C’est, de l’aveu même de ses concepteurs, un « objet plastique non identifié ». Une nouvelle façon d’exposer le cinéma. Pendant cinq soirs, une création inédite, conçue à partir d’images issues de l’œuvre de Wim Wenders, va être projetée sur la structure intérieure de la Nef du Grand Palais. Le résultat s’annonce monumental : le dispositif est constitué de 12 projecteurs 4K, pour un « mapping » des 13 500 mètres carrés de la Nef, offrant aux visiteurs la possibilité d’une véritable immersion dans les images. Conçu autour de deux thématiques (« le mouvement » et « la recherche du sens perdu »), l’événement permettra de retrouver des images de quelques-uns des films les plus célèbres du cinéaste, de Alice dans les villes aux Ailes du désir. Le commissaire de l’exposition, Jérôme Neutres, nous expose les enjeux d’(E)motion.
Comment est né ce projet?
Jérôme Neutres : De discussions à bâtons rompus avec Wim Wenders autour de la question : qu’est-ce que ça veut dire, exposer le cinéma ? Les expositions sont à la mode aujourd’hui, même si je ne suis pas certain qu’on doive tout exposer. Souvent, l’exposition du cinéma, ça revient à exposer le contexte, ce qu’il y a autour des films, une forme de fétichisme, la robe d’une actrice, des accessoires, un morceau de décor, des lettres, des archives… On s’est demandé s’il ne fallait pas essayer de se débarrasser un instant de la dimension narrative du cinéma pour se concentrer sur sa dimension plastique, picturale. Et on s’est lancé dans cette aventure que nous qualifions d’« objet plastique non identifié ». Wim Wenders replonge dans ses propres films pour créer une nouvelle œuvre. Une méta-œuvre, un méta-film, qui oublierait les histoires, les intrigues, pour se concentrer sur le mouvement, les visages, les paysages… Comme on le ferait dans une exposition thématique, on verra ainsi des correspondances, des récurrences. On constatera aussi à quel point Wim Wenders est un grand peintre, un grand photographe, un grand fabricant d’images. Dans le même champ de vision, le long des 13500 mètres carrés de la Nef du Grand Palais, avec 12 projecteurs 4K, on voit « simultanément » un kaléidoscope d’images, à la façon d’une exposition rétrospective. On comprend alors autre chose que si on voyait tous les films de Wim Wenders les uns à la suite des autres.
On pense aux expositions Monumenta, qui avaient déjà lieu dans la Nef du Grand Palais…
Oui, certaines images font 40 mètres de haut. La Nef, ces dix dernières années, a surtout eu une visée commerciale, avec les salons d’art comme la FIAC. Et quand elle a été le lieu de présentation d’un artiste, c’était pour Monumenta. (E)motion, c’est une sorte de Monumenta cinématographique.
Pourquoi Wim Wenders plus qu’un autre ?
Ce n’est pas un hasard si ces conversations ont eu lieu avec lui : il a la particularité d’avoir mené tout au long de sa vie des carrières parallèles de cinéaste et de photographe plasticien. Il a exposé dans des musées, des galeries, etc. Il n’y avait pas de lieu pour faire la synthèse de ces deux œuvres parallèles. Là, on a trouvé une solution pour que son côté plasticien s’exprime pleinement tout en prenant pour objet ses films de réalisateur.
Qu’est-ce que Wenders dit de lui et de son cinéma à travers les images qu’il a choisies ?
C’est à chacun de tirer ses conclusions. Ça m’a fait penser à Miro, que nous avons exposé au Grand Palais l’an dernier, qui reprenait ses tableaux vingt ans après, pour les poursuivre, et en faire ainsi une nouvelle œuvre. C’est un peu ce que fait Wim Wenders ici. Ce qui m’a le plus intéressé, c’est ce que j’ai vu de son cinéma que je ne voyais pas avant. Sans l’intrigue, le récit, la dramaturgie, on est confronté à l’image dans son essence, dans sa pureté, et c’est un nouveau spectacle. On revoit des images de Wenders qu’on connaît déjà mais on va avoir l’impression de les voir pour la première fois.
(E)motion, au Grand Palais, du 18 au 22 avril, de 21h à minuit. Gratuit.