The House of Fear de Joe May (1939)
Né en Autriche en 1880 et pionnier du cinéma allemand, Joe May (de son vrai nom Julius Otto Mandl) émigre aux États-Unis à l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler. En 1939, il investit les décors construits dans les studios Universal pour Le Fantôme de l’Opéra de Rupert Julian (1925) et y développe le remake d’un film muet de Paul Leni, Le Dernier Avertissement, sorti en 1929. Un murder mystery au cœur d’un théâtre dans lequel un acteur meurt sur scène lors d’une représentation sans que la police ne parvienne à trouver le coupable. L’année suivante, la même pièce est programmée, malgré les mauvais présages. En effet, le lieu semble hanté par le fantôme du comédien disparu et, la veille de la première, l’un des interprètes de la pièce est à son tour mystérieusement assassiné. Resté inédit en France, ce suspense resserré (67 minutes seulement) a souffert pendant le tournage du manque de maîtrise de l’anglais du réalisateur, provoquant des dépassements de plus de 10 % du budget initial de 100 000 dollars. Mais la critique, elle, se montrera enthousiaste, saluant la qualité des rebondissements de ce whodunit en lieu clos où le théâtre est un personnage à part entière.
Le Dernier Métro de François Truffaut (1979)
Dix César en 1981 – un exploit uniquement égalé par Cyrano de Bergerac –, plus gros succès de Truffaut (3,3 millions d’entrées), Le Dernier Métro est le film de tous les records. Le cinéaste y décrit la vie sous l’Occupation, en 1942, par le prisme d’une troupe de théâtre et de personnages gravitant autour d’elle. Il a choisi le cadre du Théâtre Saint-Georges à Paris pour raconter cette histoire inspirée du couple formé par la danseuse Margaret Kelly (la fondatrice des Bluebell Girls du Lido de Paris) et le compositeur Marcel Leibovici, mais aussi de Carola, la pièce de Jean Renoir. Le Dernier Métro met en scène la comédienne Marion Steiner (Catherine Deneuve), qui a pris la direction du Théâtre Montmartre depuis que son mari (Heinz Bennent) a fui Paris parce qu’il est juif. Tout le monde le croit hors de France alors qu’il vit caché dans les sous-sols du théâtre. Tous les soirs, Marion lui raconte l’avancement des répétitions de la pièce sur le point d’être jouée. Pièce qui sera un succès malgré l’article violent d’un critique antisémite influent. Une situation là encore inspirée par la réalité et plus précisément le journaliste de Je suis partout Alain Laubreaux. La scène où Gérard Depardieu gifle Jean-Louis Richard dans le film est la reconstitution de l’échange tendu entre Jean Marais et Laubreaux, le premier reprochant au second de l’avoir surnommé « l’homme au Cocteau entre les dents » et d’avoir éreinté la pièce du même Cocteau, La Machine à écrire. « En tournant Le Dernier Métro, j’ai voulu satisfaire trois désirs : montrer les coulisses d’un théâtre, évoquer l’ambiance de l’Occupation, et donner à Catherine Deneuve un rôle de femme responsable », avait expliqué Truffaut. Trois objectifs atteints avec superbe.
Vanya, 42ème rue de Louis Malle (1995)
De 1978 à 1986 et son retour en France pour le multi- Césarisé Au revoir les enfants, Louis Malle a tourné sept documentaires et fictions aux Etats- Unis. Un peu moins de dix ans plus tard, il retourne de l’autre côté de l’Atlantique et pose sa caméra dans un ancien haut lieu de Broadway, le New Amsterdam Theater (où furent présentées les célèbres Ziegfeld Follies de 1913 à 1937), désaffecté depuis 4 ans. Il y raconte les répétitions du Oncle Vanya d’Anton Tchekhov par le metteur en scène Andre Gregory qui tient ici son propre rôle et en a coécrit le scénario avec David Mamet. Une fiction plus que nourrie par la réalité puisque de 1991 à 1994, dans un autre théâtre désaffecté new- yorkais, le Victory Theater, Andre Gregory avait organisé une série d’ateliers autour d’une adaptation d’Oncle Vanya par Mamet. Des répétitions données devant une jauge réduite, de 8 à 20 spectateurs, sans jamais devenir un spectacle à part entière. C’est en y assistant un jour que Malle a eu envie d’immortaliser ce laboratoire à travers un film qui joue à abolir toute frontière entre fiction et documentaire comme entre cinéma et théâtre. Ce sera l’ultime long métrage du cinéaste qui s’éteindra le 23 novembre 1995, à 63 ans.
Esther Kahn d’Arnaud Desplechin (2000)
Arnaud Desplechin est un grand admirateur du Vanya 42ème rue de Louis Malle. Et cela a dû compter dans son désir de se confronter à son tour au monde du théâtre à travers ce film, son tout premier en langue anglaise, qui suit la découverte du théâtre par la fille d'une famille pauvre d'émigrants juifs à la fin du 19ème siècle et la manière dont ses expériences sur les planches vont peu à peu l’emmener à libérer tout ce qu’elle porte enfermée en elle depuis 20 ans. Desplechin adapte ici une nouvelle du Britannique Arthur Symmons qui fut aussi le traducteur outre-Manche de Verlaine et Mallarmé et l’éditeur des Gens de Dublin de James Joyce. Cet éveil à la vie et au jeu de son héroïne – que, dans sa note d’intention, Desplechin compare à L’Enfant sauvage de Truffaut « qui devient humaine non en apprenant à parler mais en apprenant le théâtre » – offre aussi une ballade dans les théâtres de Londres au fil de l’évolution de son personnage central : du tout petit établissement au cœur de l’East End aux salles prestigieuses du Strand. Esther Kahn aura les honneurs d’une sélection en compétition à Cannes et reste à ce jour le plus grand rôle de Summer Phoenix, la sœur de River et Joaquin.
Birdman d’Alejandro Gonzalez Iñárritu (2014)
Un acteur dont la gloire, passée, est liée à la trilogie où il incarnait le super-héros Birdman sur grand écran et qui veut se relancer au théâtre en tenant le rôle central de l’adaptation de Parlez-moi d’amour de Raymond Carver. Toute ressemblance avec celui qui l’incarne, Michael Keaton, le héros des Batman de Tim Burton est évidemment ici tout sauf fortuite et participe même à l’effervescence qui entoure ce projet, symbolisé par le geste cinématographique d’Iñárritu qui encapsule le récit en un seul très long (et quelque peu truqué avec 16 coupes discrètes) plan séquence. Un temps rétif devant l’ampleur du projet, le directeur de la photo Emmanuel Lubezki fait ici des merveilles dans cette plongée au cœur de l’univers théâtral, notamment filmée pendant deux semaines à l’intérieur d’un des plus célèbres lieux de Broadway, le St James Theater. Et si Fox Searchlight refusa de prime abord le projet pour cause de budget trop imposant à ses yeux, le studio a dû finalement se féliciter de l’avoir rejoint. Après avoir remporté un joli succès en salles, Birdman a triomphé aux Oscars avec 4 trophées majeurs : film, réalisateur, scénario original et photographie.