Comment vous est venue l’idée de French Waves ?
J’ai grandi à Strasbourg et lorsque je me suis installé à Paris après le bac avec ma bande d’amis, nous avons créé le collectif Pain Surprise avec lequel nous avons organisé des soirées. Pour les promouvoir, nous faisions des petits teasers vidéo. Des amis, comme Jacques qui est dans le film, faisaient la musique, d’autres s’occupaient de l’écriture… Nous y avons invité des artistes électro car c’était notre univers et une de nos passions. Puis tout le collectif a été amené à participer au film Eden de Mia Hansen-Løve, inspiré de la vie du DJ Sven Løve (le frère de la réalisatrice, NDLR), et plus précisément mon ami Félix de Givry qui tenait le rôle principal. En lisant le scénario, je me suis rendu compte qu’il y avait une similitude entre l’énergie collective existant en France chez les DJ de French Touch de la fin des années 1990 et ce que nous vivions au sein du collectif. Il y avait pour moi une piste à explorer sur ce lien entre les différentes générations.
Pourquoi en avoir fait un projet transmédia ?
En présentant ce projet à mes producteurs, ils m’ont demandé de réfléchir à la manière que j’avais d’écouter de la musique, de voir des films ou encore des clips. Je me suis donc rendu compte que je me confrontais à cette culture-là de différentes façons : en allant en soirées, en écoutant de la musique à la maison, en regardant des films au cinéma mais aussi des clips chez moi… Je trouvais donc normal d’essayer de partager ma passion via différents biais, notamment avec un film documentaire. Il y a également une websérie qui retrace dans chaque épisode l’histoire d’un titre, un site internet moins personnel pour lequel nous nous sommes associés à des journalistes afin de raconter la musique électronique de 1989 à aujourd’hui, et enfin une série de soirées à travers le monde.
Chaque soirée est accompagnée d’une master class. Pourquoi ?
Au début du projet, nous avons eu l’opportunité de faire une soirée à New York mais le film n’était pas encore terminé. Nous avons donc pensé à ce concept de master class qui mélange écoute de musiques, performances live et échanges avec le public. L’idée était de démystifier l’acte de création et de donner envie aux jeunes producteurs de musique présents dans la salle de se lancer à leur tour. A chaque soirée, nous réunissons des artistes de générations différentes (un dans la vingtaine, un autre dans la trentaine, etc...) et invitons également un artiste local. A travers French Waves, nous voulions faire un état des lieux et montrer que cette musique, qui a été stigmatisée dans les années 1990 car associée aux rave-parties et à la drogue, était aujourd’hui partout. Même la musique classique utilise des méthodes de production de l’électro.
Comment s’est articulé votre travail avec Zorba, vos producteurs ?
J’ai travaillé main dans la main avec Zorba qui m’a été présenté par Mia Hansen-Løve. Ils m’ont accompagné au cours de ce projet de longue haleine. J’ai commencé ce projet en 2013 et il n’a vu le jour qu’après 4 ans de travail. J’ai tourné plus de 400 heures de rushes à travers le monde, j’ai récupéré une cinquantaine d’heures d’archives et il y a plus de 50 artistes impliqués. C’était compliqué car il fallait gagner la confiance de tous les artistes et des managers.
Etait-ce la plus grande difficulté du projet ?
Non, la première grande difficulté a été de trouver ma voie pour savoir comment raconter cette histoire, dans le film, en essayant d’apporter quelque chose de personnel qui n’a pas été vu ailleurs. Il était également assez difficile de faire comprendre qu’on ne voulait pas s’inscrire dans un positionnement musical en particulier. Certains managers ne souhaitaient pas que leurs artistes soient associés à d’autres plus commerciaux, et à l’inverse, certains regrettaient qu’il n’y ait pas assez de profils commerciaux : dire que l’on se moquait de leur positionnement et que seule la démarche artistique et créative nous intéressait a été le plus difficile. Enfin, il était également compliqué de faire comprendre l’aspect transmédia car de tels projets étaient rares en 2013.
Quelles étaient vos ambitions en termes narratifs pour chaque branche du projet ?
Chaque partie est différente. Chaque épisode de la websérie raconte l’histoire d’un titre qu’il soit emblématique – tel que Lazy de Mojo qu’on entend depuis plus de 20 ans et qui passe tous les jours sur les radios - ou d’artistes plus underground comme Valentin Stip. Ce dernier a d’ailleurs créé un morceau pour la websérie en utilisant le bruit d’une branche, trouvée dans la forêt, qu’il a craquée. Pour le documentaire, je voulais faire un lien entre les différentes générations en commençant par les anciens et les histoires que je n’ai pas vécues, comme l’avènement des rave-parties en France. Nous avons un peu changé la forme du film pour la partie sur les jeunes artistes : nous sommes allés en studio et tournées avec eux pour entrer dans les moments de vie et avoir des choses plus intimes. Enfin, nous nous sommes rendus à Chicago et Detroit pour remonter aux origines de cette musique qui était au départ communautaire et assez marginale. Personne n’aurait pu imaginer qu’elle allait inspirer des Français qui en feraient une French Touch qui rayonne à travers le monde.
Quel bilan faites-vous de ces deux années de French Waves ?
Le plus excitant avec French Waves n’était pas d’emmener ce projet dans les grandes villes du monde, où on sait que l’électro existe, mais de le présenter dans des endroits où on n’imaginait pas que cette musique allait toucher autant les gens. Je pense notamment à l’Uruguay où nous avons organisé des fêtes dans des endroits perdus au bord de la mer, dans des petits villages sans électricité : les habitants dansaient. Cette musique a quelque chose d’universel qui connecte les gens.
Ce projet a bénéficié du fonds d'aide aux nouveaux médias et de l'aide au spectacle vivant du CNC.