Comment a été créé French Game ?
Ce documentaire est né après Touche Française, une première série sur la French Touch réalisée il y a trois ans. En rencontrant les acteurs de la musique électronique, je me suis rapidement aperçu qu’il y avait un parallèle historique en France entre cette musique et le rap. L’entrée en radio s’est faite presque au même moment, dans les années 1990. C’est d’ailleurs à cette époque que le grand public découvre vraiment le rap avec NTM, IAM, MC Solaar alors qu’arrivent au même moment les Daft Punk et d’autres acteurs de la scène électro. Ce sont deux musiques de contre-culture qui ont des existences différentes. Aujourd’hui, le rap s’est approprié un modèle américain avec une langue française, un territoire français, alors que la French Touch électro a fait de son côté un trajet France – Etats-Unis. Ce sont deux trajets parallèles mais inverses.
Pourquoi avoir choisi de traiter les choses sous forme de série au format très court ?
La websérie Touche Française s’est faite un peu avec une mécanique de série et nous trouvions, avec Priscilla Bertin, la productrice de Silex Films, que continuer dans cet état d’esprit pouvait faire une belle collection. Arte a été à l’écoute et a répondu positivement à notre souhait. Ce format très court est une nouvelle écriture documentaire que je défends depuis longtemps. Je pense qu’on peut faire du documentaire avec un positionnement auteur sur des formats courts, immersifs, subjectifs et agréables à regarder. Avec Arte Creative, le fonctionnement sériel était requis mais ce n’était pas une contrainte.
La durée des épisodes – entre 5 et 8 minutes – n’était-elle pas malgré tout une contrainte pour l’écriture du scénario autour de ce sujet aussi vaste que celui du rap français ?
L’idée était justement de faire de cette contrainte un atout et « d’essentialiser » : je n’ai pas la prétention d’écrire l’Histoire du rap français mais une histoire, c’est-à-dire les étapes importantes de ce cheminement pour moi. Nous n’avons pas réussi à avoir certains morceaux pour des problèmes de droits musicaux. Mais nous voulions avoir des étapes, via 12 morceaux au départ ramenés à 11 ensuite, pour montrer les marqueurs de cette histoire et aller du hip-hop à la pop.
Etait-ce frustrant de se limiter à 12 morceaux seulement ?
Non : personnellement, j’aime bien ce type de contraintes. Il y a évidemment des choix à faire : certains moments que j’adore n’ont pas été intégrés tandis que d’autres ont été écartés pour des raisons de droits. Il y a forcément une frustration mais tout projet de montage et d’écriture est l’école du choix. Honnêtement, je pourrais faire un documentaire de 52 minutes sur Oxmo Puccino, Booba ou NTM. L’exercice ici était de vraiment extraire les lignes fortes de chaque personnage.
Comment avez-vous choisi cette playlist allant de Demain, c’est loin d’IAM à Autotune de Damso ?
Certains morceaux, comme Bouge de là de MC Solaar, étaient des évidences. Ce titre est vraiment le premier morceau « grand public » français : il a fait entrer le rap dans la chanson française. D’autres ont été choisis car ils ont été de grands succès comme Viens voir le docteur de Doc Gynéco : son album est celui qui s’est le plus vendu et il était important de savoir pourquoi. Nous avons choisi certains morceaux pour ce qu’ils racontent, comme l’arrivée d’Internet ou l’autotune : il doit y avoir une histoire contextuelle forte accompagnant chaque titre. Booba est présent par exemple à plusieurs époques, notamment celle de 1990 avec Lunatic. Mais nous avons choisi de l’évoquer dans les années 2000 au moment où il va mettre sa patte sur la diffusion, la production de vêtements et sur d’autres domaines.
Comment s’est passé le travail d’écriture avec vos deux coscénaristes, Azzedine Fall et Guillaume Fedou ?
J’avais déjà travaillé avec Guillaume pour écrire Touche Française. Pour French Game, tout s’est fait naturellement, mais nous avons davantage travaillé ensemble sur les années 1990 qu’il apprécie plus particulièrement. Azzedine lui est plus axé sur le rap post-années 2000.
De nombreuses archives souvent personnelles sont rassemblées dans French Game. Comment les avez-vous trouvées ?
Certaines ont été obtenues grâce à des personnes telle que Monte Cristo (qui a produit NTM, ndlr) que je connais bien. J’ai notamment pu avoir, grâce à lui, une archive vraiment inédite d’une session d’enregistrement du groupe à New York dans les années 1990. D’autres ont été trouvées via l’INA par exemple. L’une des pépites de la série pour moi est l’extrait avec Jacques Martin présentant « Mac Solaar (sic) » et lançant ensuite, alors qu’il est la personne la plus écoutée de France, que le « rap n’est pas sa tasse de thé » : c’est représentatif de l’époque. J’ai travaillé avec une archiviste et ma monteuse, Lola Margrain. Nous avons eu de nombreuses contraintes au niveau des droits : ma productrice redoutait les procès. Mais mélanger archives et interviews est un vrai plaisir pour moi. J’aime que le film essentialise tout en étant immersif et en télescopant différents formats et différentes sources.
Que voulez-vous qu’on retienne de French Game ?
Que le rap est un mystère. Personne, à commencer les maisons de disques, ne misait sur ce style musical. Et pourtant il s’est rapidement imposé en devenant omniprésent en France. Personne n’explique vraiment ce succès. Nous revenons sur ses points importants mais nous n’avons pas non plus la réponse. Il y a de nombreuses couches qui peuvent l’expliquer : le rap touche des questions sociales essentielles en France, telles que l’intégration ou le racisme. Dans French Game, nous posons une série de questions sur ce genre qui domine la musique.