quand j’ai commencé à faire des docu-fictions, j’ai réalisé que de mettre les hommes préhistoriques en scène changeait tout. Les voir debout, les voir vivre – un peu comme nous a rapproché la préhistoire du public. Je suis très heureux d’avoir participé à cela avec Jacques Malaterre.
Le Festival international Jean Rouch, que soutient le CNC, se tient du 15 novembre au 12 décembre 2019 au Musée de l’Homme à Paris.
Le programme est disponible sur http://www.comitedufilmethnographique.com/