Quel est le concept derrière Kannibal Hub ?
J’avais envie de faire quelque chose autour des arts plastiques et des arts visuels dans la zone des Caraïbes qui soit la représentation de son rayonnement culturel. C’est pour ça qu’on a aussi tourné à Miami, à Paris, à la Biennale de Venise, à Bâle ou à Bruxelles. Tout est parti d’une curatrice que j’ai rencontrée par hasard lors d’un tournage à Trinidad. Elle organisait le festival Tout Monde à Miami, dans lequel se retrouvent des Cubains, des Haïtiens, des Vénézuéliens, mais aussi des Martiniquais, des Guadeloupéens et des Guyanais. J’ai adoré le concept. On avait des gens avec des langues différentes, des couleurs différentes, mais qui partageaient la même culture caraïbe.
Pourquoi « Kannibal » ?
Parce que ça veut dire Caraïbes, en fait. C’est un terme qui détermine une ethnie et non pas des anthropophages ! C’est aussi une référence à l’anthropophagie culturelle prêchée par les poètes brésiliens, qui parlent de manger la culture du colonisateur pour prendre sa force et s’épanouir.
Pourquoi est-il est important de mettre la lumière sur ces artistes caribéens contemporains ?
Je cherchais à faire quelque chose autour de l’art visuel, parce que c’est assez rare. On parle souvent des Caraïbes en termes de musique, de littérature, de cuisine... Mais peu des arts visuels, alors qu’ils sont foisonnants. Ce festival à Miami a été la confirmation qu’il y avait des choses à faire sur ce sujet. J’y suis donc allé deux années de suite, en 2018 et 2019, et j’ai ensuite gardé pour cette série le concept « Tout Monde » d’Édouard Glissant.
À quoi correspond exactement ce concept de « Tout Monde » ?
On en parle beaucoup en ce moment, c’est cette idée de « créolisation ». Il parle de peuple racine et des peuples rhizomes, constitués d’un réseau et non pas attachés à une terre en particulier. Finalement, on aurait presque pu construire la série sur les traces du commerce triangulaire, entre Afrique, Amérique et Europe, cette culture triangulaire qui existe toujours et qui a été tissée depuis des siècles. C’est pour ça que dans chaque épisode, il y a souvent deux destinations : en Guadeloupe et à Venise, à Miami et en Martinique, etc. On met en avant cette relation au monde, pour montrer que ces artistes ne sont pas complètement déconnectés du reste du monde.
Comment avez-vous choisi les artistes que vous avez filmés ?
Il y en avait certains que je connaissais de Paris. D’autres que j’ai rencontrés lors du festival à Miami. Ce qui a été déterminant, c’est leur côté iconoclaste. Cette manière d’avoir à la fois une identité créole, et en même temps de porter ce regard ouvert sur le monde. Cette envie de croquer le monde, un peu cannibale justement. Elle fait rupture avec cette approche « doudouiste » du XXe siècle. On a voulu montrer cette nouvelle génération d’artistes décomplexés, presque punk dans son approche, et qui a su garder son identité.
Qu’est-ce que cela englobe, les « arts visuels contemporains » ?
Le street art d’abord. Il y a tout une partie des artistes présentés dans la série qui vient de là. Après il y a de la sculpture, de la peinture, des installations, parfois plus conceptuelles. Et ça va jusqu’à la performance en live.
Combien d’épisodes avez-vous tournés ?
On a filmé 30 épisodes au total, qui sont tous en ligne sur le portail des Outre-mer La 1ère [ex France Ô, NDLR]. Au début, on avait cette ambition d’être exhaustif et d’aller filmer dans toutes les îles des Caraïbes. On voulait tourner quatre documentaires pour France Ô. Puis le projet s’est recentré sur les francophones et finalement sur les artistes français d’Outre-mer. La chaîne a fermé et les quatre docs se sont transformés en web-série, avec ces 30 épisodes qui font de 7 à 12 minutes.
Selon vous, comment se définit la culture caribéenne moderne ?
Cannibale évidemment. Originale certainement. Surtout, c’est la culture de demain pour les Antillais, qui s’émancipent désormais de la métropole. Pendant très longtemps, il y avait cet aspect « artiste de province », presque condescendant, quand on parlait de l’art caribéen. Il fallait forcément passer par Paris lorsqu’on était artiste martiniquais ou guyanais. Aujourd’hui, il y a plein d’artistes qui font leurs premières expos directement à Miami, sans passer par la métropole.
Kannibal Hub, voyage dans le Tout Monde
Réalisée par Gérard Maximin
Coproduite par Eclectic Presse et Corto&Co
30 épisodes disponibles sur La 1ère