Comment est né The Brain Factory ?
C’est un projet commencé il y a trois ans sur un concept relativement simple : l’un des grands fantasmes de l’humanité est de commander la matière par la pensée. On retrouve ce concept depuis l’Antiquité, même l’image du Dieu monothéiste est fondé sur ce principe : il est capable de penser les choses et elles existent parce qu’il les pense. Si je vous parle d’amour, de liberté, de pouvoir, de paix, ces choses existent dans nos têtes sans qu’on puisse leur donner une forme spécifique. Je pars du principe que la création artistique peut servir à donner une forme à des idées. Je me suis donc dit qu’il fallait créer un dispositif permettant de donner une forme aux abstractions humaines.
Quel est justement ce dispositif ?
Il est très léger : c’est un petit bandeau très mince qui capte les ondes électriques venant du cerveau. Dire qu’on voit ce que pense le cerveau serait mentir : on est incapable de réellement interpréter les ondes, mais on peut quand même en déduire certaines phases de fonctionnement du cerveau. Un générateur crée une forme en mouvement perpétuel. Si je vous dis « paix » ou « liberté », vous allez regarder cette forme en pensant à ces mots. On capte depuis le cerveau si vous êtes en accord ou en désaccord. C’est presque du design passif : ce jugement va infléchir les variations de la forme et ses évolutions.
Comment ont été créées ces formes ?
Il s’agit d’un système de particules qui vont réagir à des simulations de principes physiques. Le résultat est une abstraction plus ou moins juste par rapport à ce que l’on peut mentalement imaginer des concepts abstraits qui nous sont proposés. Ça a l’air compliqué comme ça, mais c’est très simple : les gens se retrouvent devant un écran et pendant deux minutes environ, ils font deux tests pour calibrer le système à leur mode de réaction. Un mot leur est ensuite proposé et on contrôle l’évolution de la forme. Au bout de huit minutes, on arrive à ce qu’on considère comme le résultat. La personne suivante à avoir le même mot va hériter d’une partie de cet ADN : il ne part pas de rien mais de quelque chose de défini et validé, d’une certaine manière, par le visiteur précédent. Il va chercher à l’affiner et le faire évoluer. De personne en personne, on finit par avoir une représentation qui a une valeur un peu plus générale.
Qui a réalisé la programmation de cette installation ?
Je travaille avec des gens très compétents qui sont capables de faire ça très bien. On peut demander à un architecte de construire lui-même le bâtiment, mais des spécialistes le feront mieux que lui. L’architecte décrit juste son intention globale tout comme le réalisateur d’un film. Je travaille actuellement avec Tobias Klein qui est un artiste travaillant beaucoup avec l’impression 3D. On pousse d’ailleurs le processus de la Brain Factory jusqu’à la création de la sculpture de la forme produite par l’installation. Autrement dit, on finit par transformer la pensée en objet.
Cette installation est-elle vouée à évoluer ?
Ce projet est en train d’évoluer d’une façon très intéressante. Au lieu de traiter toutes les abstractions humaines, on ne s’intéresse maintenant qu’aux valeurs telles que l’intelligence, la générosité, la liberté, l’égalité… Certains mettraient également le pouvoir et l’argent. Le processus est le même, mais à la fin, cette forme devient un jeton en crypto monnaie que l’on va pouvoir échanger. Par exemple, vous avez obtenu Amour 23 et Paix 32, mais vous vouliez du Pouvoir. Vous ferez l’échange en ligne sur une plateforme dédiée lancée au printemps prochain, et ça donnera ce que j’appelle une poésie transactionnelle, en anglais quelque chose comme Peace + Love makes Power (Paix + Amour = Pouvoir).
Vous vous appelez un artiste d’Open Media Art. Que voulez-vous dire par là ?
Je n’ai pas envie de me définir par rapport à une technologie et un medium particulier. Je travaille avec le parfum, je fais de la photographie, de la réalité augmentée… J’ai également commencé la réalité virtuelle il y a plus vingt-cinq ans, alors que ce n’était pas la mode encore. A l’époque, un ordinateur, qui réalisait ce qu’un téléphone portable fait maintenant, valait plus d’un million de dollars. Mais en réalité, on ne payait jamais : les fabricants étaient en recherche d’usage et soutenaient les artistes. On faisait des choses très intéressantes avec des petits budgets. J’ai fait par exemple le Tunnel sous l’Atlantique en 1995 entre le Centre Pompidou et le Musée d'art contemporain de Montréal. C’était un tunnel de réalité virtuelle où on pouvait se rencontrer en vidéo dans un espace construit par des visiteurs. J’ai également fait la série Les Quarxs dans les années 1990, qui est la toute première utilisation de la 3D à la télévision.
Pourquoi avoir choisi de vous exprimer avec l’art numérique et pas des moyens plus classiques ?
Je l’ai fait : j’ai commencé avec la peinture à l’huile. Dans les années 1980, on était en plein retour de la figuration, les gens exploraient de nouveau le réalisme, l’expressionisme, le graffiti… Je ne faisais pas le poids face à un grand artiste impressionniste parce qu’on n’était plus dans la période où produire ça était une révolte. Des choses sont apparues comme le fait d’utiliser la vidéo et faire des installations pour produire de l’art. On sortait de l’image de la peinture dans un cadre. En même temps que je découvrais le médium, je me demandais : ‘Qu’est-ce qu’on peut en faire ?’. Je n’avais pas la volonté d’innover mais je voulais comprendre vers quoi le futur allait.