C’est un voyage pas comme les autres que propose l’Institut du monde arabe (IMA) jusqu’au 2 octobre prochain. Une expédition en réalité virtuelle qui remonte les siècles à la découverte de l’une des sept merveilles du monde : la pyramide de Khéops ou grande pyramide de Gizeh. Proposée par Emissive, spécialiste des immersions en VR et en réalité augmentée, « L’Horizon de Khéops » offre aux curieux, petits et grands, seuls ou en groupe, la possibilité d’explorer pendant 45 minutes les entrailles du joyau égyptien de ses pièces les plus illustres – la chambre du Roi – à ses recoins les plus secrets. Plus de deux ans de travail ont été nécessaires pour mettre sur pied cette aventure, dont l’objectif est de faire découvrir le patrimoine autrement. « Nous ne cherchons pas à remplacer la réalité, mais à en être complémentaire, explique Fabien Barati, le directeur général et cofondateur de la société qui a déjà œuvré sur « Mona Lisa : Beyond the Glass », une expérience présentée au Louvre en 2019, ou encore sur « Éternelle Notre Dame » à la Grande Arche de La Défense cette année. Nous cherchons à donner accès à l’inaccessible, à recontextualiser un monument, des personnages, des objets dans leur grande diversité afin de mieux les comprendre ».
Après avoir laissé ses affaires dans un casier mis à disposition pour l’occasion, le visiteur se pare d’un casque de réalité virtuelle et d’un sac à dos avec, à l’intérieur, un ordinateur puissant. Grâce à cet équipement, il peut se déplacer en « free roaming », c’est-à-dire en itinérance, libre de ses mouvements. Première mission : enregistrer son avatar – personnage virtuel – sur un écran tactile disposé à l’entrée de la salle. Une sorte de bonhomme incandescent construit en nuages de points que le visiteur peut renommer à sa guise le temps du périple. Durant l’expédition, il est possible de croiser d’autres avatars-aventuriers à travers les tunnels de la pyramide. Une fois le casque sur les yeux, le participant est propulsé dans une autre dimension. Des lignes rouges apparaissent, indiquant les murs à éviter. Les lignes bleues, au sol, permettent d’avancer en sécurité. « Pour signaler un problème, levez la main », indique une voix dans l’oreillette. Catapulté au IIIe siècle avant J-C, il faut alors marcher jusqu’à un obélisque lumineux pour « activer » l’expérience.
Le grand vertige
Le voyage commence aux portes du Caire, au pied de la pyramide éclairée par les rayons du soleil couchant. Les premiers pas sont hésitants. Une petite femme aux lunettes rondes se présente : « Bonjour, je suis Mona, votre guide ». Fabien Barati l’explique : « Le défi était d’amener à faire avancer les visiteurs dans l’espace. Il fallait clairement qu’ils sachent où aller, car si on n’avance pas, il ne se passe rien. Il faut pousser les gens en avant, et donc les faire se raccrocher à l’histoire. Pour cela, il existe différentes techniques : la narration bien sûr, la façon dont on va s’attacher aux personnages, et puis les différents indices semés ici et là afin de se repérer et de ne pas se perdre ». Les participants – et leurs avatars – réunis, la visite peut commencer. D’abord, il faut grimper sur une plateforme volante afin de se hisser en hauteur jusqu’à atteindre l’entrée de l’édifice. Propulsé dans une autre dimension, chacun se surprend à lever la jambe pour enjamber la marche vers la plateforme. Le sol s’éloigne petit à petit. C’est l’heure du grand vertige et de l’émerveillement.
À l’intérieur de la construction, les couloirs sont étroits et demandent parfois de baisser la tête ou de s’accroupir pour passer d’une pièce à l’autre. Attention cependant à ne pas bousculer la personne devant soi. La société Emissive a développé une technologie capable de gérer un grand nombre de visiteurs en simultané. « Nous avons 70 visiteurs par heure. C’est d’ailleurs le record au monde de flux de visiteurs en réalité virtuelle en location-based», remarque Fabien Barati. Mais nous pouvons recevoir davantage de personnes ». La déambulation se ponctue au gré des explications de Mona. Aucun détail ne lui échappe, des dimensions colossales des blocs de pierre qui ont servi à édifier la pyramide à la longueur du couloir – 47 mètres – qui mène à une antichambre jouxtant celle du Roi. Pour construire leur expédition en alliant pédagogie et rigueur scientifique, les équipes d’Emissive ont travaillé en collaboration avec l’égyptologue et archéologue Peter Der Manuelian, directeur du Harvard Museum of the Ancient Near East, et du Giza Archives Project. « Il a validé autant les messages et l’histoire partagés avec les visiteurs que les reconstitutions historiques, notamment celles des temples de la Vallée et de la Pyramide qui n’existent plus aujourd’hui », raconte Fabien Barati.
Œuvre hybride
Habitations, sphynx, passages souterrains… : pour reconstituer les décors en réalité virtuelle, les équipes de « L’horizon de Khéops » se sont rendues sur place à Gizeh pour scanner les lieux et les différentes constructions aux alentours. Cette technique, appelée photogrammétrie, leur a permis de modéliser en 3D les décors et les éléments au plus près de la réalité. Les graphistes ont aussi utilisé d’autres sources, notamment des ouvrages d’Histoire, afin par exemple de reconstituer au millimètre près chaque dorure du mobilier funéraire du Pharaon Khéops. Les visiteurs-avatars assistent au rite funéraire du Roi et découvrent le processus d’embaumement et de momification des corps. La société Emissive a eu recours à la motion capture pour « recréer » le peuple égyptien. Cette technologie permet de filmer de vrais acteurs sur un plateau de tournage spécifique en train de jouer les différentes scènes. Des séquences qui sont ensuite animées à l’ordinateur avec les dialogues intégrés en parallèle. Au cours du périple, les participants rencontrent Bastet, la déesse du foyer, incarnée par un majestueux félin paré de bijoux scintillants. Toute droite sortie du panthéon égyptien, elle invite les visiteurs à écouter l’histoire des lieux. Là encore, les équipes d’Emissive ont scruté minutieusement chaque détail de vidéos de chats afin d’étudier leurs comportements, leurs déplacements à travers l’espace et ainsi pouvoir « animer » l’animal en 3D.
« Dans la salle, tout le monde effectue le même chemin, mais dans chaque scène il est possible de se déplacer librement. À titre d’exemple, on peut explorer l’autre bout de la barque solaire [Ndlr : cette barque emmène les visiteurs aux funérailles de Khéops], explique Fabien Barati. Toujours en évitant les murs et donc en restant à l’intérieur des lignes rouges. Parfois, le participant peut se faire quelques frayeurs, à l’image de la visite de la chambre du Roi, où soudainement il se retrouve plongé dans le noir et le silence. Expédition immersive ludique et pédagogique, « L’Horizon de Khéops » est une œuvre hybride qui empreinte des techniques au jeu vidéo, au cinéma et au théâtre. « Il y a énormément de compétences qui entrent dans la création d’une expédition scientifique, dont celles de l’écriture et de la mise en scène », note Fabien Barati.Explications scientifiques, anecdotes, mais aussi touches d’humour ponctuent cette expédition. Récit immersif qui fait la part belle à la narration, « L’Horizon de Khéops » a été écrit par une équipe de scénaristes rompus à l’exercice dont l’auteure Emmanuelle Piton, spécialiste de l’écriture immersive.
Démocratiser la culture, en permettre un usage différent et créer un « nouveau lien émotionnel avec l’histoire et le site explorés » : c’est l’ambition d’Emissive, qui travaille actuellement à une expédition immersive autour de l’évolution avec le Muséum national d’Histoire naturelle. Un bond de plusieurs milliers d’années en arrière à travers les différents écosystèmes de la planète. « Nous avons l’ambition de créer un standard, de faire en sorte que ce type d’expéditions culturelles immersives se déploient, se dupliquent dans le monde », explique Fabien Barati. Encore une fois, il ne s’agit pas de remplacer les expositions traditionnelles, mais bien de créer un nouveau divertissement culturel qui se rajoute à l’offre et permette de découvrir d’une autre manière le patrimoine et l’Histoire ».
Soutien du CNC : Fonds d’aide aux expériences numériques