C’est votre deuxième collaboration avec Sébastien Marnier, comment avez-vous fait sa connaissance ?
Cosmic Néman : Grâce à l’ingénieur du son Benjamin Laurent, rencontré alors que nous travaillions sur la musique du film Loubia Hamra de Narimane Mari (2013). Benjamin a ensuite glissé notre nom à Sébastien alors qu’il était un peu perdu avec la bande originale d’Irréprochable. D’autres musiciens avaient déjà travaillé dessus, mais rien ne lui convenait. Le film était déjà presque achevé. Il a donc fallu fournir une musique en très peu de temps. Un petit mois environ.
Pour L’Heure de la sortie, le travail s’est fait plus en amont ?
Oui. Nous avons vu plusieurs pré-montages. Il y a eu un échange permanent. Sébastien, n’a pas hésité à nous faire retravailler certaines choses. Là encore, nous étions libres d’appréhender la musique comme nous l’entendions. Notre style plutôt sombre correspond bien à l’univers du thriller. Sébastien savait qu’il n’y aurait pas de mauvaises surprises. Il n’y a que pour les reprises des chansons de Patti Smith par la chorale des élèves, qu’il a fallu travailler à partir d’un matériau préexistant.
Les images guident-elles toutes vos compositions ?
Que ce soit pour nos albums ou une bande originale, notre façon de travailler reste très instinctive. Nous jouons ensemble en studio et avançons à tâtons. C’est vraiment du ressenti. Sur un film, nous nous passons les images du film en studio et commençons à jouer au feeling. La musique peut soutenir voire accentuer une action ou au contraire intervenir dans un moment de creux comme une ambiance sous-terraine. Rien n’est figé. Nous nous sommes même amusés à placer un vieux morceau à nous sur les images du film pour voir si les choses pouvaient fonctionner. C’était le cas.
Une bonne musique de film, c’est quoi ?
C’est la déclinaison d’un thème musical, à la fois simple et efficace. En cela la musique de John Carpenter est parfaite. Son travail parait basique, c’est pourtant très compliqué d’arriver à cette forme d’épure. Carpenter est le premier à avoir composé des musiques aussi minimales pour un film, et ce, avec trois fois rien : une boîte à rythme, un séquenceur et des lignes de basse… A l’époque, la musique de film était très orchestrée. Il a révolutionné les choses. Certains films sont totalement guidés par la musique, c’est elle qui donne le tempo général. Je pense par exemple à celle d’Under the skin (Jonathan Glazer – 2014) composée par Mica Levi. Le film ne serait clairement pas le même sans la musique. Ici, le travail de la compositrice surpasse même celui du metteur en scène.
Les musiques que vous évoquez sont presque envisagées par les cinéastes comme des personnages à part entière…
Oui et il est parfois curieux de voir la trace qu’elle laisse dans l’esprit du spectateur. Je me souviens avoir vu adolescent, Sorcerer de William Friedkin (Le convoi de la peur – 1977), et la musique de Tangerine Dream m’avait hypnotisé. J’ai été surpris en le revoyant récemment de constater qu’elle est finalement très peu présente. Elle est si marquante que j’avais l’impression de l’avoir entendue tout au long du film. Tangerine Dream a composé cette musique sans avoir vu une seule image du film. Friedkin a vu le groupe en concert avant le tournage du film. Il est allé les voir en coulisses pour leur dire deux mots de son film. Le groupe a ensuite enregistré dans une église une musique que Friedkin a découverte sur une cassette audio au fin fond de la République Dominicaine.
Vous avez déjà participé à des ciné-concerts. Est-ce une expérience particulière ?
Nous l’avons fait lors de projections du Cuirassée Potemkine de Serguei Eisenstein (1925). Une récente édition vidéo propose d’ailleurs d’utiliser notre composition pour voir le film. Nous sommes ravis. Parfois, il peut y avoir un décalage entre la qualité des images ayant subi l’usure du temps et le caractère très clean des musiques d’aujourd’hui. Avec Eisenstein, ce n’est bien-sûr pas le cas, son travail est tellement avant-gardiste que ses images restent modernes. Pour Le Cuirassée Potemkine, il avait utilisé une musique classique, presque conventionnelle. De manière générale, Eisenstein n’aimait pas que la musique colle à l’action. Pas sûr qu’il aurait aimé notre travail sur son film !
Revenons à L’Heure de la sortie. Le film joue beaucoup avec les sons d’ambiance. Comment avez-vous appréhendé la chose ?
Avec quels types d’instruments avez-vous composé la musique ?
Beaucoup de percussions : timbales, bongos, cymbales... Mais aussi des synthétiseurs donc et des boites à rythmes. Tout a été enregistré dans notre studio.
Vous évoquiez plus haut vos échanges avec Sébastien Marnier. Sur quoi portaient-ils principalement ?
Des détails ! Parfois notre musique était trop longue et il fallait donc la raccourcir. Mais jamais vraiment sur la qualité de notre travail. Composer une musique de film peut entraîner beaucoup de frustrations. En effet, vous découvrez l’utilisation de votre travail une fois le film achevé. Votre musique a été morcelée, mixée avec l’ambiance sonore du film ou peut se retrouver à l’arrière-plan totalement écrasée par le reste. Prenez la séquence de poursuite à la fin, la musique reste en retrait, ce sont les effets sonores : crissements de pneus, dérapages…, qui prennent le dessus. La séquence aurait gagné en intensité si la musique avait été placée au-dessus. Ce n’est que notre humble avis. Sur L’Heure de la sortie nous avons été toutefois gâtés puisqu’il y a 35 minutes de musique à l’image. Ce qui est beaucoup.
Que retenez-vous de votre travail au cinéma ?
Malgré ce que j’évoquais à l’instant, le plaisir est immense. Pour peu que vous soyez cinéphile, l’idée de participer à la compréhension d’une histoire est formidable. Le monde de la musique de film en France reste très fermé. J’aime l’idée que certains cinéastes fassent appel à des groupes qui n’ont à priori rien à voir avec le métier, pour redonner un peu d’énergie et de nouveauté. Je pense par exemple, à ce qu’a fait Arnaud Rebotini sur 120 battements par minute (Robin Campillo – 2017), c’est très stimulant.
Le fait que certains cinéastes français s’autorisent à aller de plus en plus vers le cinéma de genre va peut-être faire bouger les lignes ?
Peut-être ! Encore faut-il que les réalisateurs ou les producteurs acceptent l’audace. Le meilleur exemple reste le cas du Monde du Silence (Jacques-Yves Cousteau & Louis Malle – 1956). François de Roubaix qui était fan de plongée et adorait la mer, a composé une musique. Malheureusement Cousteau n’a rien compris à son travail et a préféré tout rejeter pour utiliser une musique classique qui n’apporte rien.
De Roubaix reste votre père à tous ?
Il fut l’un des premiers à avoir son propre studio. Sa musique était très complexe et révolutionnaire. Un maître sans aucun doute !
Votre musique, vous l’avez dit, se marie bien au thriller, accepteriez-vous d’aborder d’autres univers ?
Nous adorerions composer une musique pour une comédie par exemple. Le décalage, le contre-pied c’est formidable. Prenez l’association Brian de Palma et Pino Donaggio, c’est très intéressant.
« Zombie Zombie », votre nom de groupe charrie avec lui tout un imaginaire horrifique…
C’est vrai que nous nous sentons proche du cinéma d’horreur et des zombies de George A. Romero en particulier. Il fait aussi référence à un morceau de Fela Kuti. Nous voulions un nom qui fonctionne dans toutes les langues. Et puis, nous aimons beaucoup la lettre « Z ». ZZ Top reste le meilleur nom de groupe de tous les temps.
L'Heure de la sortie a bénéficié des aides à la création visuelle ou sonore par l’utilisation des technologies numériques de l’image et du son - CVS, de l'avance sur recettes après réalisation (2018), de l'aide à la création de musique de film (2018) ainsi que de l'aide sélective à la distribution (aide au programme, 2018) du CNC.