Le théâtre de la Manufacture lance un appel à projets en réalité virtuelle

Le théâtre de la Manufacture lance un appel à projets en réalité virtuelle

16 mars 2021
Création numérique
Jardin La Manufacture Festival d'Avignon 2017
Jardin La Manufacture Festival d'Avignon 2017 Alexandra de Laminne
L’association phare du OFF avignonnais s’est alliée à plusieurs acteurs européens pour monter REAL-IN, un projet couplant réalité virtuelle et initiatives pluriartistiques. Nous avons interrogé le directeur de la Manufacture, Pascal Keiser, sur ce nouveau terreau créatif.

Pouvez-vous définir le projet REAL-IN en quelques mots ?

Nous avons décidé de réfléchir avec plusieurs partenaires européens afin de répondre à un appel à projets de la division média de la Commission européenne. Ce projet est basé sur l’association d’acteurs culturels et d’entreprises de nouvelles technologies. Nous avons construit ce consortium avec une volonté « transsectorielle ». Il se compose de la Manufacture d’Avignon (arts vivants), du MEET Digital Culture Center de Milan (associé à la Design Week), de l’institut barcelonais d’arts graphiques Espronceda (associé au festival Mira) et d’un jeune festival de réalité virtuelle à Hambourg, le VRHAM !. Nous avons travaillé pour créer une dynamique entre ces quatre villes et ces quatre festivals. Chaque festival sélectionnera un projet, qui aura droit à une résidence d’une semaine chez Dark Euphoria. Les travaux finis seront présentés au cours de ces festivals, accompagnés d’un symposium européen pour échanger sur l’alliance entre art et technologies innovantes. Le premier appel à projets, lancé par nos collègues d’Hambourg, a enregistré une trentaine de réponses. Le nôtre aura lieu en automne, pour une diffusion de l’œuvre lors de l’édition 2022 du festival d’Avignon. 

Pourquoi avoir choisi Dark Euphoria, cette entreprise marseillaise spécialisée dans la captation de mouvement du public et l’interactivité ? 

C’est une filiale qui a développé une certaine expertise du scanning 3D. Nous les avons approchés pour travailler uniquement sur la technologie 3D avec une projection libre des images : un dôme, des murs blancs…

On essaie de trouver des projets amorcés et qui coïncident déjà avec les techniques immersives de Dark Euphoria. La résidence ne durant qu’une semaine, on ne pourrait pas créer un projet de toutes pièces en si peu de temps.


Pourquoi avez-vous décidé de vous orienter vers une réalité virtuelle de groupe et de vous éloigner du traditionnel casque individuel ?

Nous nous sommes rendu compte que les casques VR individuels, dans le cadre d’une exploitation festivalière, sont un matériel assez lourd à gérer. Cela nécessite du personnel supplémentaire, plusieurs jeux de casques pour pallier ceux qui doivent être rechargés, ce qui réduit drastiquement le nombre de spectateurs. À cela s’ajoute la problématique sanitaire, avec la désinfection systématique des casques. Et ça reste une expérience individuelle. Nous avons fait le pari de nous intéresser aux alternatives des casques individuels, notamment aux technologies liées à la « Kinect » [détection de mouvements, NDLR] et au scanning 3D, à la fois capable de capter le mouvement d’un groupe de personnes et d’un individu précis.

La Manufacture a vu passer plusieurs spectacles qui mettaient la réalité virtuelle au centre de leurs idées de mise en scène. Qu’est-ce que la technologie apportait à ces projets ?

Il y a d’abord eu Les Falaises de V. de Laurent Bazin en 2017. C’était une expérience VR avec une dramaturgie très immersive. Le spectateur était mis en situation dans le futur. Il se glissait dans la peau d’un prisonnier qui se voit proposer une remise de peine en échange du don de ses yeux. Les spectateurs étaient accueillis dans une salle d’attente, avec une vraie infirmière. S’ensuivait toute une mise en situation avant que les gens ne s’allongent et mettent le casque de réalité virtuelle. En 2019, nous avons présenté une adaptation de L’Écume des jours de Boris Vian, dans le cadre du centenaire de sa naissance. Ce spectacle [mis en scène par Julie Desmet Weaver, NDLR] était davantage basé sur l’interactivité du public face aux images projetées, grâce à des capteurs sensoriels.

Les projets construits autour des techniques de réalité virtuelle privilégient souvent une performance entièrement numérique. Risque-t-on, selon vous, de dériver vers une forme d’art trop désincarnée ?

Un des problèmes que cause la pandémie est une certaine forme de saturation vis-à-vis des écrans que l’on a tendance à utiliser à longueur de journée. Le projet que l’on propose est plus « incarné » puisqu’il y a une présence physique des spectateurs sur le plateau. On n’est pas dans une situation où chacun est face à un contenu numérique.

Il y a certainement « plus de chair » dans les projets que l’on essaie de développer. Mais cela reste de l’immersif sans la présence des artistes. On pourrait en revanche imaginer un projet ou des acteurs seraient disséminés au milieu du public.


La crise a également changé la perception que nous avions de la scène traditionnelle…

Je pense que la crise actuelle génère beaucoup de questions sur la nature même de la scène. Doit-elle se limiter à cette boîte noire classique ou évoluer vers l’extérieur et les sites spécifiques ? Peut-être que ce projet va amener certains artistes à créer en dehors des boîtes noires. Et cela nous amène à nous demander si la scène traditionnelle est le meilleur endroit pour faire du théâtre et attirer un public nouveau. C’est d’ailleurs une question à laquelle nous sommes sensibles, comme le montre notre implication dans le projet Centryphery, qui n’inclut que des projets participatifs conçus pour des scènes spécifiques.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis du festival d’Avignon cette année ?

On est en attente d’une décision de la part de l’État. On se prépare aux différents scénarios possibles, que ce soit une annulation totale ou une jauge de places limitée. Je pense que le festival IN aura lieu car la plupart des scènes sont en extérieur, mais l’organisation risque d’être plus compliquée pour le OFF.  Rien n’est parfait évidemment et même si je ne suis pas d’accord avec les fermetures systématiques des lieux culturels mais lorsqu’on voit la situation autre part en Europe, on revient en courant en France. Que ce soit en Belgique ou même en Angleterre, beaucoup d’artistes (parfois de grande renommée) ont dû changer de boulot ou s’exiler car il n’y a pas de statut d’intermittence ni de protections.