Le Cercle Rouge est le cinquième polar de Jean-Pierre Melville après Bob le flambeur (1955), Le Doulos (1962), Le Deuxième Souffle (1966) et Le Samouraï (1967). On peut placer à part, Deux hommes dans Manhattan (1959), errance néo-réaliste dans un New-York nocturne et L’aîné des Ferchaux (1963), d’après Simenon, dont l’intrigue repose quasi-intégralement sur une étude de caractères. Le Cercle Rouge raconte l’association de trois truands, Corey (Alain Delon), Jansen (Yves Montand) et Vogel (Gian Maria Volonté) pour effectuer le casse d’une bijouterie de la Place Vendôme à Paris.
A partir du Samouraï (1967), Jean-Pierre Melville place en exergue de ses films des citations qui chargent le récit d’une profondeur philosophique. Pour Le Cercle rouge, le cinéaste convoque le père du bouddhisme, Siddhartha Gautama, chef spirituel ayant vécu au VI avant J.C. « Quand des hommes, même s'ils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. » C’est donc la fatalité qui recouvre d’un voile quasi religieux ce polar.
Western urbain
Melville féru de cinéma américain envisage Le Cercle rouge comme un western urbain. « Un western qui se passe à notre époque et non pas après la Guerre de Sécession ; et où les automobiles ont pris la place les chevaux. », confie-t-il à Rui Nogueira dans son livre d’entretiens, Le cinéma selon Jean-Pierre Melville (Capricci). Pour lui, l’homme qui sort de prison est comparable « au cow-boy à cheval qui, à la fin du générique, pousse les portes d’un saloon. »
Le casting imaginé à l’origine par le cinéaste ne ressemblait pas à celui du film final. C’est Lino Ventura qui devait incarner le commissaire François Mattei, rôle qui sera finalement donné à André Bourvil. Les rapports distendus entre Melville et Ventura auront donc eu raison de cette troisième collaboration après Le Deuxième Souffle et L’armée des ombres. Yves Montand, lui, a remplacé Paul Meurisse. Quant à Jean-Paul Belmondo, il devait camper le ténébreux et nerveux Vogel à la place de Gian Maria Volonté. Melville voulait être le premier à réunir à l’écran le duo Delon-Belmondo. C’est finalement Jacques Deray qui réussira ce gros coup avec Borsalino quelques mois avant Le Cercle Rouge.
Jean-Pierre Melville avait envie de filmer un casse depuis le tournage des Enfants terribles (1950). Pour Le Cercle rouge, il va donc se faire plaisir, étirer le temps au maximum et filmer de façon ultra-réaliste le vol des bijoux du joaillier Mauboussin, place Vendôme à Paris. La séquence en question, quasi-muette, dure près de vingt-cinq minutes et comprend trente et un plans. Chaque geste est effectué avec une précision obsessionnelle. Ce morceau de bravoure totalement inédit dans le cinéma mondial aura une grande influence sur des cinéastes aussi variés que Michael Mann, Johnnie To ou John Woo.
Comme influence majeure pour la réalisation de son Cercle Rouge, Jean-Pierre Melville cite le travail de John Huston et principalement Quand la ville dort (The Asphalt Jungle, 1950), quintessence selon lui du film de « casse ». Quelques mois avant la sortie française du Cercle Rouge sort du les écrans La Lettre du Kremlin du même John Huston qui emballe Melville. Face à Rui Nogueira, il cite d’ailleurs plusieurs fois ce film d’espionnage.
Jean-Pierre Melville de son vrai nom Grumbach a choisi ce pseudonyme en hommage à l’écrivain américain de Moby Dick, Herman Melville. Lors de ses entretiens avec le cinéaste, Rui Nogueira lui fait remarquer que les séquences de délirium tremens dont est atteint le personnage d’Yves Montand, avec la présence d’un incroyable bestiaire, lui fait plutôt penser à Edgar Allan Poe. Le cinéaste le reprend aussitôt : « Vous savez bien qu’entre Poe et Melville, il y a tellement de points communs… Mais je finis par faire de la confusion mentale ; j’oublie que, quand je dis Melville, ce n’est pas moi, mais c’est le grand. » Jean-Pierre Melville avec son Stetson, ses Ray Ban et sa grosse voiture américaine, a fini par devenir un véritable personnage de fiction.
Un triomphe public et critique
Le tournage du Cercle Rouge n’a pas été une partie de plaisir pour Melville qui s’est plaint d’une équipe technique démotivée et s’est agacé de voir son chef opérateur, Henri Decaë s’octroyer des poses « cigare » entre les plans. Le cinéaste s’est mis à dos à peu près tout le monde, à commencer par Gian Maria Volonté, star italienne très engagée à gauche, dont la détestation pour ce réalisateur tyrannique était connue de tous. Volonté quitta même le plateau quelques jours, menaçant de ne plus revenir. Toutes ces difficultés ont obligé la production à rallonger la durée du tournage, passant de 50 à 66 jours.
Le Cercle Rouge est un triomphe, public et critique. Le film qui sort en France le 20 octobre 1970, totalise ainsi 4 339 821 entrées. Le 9 novembre c’est la tête du cinéaste qualifié de « patron » du cinéma français, qui trône en une de L’Express. Le critique Jean-Louis Bory, lui, écrit : « C’est un film bleu. Bleu nuit. Bleu comme le froid. C’est un film sur la nuit, sur le froid (…) C’et du grand cinéma. Et du meilleur Melville. Encore plus beau que Le Samouraï. C’est le triomphe de cette rigueur, faite de litotes et d’ellipses, qui désigne Melville comme un auteur classique. »
Après Le Cercle Rouge, Melville travaille sur un remake de La Chienne de Jean Renoir commandé par les deux producteurs Raymond et André Hakim. Ces derniers rendront finalement ce projet impossible. Melville pense aussi à une adaptation d’Arsène Lupin. Le cinéaste est sûr d’une seule chose, il veut tourner une nouvelle fois avec Alain Delon qu’il admire et respecte. Ce sera finalement Un Flic (1972), ultime opus de Melville, film mal-aimé et incompris à sa sortie. Le cinéaste meurt à 55 ans, le 2 août 1973.
LE cercle rouge
Ecrit par Jean-Pierre Melville
Musique : Eric Demarsan
Chef opérateur : Henri Decaë
Produit par : Robert et Jacques Dorfmann
Ressortie le 1 décembre 2012
Distribution : Carlotta