D’où vient votre goût pour l’art ?
De mon enfance. J’ai toujours dessiné et créé des spectacles. Je me suis toujours réfugiée dans les contes et dans un monde imaginaire et poétique. J’étais une petite fille qui parlait peu jusqu’à l’âge de 7 ans : c’était une façon de survivre à ce monde, de m’inventer de l’extraordinaire dans l’ordinaire. Je trouvais le monde des adultes peu réjouissant, je n’avais pas envie de grandir avec. L’expression de moi-même est née avec le dessin : l’expression artistique n’était donc pas un choix mais une façon de se réaliser et de trouver sa place dans le monde.
Vous avez été comédienne. Comment s’est fait votre passage au Cours Florent et ce dernier a-t-il influencé votre pratique artistique ?
Oui et non. J’ai été repérée dans la rue par Monsieur Florent qui me trouvait photogénique. Je me cherchais, je faisais du théâtre, je sortais d’une formation Arts Déco aux Beaux-Arts… Je me suis dit : « Pourquoi pas. » J’étais dans la classe cinéma et ça m’a plu jusqu’à ce que je sature en me disant : « Le monde des castings et de l’apparence n’est pas le mien ». Ça a malgré tout été révélateur car on me proposait aussi de créer des décors pour la scène. C’est là qu’est née l’idée de lier la peinture aux arts vivants, qu’elle ne soit pas statique et puisse vivre en étant partenaire de la danse et du vivant.
Comment vous est venue l’idée de créer en mettant en relation le numérique avec la peinture ou la danse ?
C’est venu assez naturellement, au fur et à mesure des rencontres. J’ai fait beaucoup de théâtre, de la danse, de la peinture. J’ai exposé très tôt mais le système de galerie ne me satisfaisait pas, je le trouvais aseptisé. J’adorais les arts vivants, les circassiens, tout ce qu’on pouvait faire avec les éléments… J’ai donc commencé à mélanger tout ça en faisant venir des amis du cirque dans des expositions, en mettant de la musique dans des peintures… J’ai tout de suite cherché l’interdisciplinarité pour mettre les sens en éveil : dans mon premier spectacle, il y avait par exemple des odeurs. Le projet de la compagnie Mobilis–Immobilis est né grâce à une bourse régionale avec cette idée de chapiteau nomade pour lier le mouvement à la peinture. Je voulais sortir du 2D et trouver un autre moyen de mettre en relation le cadre avec l’image. Je l’ai trouvé grâce aux technologies découvertes en 1998 qui ont remplacé les autres moyens de créer comme les pinceaux et les crayons : il y avait un champ énorme d’exploration… Comme j’aime le mouvement qui est pour moi la vie, les arts et le multimédia me permettent d’être dans cette instantanéité. J’aime créer des bulles oniriques pour emmener les gens hors du monde ordinaire.
D’où vient votre inspiration ?
Elle m’est insufflée. J’aime parler de choses qu’on ne voit pas, du ressenti, de la relation les uns aux autres. Je parle également beaucoup de cosmos. Parfois on me parle de thèmes, souvent ce sont des rencontres. J’ai ainsi rencontré récemment un neuroscientifique travaillant sur les sciences cognitives et ça m’a passionnée. J’aime beaucoup aller dans les laboratoires afin de voir des choses explorées qui restent dans l’ombre mais qui peuvent être étudiées de manière totalement différente. On peut faire de la vulgarisation avec un contenu différent qui prouve de manière onirique et poétique des choses. Tout peut être réfléchi et pensé.
Vous ne vous contentez pas de créer vos propres œuvres, vous animez également des ateliers numériques à destination d’adultes, d’enfants ou de personnes en situation de handicap…
Je fais beaucoup d’ateliers, je vais d’ailleurs en commencer un prochainement avec une classe de maternelle et une de primaire pour créer, en collaboration avec un auteur, un jardin sonore interactif. C’est important pour moi de transmettre à des jeunes. Le multimédia et le numérique permettent justement de toucher des publics, comme des adolescents, que les structures arrivent moins à capter dans des pratiques conventionnelles et connues. Je fais également beaucoup d’ateliers avec des personnes en situation de handicap physique ou mental. J’ai par exemple fait un spectacle avec des personnes autistes et leurs éducateurs. C’était formidable car ça a bouleversé leur projet de vie. Depuis, j’ai créé une mallette pédagogique avec le dispositif du spectacle pour aller à la rencontre des structures qui n’ont pas de scène facilement montable. Cette mallette a d’ailleurs reçu en 2016 le Prix de la Fondation Afnic pour la Solidarité Numérique.
Que contient-elle ?
Elle renferme un vidéoprojecteur, un ordinateur, une caméra infrarouge, le programme, un petit clavier qui me permet de passer d’un tableau à un autre, un micro… J’arrive, je pose ça au sol et il me faut juste un grand mur blanc. Avec, je suis intervenue dans des structures de rééducation motrice pour des jeunes en fauteuil : c’était juste fantastique de leur faire découvrir petit à petit les tableaux car ils avaient le pouvoir d’agir sur quelque chose alors qu’ils ne l’ont pas dans la vie. Cette mallette permet d’écrire un projet - avec texte ou sans -, de choisir les musiques ou de les créer, de danser ou non, d’écrire un scénario… Ce n’est jamais la même chose.
Quel regard portez-vous sur votre parcours ?
J’ai commencé en 1998 donc j’ai vraiment suivi l’évolution des outils technologiques. Les premières interactions sont d’ailleurs les plus belles années d’ébullition car il y avait des échanges forts entre les artistes et scientifiques à Paris. On vit aujourd’hui une époque géniale avec des outils plus accessibles, moins chers, et on les détourne. On montre ainsi aux enfants qu’on peut faire autre chose des outils du jeu vidéo. C’est un parcours de vie avec ses difficultés : je me suis faite toute seule sur le terrain avec, en même temps, une diffusion liée aux rencontres et à la fidélisation de ceux qui m’ont découverte, comme le Cube à Issy-les-Moulineaux. J’ai une reconnaissance de l’ombre et des chercheurs. Je ne sépare pas ma vie de l’œuvre, ce n’est pas un métier : l’art nourrit ma vie, la vie nourrit l’art et j’avance avec tout ça au gré des rencontres. Il y a parfois des grands creux, il faut en vivre. C’est compliqué car on m’appelle parfois pour des ateliers mais je veux préserver l’aspect création. C’est toujours un équilibre délicat à trouver.