Comment est née l'idée de ce jeu ?
Je suis game designer freelance et j’avais déjà fait plusieurs missions pour InnerSpace. Nous voulions continuer à travailler ensemble, j'ai accepté en précisant que j'avais également envie de tester un gameplay que j'avais en tête tout en essayant d'avoir quelque chose qui ne coûte pas cher à produire. C’était une contrainte de production : le jeu devait être rentable en termes de potentiel d’énigmes mais avec un coût de développement moindre. D’où le fait de partir sur une mécanique de mise en abyme et des énigmes qui en découleraient : il s’agit simplement de reproduire les mouvements du joueur à différentes échelles. Je travaillais depuis quelques années sur des escape games. J'en avais réalisé sept ou huit, ce qui a influencé mon inspiration sur le lieu clos et les énigmes à résoudre.
Quel a été le processus de création de A Fisherman's Tale ?
Les ressources étant ce qu’elles sont, on ne pouvait pas se lancer comme ça dans le projet. Dans un premier temps, il fallait faire une proof of concept (un test de faisabilité ndlr) : avec deux stagiaires, nous nous sommes enfermés dans une petite salle et nous avons fait une série de cinq ou six puzzles avec une maquette cubique au centre. L'une des énigmes concernait des poissons qui se dévoraient entre eux, le plus gros poisson mangeant le moyen, etc... A voir ces trophées de poissons sur les murs, ça a inspiré tout un univers nautique. Entre le moment où j’ai pitché le projet et où il est sorti, il y a deux ans et demi de travail. Le projet a été en stand-by à certains moments mais la phase de recherche des énigmes et de pré-production a duré un an, un an et demi.
Etait-ce un défi de réaliser un tel univers à plusieurs dimensions ?
Oui totalement. Niveau technologique, les codeurs ont fait un travail énorme pour savoir jusqu'où on pouvait pousser la récursion et combien de tailles d'objets on pouvait mettre sans que le jeu n'explose. Nous allons au maximum jusqu’à n+2 et n-2, après ça devient trop petit pour que le joueur puisse voir car le facteur d’agrandissement et de rétrécissement est x10. L’aspect scénaristique a également été un challenge : il fallait que l’histoire ne soit pas gratuite et que la mise en abyme soit justifiée dans le jeu. L’aspect de l’univers marin est venu d’éléments de décor qu’on trouvait jolis. Nous souhaitions également mettre un autre thème en valeur, celui de l'évasion qui est un héritage de l’escape game. Hadrien Lanvin, le producteur qui nous a rejoints et qui a pris la direction d’InnerSpace, a proposé d’ajouter des compagnons. Nous nous sommes demandés s'ils ne pouvaient pas chacun incarner une notion d’évasion. La peur est représentée par le bernard l’hermite enfermé dans sa coquille qui a très peur de l’orage. Le thon obèse est un beau symbole de la gloutonnerie des pêcheurs qui pêchent encore et encore plus de poissons. Et enfin il y a la prison de l’hérédité et la pression familiale avec le père qui impose à son fils son parcours. Le joueur, à chaque chapitre, est amené à détruire ces barreaux symboliques.
Quels sont les avantages et contraintes de la réalité virtuelle ?
A Fisherman's Tale a été pensé pour la VR. Ce qui est bien, c'est qu'elle permet de prototyper assez rapidement des choses novatrices. Pour la réalité virtuelle en vue subjective, il ne faut pas gérer la caméra car le joueur regarde autour de lui : c’est l’un des petits avantages de cette technologie. Mais c’est à double tranchant : comme nous n'avons pas le contrôle de la caméra, nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons. Nous ne pouvons pas, par exemple, zoomer sur quelque chose qu’on souhaite mettre en valeur ou faire des travellings. On reste avec la caméra au niveau de la tête du joueur. Il faut donc savoir comment mettre en scène et attirer l’attention du joueur. Si on fait une belle cinématique et que le joueur ne regarde pas, il ne la verra pas. Contrairement au cinéma où tout le monde regarde un écran, on ne sait pas quand les joueurs vont se retourner par exemple. Il y a donc des techniques pour mettre en avant certaines choses : on passe l’univers un peu dans la pénombre, on fait tout doucement tourner le décor, on travaille le level design en mettant par exemple la maquette au centre de la pièce. Il faut réinventer le game design avec la réalité virtuelle et c’est passionnant.
Produit par InnerSpace VR et coproduit par ARTE France, A Fisherman's Tale a bénéficié du soutien du CNC, du New Media Fund de la Ville de Paris et de la BPI France.