Votre formation est plurielle. Quels étaient vos désirs à vos débuts ?
J’avais plus d’affinités avec la peinture qu’avec le théâtre. J’ai travaillé pendant trois-quatre ans avec un plasticien qui était professeur aux Beaux-Arts d’Avignon, mais parallèlement je faisais des études à l’ERAC [École régionale d’acteurs de Cannes, NDLR]. J’avais déjà un goût prononcé pour les installations plastiques et performatives et c’est avec un projet dans cette veine, Œdipe roi, une œuvre déambulatoire en vidéo, que j’ai été reçu aux Beaux-Arts. Je n’y suis pourtant resté qu’une journée. J’avais également été reçu au Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Mon choix s’est orienté vers le théâtre, car en tant que metteur en scène, je retrouvais l’aspect plastique à travers le plateau qui devenait un peu ma toile, avec la caméra comme pinceau. J’ai ramené mon bagage pictural dans le monde du théâtre qui est un art pouvant accueillir tous les autres arts.
Dès cette époque, vous cherchez à développer des productions hybrides qui mêlent théâtre et vidéo…
La première chose que j’ai demandée en arrivant au Conservatoire a été d’avoir une salle deux fois par semaine pour y établir un laboratoire de recherche « technique et acteurs ». J’essayais de trouver une méthodologie de travail entre la caméra et les comédiens. Ce que je cherchais à faire n’était ni du cinéma ni du théâtre filmé. Nous avions un directeur, Marcel Bozonnet, qui laissait vraiment la place à l’expérimentation. Mon premier essai de mise en scène a pourtant été assez clandestin. Un soir, avec Vincent Macaigne, un ami, nous avons monté Hamlet-Machine, la pièce d’Heiner Müller, dans les escaliers du Conservatoire. Nous avions installé un plateau de 1m2, une chaise et un moniteur vidéo. C’est lors de ce projet que j’ai rencontré des techniciens qui allaient m’aider à me lancer dans mon premier vrai spectacle, Alice Underground, une réécriture d’Alice au pays des merveilles. J’y incluais des vidéo-projections sur des objets mobiles à roulettes. Pour la première chute d’Alice, l’actrice, qui était allongée au sol, était filmée par le lapin. L’idée était de projeter son image au plafond puis de la faire tomber. Je m’amusais déjà avec des dispositifs ludiques, mais très rapidement la clé de ma recherche s’est orientée vers la spatialisation des images. De là, j’ai initié le collectif MxM, avec le créateur lumière Julien Boizard et le compositeur Nihil Bordures, avec le désir de rechercher, créer et transmettre ensemble. Nous voulons questionner l’individu simultanément en tant que spectateur du réel, de la représentation et de la fiction.
La vidéo dans le théâtre est très utilisée désormais
L’image, on peut s’en servir de plusieurs manières. Beaucoup l’utilisent dans la scénographie. C’est très beau de faire des toiles peintes si c’est bien utilisé. Néanmoins, il y a quelque chose de très important à ne pas oublier, c’est que l’image est un espace. Si on se sert de l’image juste pour faire des gros plans, ça n’a pas d’intérêt. La vraie question est pourquoi on en vient au gros plan. Le spectateur doit avoir la genèse de la fabrication de l’image. La vidéo ne doit pas venir pallier un manque. Ce n’est pas une prothèse ; ça doit être organique. La performance filmique est une œuvre théâtrale qui s’appuie sur un dispositif cinématographique en temps réel, sous le regard du public. Le théâtre sublime l’image et l’image sublime le théâtre.
Comment croisez-vous les différents outils dans votre travail de mise en scène ?
Cela dépend vraiment des projets. Selon les sujets, l’image va avoir une place différente. Quand on élabore des performances filmiques, on commence d’abord par travailler en décors naturels. On ne répète plus dans des salles de théâtre mais dans le bâtiment, le paysage qui correspond au récit. Par exemple, pour Nobody, nous avons répété pendant six semaines dans de vrais bureaux où des gens travaillaient. On a ainsi pu capturer l’énergie du lieu. Festen a été mis en place à la Maison Jacques Copeau, l’une de mes bases de travail.
Vous avez codifié vos performances filmiques dans une charte à la manière des cinéastes de Dogma. Pourquoi ?
Quand vous faites une performance live de deux heures avec des plans-séquences dans des bâtiments où le spectateur perd parfois de vue les comédiens, il y a un contrat de confiance. Un soir, à la sortie d’une représentation de Nobody, un spectateur est venu nous féliciter pour notre film. On s’est alors rendu compte que le public ne réalisait pas que ce qu’il voyait à l’image était filmé en direct et étalonné, mixé en temps réel. Le temps du film, c’est le temps du tournage. On a voulu que le public sache qu’on ne trichait pas avec le temps, donc on a créé une série de sept règles pour expliquer que l’on se sert du texte théâtral pour produire une grammaire cinématographique. C’est un peu comme un label de qualité qui justifie l’origine et la démarche de notre travail.
Vous avez adapté des films, Festen, Opening Night, qu’est-ce que cela change dans votre travail ?
Quand vous travaillez sur un scénario de cinéma, les dialogues sont très réalistes, donc vous avez un rapport naturel et immédiat avec la caméra. Ce qui est intéressant quand on s’attaque aux grands films cultes, c’est de revisiter une œuvre qui a marqué visuellement les gens en la passant à travers le prisme du théâtre. Festen est associé à la réalisation de Thomas Vinterberg alors que La Mouette a été mise en scène des dizaines de fois. Il est rare qu’il y ait trois ou quatre remakes d’un même film.
Comment choisissez-vous vos acteurs ? Sont-ils tous « compatibles » avec la performance filmique ?
C’est très informel. Il y a des acteurs que je choisis sans jamais les avoir vus travailler. Je ne fais jamais de bout d’essai ou d’audition… Je fais aussi le pari d’accompagner l’émergence d’une nouvelle génération. J’ai un très grand amour de la pédagogie, de l’enseignement et de la transmission. Sur Nobody, la plupart des interprètes étaient mes anciens étudiants. Sur La Mouette que je répète en ce moment, j’ai aussi beaucoup d’anciens élèves comme les deux cadreurs de performance filmique. Aujourd’hui, ils possèdent une maîtrise qui me dépasse !
Et la rencontre avec Isabelle Adjani sur Opening Night ?
Elle est venue voir Nobody plusieurs fois. Elle avait été très touchée par mon travail mais on n’avait pas prévu de collaborer. C’est une artiste extrêmement curieuse, d’une intelligence rare. Pendant quatre ans, on s’est vu, écrit, on s’est partagé des textes, envoyé des films. On a bu du thé, on a parlé du métier ; c’est devenu une grande amie. Un jour, on s’est dit que ce serait beau de parler de nos métiers respectifs, de la difficulté d’être artiste – encore plus aujourd’hui dans la période que nous traversons. On s’est trouvé une affinité commune avec John Cassavetes, un de mes pères spirituels avec Ingmar Bergman et Andreï Tarkovski.
La Mouette de Tchekhov, votre prochaine pièce, est-elle une nouvelle étape de votre carrière ?
Quand on traverse une œuvre comme celle-ci, il faut accepter de tout remettre en chantier à l’intérieur de soi. J’ai mis les choses à plat, travaillé autrement, décousu les procédés. J’avais en tête de ne pas faire de notre savoir-faire un système. La Mouette parle des petites gens, de ceux qui ont peur de mourir, de vivre seuls, de ne pas être aimés. Ça a été d’autant plus un tournant dans ma carrière qu’au moment où nous avons créé la pièce, on s’est retrouvés en plein confinement. Aujourd’hui, le théâtre est à l’arrêt. Pour rester sur une note positive, je veux citer Fernando Pessoa : il dit qu’il faut faire d’une interruption un commencement. J’espère que La Mouette sera un commencement.