CNC : A 16 ans, vous programmiez déjà des choses sur votre calculatrice. C’est là que tout a commencé ?
Antoine Schmitt : Ça a vraiment été une rencontre avec un univers et un matériau, un peu comme quelqu’un qui découvre l’écriture, le cinéma. Ce qui m’a tout de suite plu, c’est qu’on écrive quelque chose et le texte qu’on écrit devient action. Il fait bouger les choses, il interagit. C’est un peu comme un magicien avec sa formule magique qui change des choses dans le monde. J’ai suivi ensuite un chemin naturel pour creuser ce matériau : devenir ingénieur.
Votre carrière d’ingénieur vous a d’ailleurs mené jusque dans la Silicon Valley, dans une société fondée par Steve Jobs…
En France, j’ai travaillé dans une société très innovante et j’ai continué ce chemin expérimental jusqu’à travailler dans la Silicon Valley, dans la société qui s’appelle Next créée par Steve Jobs quand il est parti de chez Apple. Pour moi, c’était le summum de ce dont je pouvais rêver en tant qu’ingénieur programmeur. De toutes ces expériences, j’ai appris beaucoup de technique. J’ai compris aussi que ce n’était pas mon bonheur, que même en étant à l’endroit idéal pour moi en tant que programmeur, ça ne me satisfaisait pas. Je n’aimais pas l’idée de faire des logiciels qui servent à quelque chose même s’il y a une créativité d’ingénieur.
C’est le tableau Carré noir sur fond blanc de Kasimir Malevitch qui a été le déclencheur de vos envies artistiques ?
C’était un véritable choc esthétique pour moi. Quand j’ai vu ce tableau à Amsterdam, j’ai eu une forme de révélation. J’ai compris à ce moment-là quelle était la place de l’artiste dans le monde : c’est celui qui ose et qui assume ce qu’il ose. Ça a tout libéré même si ce n’est pas à ce moment-là que j’ai décidé de devenir artiste.
Pourquoi l’art du code et pas d’autres domaines artistiques ?
Quand j’ai voulu être artiste, j’ai essayé la peinture, le dessin… Mais je n’étais vraiment pas à l’aise. J’aimais bien la vidéo et la photo, mais pour moi, le moyen le plus rapide pour aller d’une idée à une réalisation, c’était d’utiliser le matériau que je maniais au quotidien depuis 15 ans : la programmation.
Comment a été accueilli votre travail dans le milieu de l’art contemporain ?
Au début, c’était difficile surtout que j’étais artiste autodidacte et que j’utilisais un matériau artistique inconnu à l’époque dans les années 1990. Je ne suis pas le premier à l’avoir fait car ça date des années 1950, mais c’était une branche de l’art mal connue. Il a fallu une dizaine d’années pour que mon travail trouve une certaine reconnaissance.
Comment définissez-vous votre art ?
C’est une réflexion sur les processus du mouvement à la fois abstrait (le mouvement en tant que tel) mais aussi en lien avec le réel, la nature, l’univers, l’être humain, la vie, les êtres vivants… La programmation est idéale pour étudier le mouvement car on peut en fabriquer, imiter le mouvement de la nature…
Quelles sont vos sources d’inspiration pour vos œuvres ?
C’est souvent une réflexion, une observation de la nature ou une idée qui me vient de lectures philosophiques et scientifiques. J’ai un questionnement sur une problématique métaphysique qui s’affine dans mon esprit, et souvent ça vient assez vite : d’un seul coup, je pense, j’imagine, je vois presque dans mon esprit une forme visuelle, une forme de mouvement que je pourrais fabriquer et qui interroge cette question qui me taraude. Quand je vois ce que je veux faire, ça va assez vite : il me faut quelques heures, peut-être un jour, mais rarement plus. Un peu comme un peintre qui manie bien son pinceau : il sait ce qu’il veut.
Une de vos dernières œuvres - Quantic Space Ballet est en réalité augmentée. Le changement technologique influence-t-il votre travail ?
Assez peu. Cette pièce en réalité augmentée est presque une exception. En général, je fais des œuvres assez simples à fabriquer.
Pourquoi ?
Je déteste pousser la technologie dans ses retranchements, ça ne m’intéresse pas. La technologie en soi, ce n’est pas mon sujet. Mon sujet, c’est l’humain, l’univers. J’aime bien l’économie de moyens. Quand je peux enlever quelque chose à une œuvre, je l’enlève si ce n’est pas nécessaire.