Quelle était l’idée de départ de ce Bal de Paris ?
Je voulais rendre la réalité virtuelle accessible, que l’expérience immerge totalement le participant au point qu’il se lâche totalement et oublie où il se trouve. Le spectateur devient actif et se laisse porter par l’histoire, la beauté des mondes traversés, les musiques et la danse évidemment...
Dans votre travail, vous avez toujours mêlé danse et cinéma, comme si la scène ne suffisait pas à votre expression...
La danse comme le cinéma est une affaire de mouvements, la création d’un mouvement. J’ai beaucoup travaillé avec des réalisateurs comme Pedro Almodóvar, Jean-Jacques Annaud ou Michel Gondry. Je construisais des séquences à l’intérieur même de leurs films. Le monde de la publicité a été aussi une bonne école et m’a permis de réaliser par la suite trois longs métrages. Le Bal de Paris est une sorte d’apothéose de mon travail. La danse se confronte ici à une image animée et récréée virtuellement. Le spectacle vivant rencontre ainsi le cinéma. Je pouvais inventer un univers irréel mais habité par de vrais danseurs.
Depuis combien de temps pensez-vous au Bal de Paris ?
Tout est parti de mon premier film en réalité virtuelle, Blanca Li 360. Nous étions en 2015, la VR n’était pas encore très développée. Vingt danseurs avaient travaillé sur ce projet. L’idée de mettre un casque sur la tête et de me retrouver au cœur d’un monde fantastique avec tous ces danseurs autour de moi m’avait tellement fascinée que je voulais aller plus loin, car c’était une expérience solitaire, sans réelle interaction. J’ai immédiatement pensé : « Ce serait génial si les danseurs étaient vraiment là, physiquement, avec moi ! » C’est le pari un peu fou du Bal de Paris.
Quelle a été la première étape de ce travail ?
L’idée d’une fête où tout le monde serait invité s’est vite imposée. Je tenais aussi à ce qu’on puisse se raccrocher à une histoire, comme dans un spectacle classique. Très vite, je l’ai découpé en trois actes. J’avais en tête de beaux costumes, des décors magiques, un ballet de lumière et des chorégraphies pour lier tout ça. J’ai tout écrit avec précision, comme s’il s’agissait d’un long métrage.
Le Bal de Paris nous entraîne dans une fête somptueuse guidée par deux protagonistes, deux amants qui se retrouvent après des années de séparation...
Ma référence principale était l’opérette de Franz Lehár, La Veuve joyeuse. La trame est assez simple et raconte une histoire d’amour classique et universelle, façon Roméo et Juliette. Chacun est libre de la réinventer. Nous voici donc dans une fête qui célèbre une jeune femme dont on apprend qu’elle a jadis aimé un homme, mais qu’elle a renoncé à cet amour pour découvrir le monde, vivre des expériences... Or, ce soir-là, elle retrouve cet ancien amant. Ils se racontent leur vie. On comprend qu’ils s’aiment toujours. Il est donc question de regrets mais surtout de l’amour, plus fort que tout.
Et la ville de Paris sert de cadre à cette féerie…
C’est la ville où je vis. J’y suis très attachée. Paris est la ville de l’amour par excellence, une ville portée par cet idéal des sentiments. C’est peut-être un cliché mais comme tous les clichés, il possède une part de vérité. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les marques de luxe aiment se servir de l’image de Paris dans leurs spots publicitaires. La Ville Lumière fait rêver. On a donc travaillé sur ce mythe autour du chic, du glamour, de la mode et bien sûr de la culture... Cette idée de Bal de Paris porte déjà en elle un fantasme, des images, un rêve collectif. Le spectacle va pouvoir ainsi voyager aux quatre coins du monde.
C’est la danse qui mène le jeu, et donc la musique...
Je suis une inconditionnelle des comédies hollywoodiennes. Malheureusement, on n’en produit plus, c’est beaucoup trop cher. La VR me permettait, à mon humble niveau, d’en imaginer une. Lorsque nous surplombons la scène de bal au début de l’expérience, on peut voir deux cents danseurs qui valsent ensemble. Le spectacle se découpe en trois actes, trois ambiances musicales. D’abord une valse, qui nous replonge au début du XXe siècle, puis on passe à une atmosphère plus gipsy avec un orchestre gitan. Pour les trajets sur l’eau, nous avons utilisé des violons et des accordéons. Enfin, on termine avec le french cancan, symbole d’un Paris éternel et festif. Tout le monde danse. J’ai filmé au préalable des danseurs issus de ma compagnie, accompagnés de la musique urbaine ou électro. Pour le french cancan, j’ai travaillé avec une danseuse du Moulin Rouge, d’autres venaient du Théâtre du Soleil... Au centre du projet, il y a les deux personnages principaux. Ils sont incarnés par des danseurs qui participent à l’expérience en même temps que les spectateurs.
Tout le monde porte des masques d’animaux, pourquoi ?
Parce que les visages « humains » en VR sont affreux ! L’autre problème est le mouvement des lèvres qui n’est pas au point. Il était donc difficile de créer un parfait synchronisme. J’ai donc opté pour ces masques. Comme les lèvres sont absentes, c’est la danse qui accompagne la parole des protagonistes.
Ce spectacle a-t-il été difficile à concrétiser ?
Oui. Et je remercie ici le CNC qui a été le premier à croire au projet et à le soutenir. Sans lui, ce Bal de Paris n’existerait pas. L’enjeu, ensuite, était de trouver les bons interlocuteurs et donc le bon studio prêt à se lancer avec moi dans cette aventure. Les gens de BackLight ont été fantastiques. Ils m’ont accompagnée dans mes rêves et permis de repousser certaines limites inhérentes à ce type de projet. Cela a nécessité trois ans de travail.
Quelles étaient ces limites ?
Elles étaient nombreuses, mais la frustration fait partie intégrante de toute création artistique. Il faut composer avec. Prenez les mouvements des danseurs, par exemple, la VR ne permet pas une grande fluidité, il fallait donc que j’imagine des chorégraphies assez simples. L’espace est également restreint, vous ne pouvez pas concevoir des danses trop extravagantes. Lorsque les invités virtuels arrivent dans le bar, juste avant d’entrer dans la fête, j’aurais adoré que l’on puisse prendre des collations, mais c’était bien sûr impossible ! Enfin, la durée même du spectacle, 35 minutes, m’a été dictée par la technologie et correspond à l’autonomie des batteries.
On imagine que vous n’en avez pas terminé avec la VR ?
J’ai tellement appris en faisant ce spectacle que j’ai envie d’aller plus loin. Je vais accompagner les avancées technologiques pour proposer des choses encore plus folles. Les retours du public sont très encourageants. Les gens ont envie de sortir, de se toucher, de rigoler, de danser... C’est un projet ludique. Nous redevenons de petits enfants.
Le Bal de Paris
Une production de la Compagnie Blanca Li (Film Addict - Calentito)
Une coproduction de BackLight Studio, Fabrique d'Images, Actrio Studio
Direction musicale et musiques originales Tao Gutierrez
Direction de la création visuelle Vincent Chazal
Costumes CHANEL
Développement en Réalité Virtuelle BackLight Studio