Diplômé des Gobelins en Interactive Digital Experience, vous êtes designer interactif, game designer et réalisateur VR. Comment s’entremêlent ces trois fonctions ? Est-ce pour cette raison qu’il y a souvent des mécaniques de jeu dans vos expériences interactives ?
De ces 3 fonctions, la donnée commune est l’attention portée sur l’accès aux contenus, que ceux-ci soient fonctionnels, ludiques, narratifs ou les 3. Pour les projets sur lesquels je travaille, il s’agit de faciliter la prise en main des concepts interactifs, fusionner fond et forme, donner du sens au gameplay, et réfléchir à des gamefeelings (plaisir du geste, ressenti agréable pour effectuer une action) spécifiques au support.
Les mécaniques de jeu traduisent pour moi une pensée plus profonde. Les expériences numériques reposent sur des notions de “feedback” (action/réaction), de système (les actions sont interopérantes), de libre arbitre (quelle progression si je ne fais rien ?)… La place du spectateur, passive/réflexive face à une proposition artistique comme un film ou une pièce de théâtre, doit être repensée. Créer un système interactif, c’est offrir un échange, une discussion entre le créateur et des publics. Je vois les mécaniques de jeu comme un appel à la participation ; plutôt qu'être convaincu ou ému passivement. L’interaction participe, je l'espère, à façonner nos esprits pour qu’ils soient plus prompts à vivre l’instant.
Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans l’interactivité et la VR ?
J’apprécie beaucoup la simplicité et la puissance de ce dispositif. Pour les créateurs curieux, c’est un terrain de jeu idéal car tout reste à faire ; et surtout, pour l’instant, il n’y a personne pour vous dire comment faire les choses. Quel luxe ! La VR me plaît beaucoup car c’est à la fois une boîte de Pandore et une simple redécouverte de nos sens. Un retour en enfance, où la surprise est constante. Cette technologie est paradoxale : elle vous prend en otage dans ce casque immersif, mais elle crée de façon automatique une redécouverte de certains sens : analyse du toucher, amplitude de ses mouvements, écoulement du temps, subjectivité des réalités. C'est un sentiment qui nourrit mes réflexions en ce moment, l’introspection par le mouvement et le jeu.
Quelles contraintes et règles représentent de tels projets ?
D’un projet à l’autre, les contraintes diffèrent tellement… Pour ce qui est des créations VR interactives, construites avec des moteurs temps réel, un bon conseil serait probablement de ne pas réfléchir la VR avec les codes du cinéma. Il faut trouver ce en quoi la VR est unique, définir des bons termes, puis la grammaire. Il y a encore beaucoup de chemin à faire. Aujourd’hui, les anciens médias sont très critiques, voire méfiants, par rapport à la VR parce qu’ils la comparent au cinéma.
Les contraintes commencent par la prise en main. C’est simple, combien d’entre nous ont appris toutes les fonctionnalités de leur magnétoscope ou ont lu entièrement le fascicule ? Et à contrario combien ont juste appris à faire -play- ou -record-? Les tutoriels sont un gros enjeu, il faut être très pédagogue. Mais nous ne sommes pas habitués à ça, nous voulons souvent cacher les injonctions, faire que tout soit naturel, et c’est un tort je pense. Au moins concernant les vidéos 360°, il suffisait simplement de désobéir aux 100 ans de subordination au grand écran, c’est-à-dire faire comprendre au spectateur qu’il peut se retourner. En l’asseyant sur un siège pivotant pour commencer, puis par des jeux de mise en scène (déplacement d’acteur, lumière, son,...). Mais le libre arbitre change la donne dans ces expériences VR. C’est l’environnement, le design d’espace et « l’affordance » des objets qui incitent la personne qui vit l'expérience à agir. Vous êtes le cadre, vous décidez du focus, de la durée de vos actions.
En tant que créateur vous devez penser comme un architecte, comme un designer d’objet et, en plus des habituels lumières, esthétiques, personnages, il y a toute l'expérience utilisateur à prendre en compte, donc tous les enjeux cognitifs et comportementaux. Ajoutez à ça les limitations techniques et vous vous retrouvez avec une charge de travail pléthorique.
Quels étaient, au niveau de l’écriture, les enjeux de 7 Lives que vous avez coécrit avec Sabrina Calvo et qui a été réalisé par Jan Kounen ?
La première envie était d’enquêter sur soi-même, suite à une perte d’identité. Ecrire pour un point de vue à la 1ère personne paraissait naturel en VR. Au fil de nos discussions, nous avons épuré la chose pour nous consacrer à l’aspect sensoriel, proche d’une expérience de “sortie de corps”. Dans cet état, tout n’est que sensation, un flottement dans un grand tout. Seul un surpassement cognitif vous permet de vous raccrocher au monde. Nous avons tissé un parallèle entre cet acte et le principe de résilience : pour panser un trauma, il faut faire un pas de côté, prendre du recul, pivoter, et regarder dans une autre direction. Nous avons délibérément laissé les voix japonaises non traduites pour créer une distanciation qui, nous espérons, renforce le focus sur le ressenti et l’instant présent. Comme cet état de contemplation vigilante lorsqu'on voyage à l'étranger. Un premier prototype (la chambre de l’otaku) a permis de travailler la mise en scène des acteurs et l’éclairage ainsi que les enjeux sonores pour aider à la spatialisation. Ensuite en post prod, nous avons travaillé les effets visuels « dynamiques », c’est à dire ceux qui ne s’exécutent que si le spectateur bouge. C’est une façon d’impliquer davantage, d’augmenter ce degré de « présence » dans la fiction.
Comment est née cette création VR ?
Lors d’un voyage au Japon, on m’a demandé si j’avais des idées de projets en VR (les entreprises avaient reçu leurs premiers casques VR). Pour des raisons personnelles j’avais envie d’aborder le sujet des expériences de mort imminente, et l’envie de sculpter la matière vidéo pour créer une “expérience”. Marie Blondiaux, la productrice avec qui nous faisions « PHI », en a parlé à Jan, qui réalisait « Mère Océan » avec Bellota Films, parce que l’univers pouvait lui parler. Etant un grand fan, j’étais ravi. Jan ne vient pas du tout du jeu, mais sa curiosité et sa plasticité lui ont fait très rapidement comprendre les possibilités de cette nouvelle matière visuelle.
Dans 7 Lives, il y a une lecture possible sur la comparaison entre corps/esprit et jeu vidéo/cinéma. L’histoire débute par une scène d’exposition où vous subissez l’action, votre esprit est prisonnier d’un corps. Vous êtes spectateur “classique” par rapport à l’image (vidéo 360° linéaire). Puis via l’accident, vous n’êtes plus qu’esprit, vous vous déplacez concrètement là où porte votre regard (scène en 3D temps réelle). Ensuite dans les phases de trauma, vous, l’esprit, aidez la personne à faire preuve de résilience face à un événement personnel qui l’a impactée. En l’aidant à regarder au bon endroit, vous la rattachez à sa vie, et par ce geste vous vous réconciliez avec la vôtre.
Parmi les projets qui marquent votre parcours figure SENS, premier jeu vidéo en VR s’inspirant de l’univers d’une BD. Quel était le point de départ d’un tel projet et que raconte-t-il ?
Dans SENS, vous arrivez dans un monde où tout a une forme de flèche. Dans la BD, le personnage les suit inlassablement. Pour Marc-Antoine Mathieu, son auteur, SENS parle de la vanité, au sens art visuel, une représentation allégorique de la mort, du passage du temps, de la vacuité des passions et de l’activité humaine. Dans tous ses romans graphiques, Marc-Antoine Mathieu interroge le support, la page ou la case, et parfois se joue aussi du 4ème mur. Ça me paraissait un bon terreau pour explorer ce nouveau médium. La première problématique partagée avec Armand Lemarchand (coréalisateur de cette expérience), était de trouver la mécanique entre la vue à la 1ère et à la 3ème personne, puis d’adapter ce labyrinthe “invisible”. La limitation technique (jeu accessible sur mobile) nous a fait préférer un parcours linéaire interactif plutôt qu’une liberté totale de déplacement. La première intuition était que l’univers graphique de SENS, minimal et puissant à la fois, serait facile à adapter. Peut-être pour des équipes chevronnées... Mais maîtriser le pipeline 3D, l’animation, le level design, l’interaction ou encore le son spatialisé tout en visant la mise en ligne sur support Cardboard 2, Gear VR (ces appareils sans fil qui permettent de transformer un smartphone en casque VR ndlr), en version « magic window », sur Android, et iOs, n’a pas été une mince affaire.
Autre projet, autre matériau de base : la peinture avec Le Cri imaginé avec Sandra Paugam pour la collection Arte Trips.
Le fait que ce tableau d’Edvard Munch soit un repère dans l’histoire du courant expressionniste est en soit un très bon matériau. Je pense qu’on peut trouver quelques accointances entre la VR et ce mouvement pictural. L’idée de Sandra était que nous n’avions pas à plonger dans le tableau pour le raconter, ce qui m’a plu. Nous voulions essayer de comprendre le peintre, son vécu, pour mieux comprendre ses intentions artistiques. Comme si la salle de musée était sa boîte crânienne, et nous, les visiteurs de son subconscient. En somme, le reflet de sa personne projeté sur la toile, comme la fin de l'expérience où nous nous voyons dans le tableau devenu miroir. Nous n’avons pas essayé de copier l'esthétique de Munch, plutôt de faire ressentir ses émotions. Ça n’a pas été évident mais les équipes de Cinétévé et Backlight ont su relever les défis. De même que Franck Weber, compositeur sonore et partenaire de création devant l’éternel, a une fois de plus fait des miracles.
Quels sont vos prochains projets ?
Prochainement vous pourrez essayer sur smartphone « MOA » une fiction interactive, en réalité augmentée, qui se déroule dans la ville du roman Les Furtifs d’Alain Damasio. En 2040, votre IA personnalisée vous accompagne, vous aime et vous traque. Jusqu’où irez-vous sans vous révolter ?