« Meet Mortaza » : de Kaboul à… Venise

« Meet Mortaza » : de Kaboul à… Venise

02 septembre 2020
Création numérique
Meet Mortaza de Joséphine Derobe
Meet Mortaza de Joséphine Derobe Les Produits Frais et Dancing Dogs
Basé sur l’ouvrage Je savais qu’en Europe on ne tire pas sur les gens dans lequel Mortaza Jami conte son parcours de réfugié entre l’Afghanistan et la France, le film documentaire en réalité virtuelle Meet Mortaza est présenté hors-compétition au Venice VR Expanded. Rencontre avec Joséphine Derobe, sa réalisatrice.

Joséphine Derobe DR

Comment est né le projet « Meet Mortaza » ?

Avant de me spécialiser dans la stéréographie et de devenir réalisatrice, j’ai suivi initialement une formation de journaliste. En tant que reporter de presse écrite et photographe, je me suis intéressée très tôt à la problématique des migrants et des réfugiés, mais à l’époque je n’arrivais pas à trouver la forme adéquate pour aborder cette question complexe. C’est lorsque j’ai découvert la réalité virtuelle (VR) que je me suis dit que je tenais le medium adéquat. J’ai ensuite fait beaucoup de recherches sur les migrants en Europe, lu de nombreux ouvrages, le plus souvent écrits par des journalistes. Ils étaient très intéressants, mais je cherchais quelqu’un qui avait véritablement vécu un parcours d’exil et avait témoigné de cette expérience à travers un livre. C’est alors que j’ai découvert Je savais qu’en Europe on ne tire pas sur les gens, de Mortaza Jami.

Quel est l’apport de la VR dans une démarche comme la vôtre ?

Dans mon travail, je cherche toujours à avoir une approche sensorielle. En découvrant la VR, je me suis dit que je tenais là le medium qui allait me permettre d’aborder les gens d’abord avec leurs corps, leurs émotions... La question des migrants est souvent traitée sur les événements quotidiens, la plupart du temps dramatiques, comme des centaines de personnes qui périssent dans un naufrage ou qui se massent dans des camps, sous des ponts à Paris… Cela peut générer de la peur, de la peine, de l’incompréhension, mais ne sensibilise pas au sort d’individus car nous les percevons alors comme des « groupes », ce qui déshumanise et désindividualise.

La VR, au contraire, permet de casser cette barrière et d’établir un rapport d’intimité avec la personne. L’immersion implique le spectateur et peut créer un rapport d’égalité : l’autre, qui est en face de moi et que je regarde, qui me parle, c’est un autre « soi », un alter-égal, un individu. Lorsque le spectateur enfile un casque de réalité virtuelle, ce qu’il vit est très fort car il est immergé dans un monde à part entière (en images reliefs et son spatial). Les effets sur son ressenti et son implication physiologiques sont très impactants. On a vraiment l’impression d’être dans ces lieux où Mortaza est passé. Comme lui, on est propulsé dans un bus en Turquie, une barque en Grèce ou encore un labyrinthe de containers…

Meet Mortaza

 

Si vous présentez dans le cadre de la Mostra de Venise un film VR, il ne s’agit cependant que d’une partie de « Meet Mortaza »

Oui, il s’agit de la première partie de ce projet. Dans celle-ci, on suit donc Mortaza, un réfugié afghan, durant son exil forcé entre Kaboul et Paris. Cette expérience VR de 13 minutes prend la forme d’un film documentaire en VR, à la fois immersif, contemplatif et poétique, accompagné par la voix de Mortaza. Les spectateurs seront ensuite invités à poursuivre l’expérience vers la seconde partie de l’installation : un parcours en réalité augmentée. Cette partie de l’œuvre est actuellement en production. Elle aura pour thème le « second voyage » de Mortaza ; un voyage administratif pour obtenir le statut de réfugié en France, qui a duré plus de trois ans. Cette étape de demandeur d’asile, souvent peu connue des européens, prendra la forme d’un parcours avec des objets en réalité augmentée, qui sont des objets qui appartiennent à Mortaza et qu’il a sélectionnés. Les spectateurs seront équipés de tablettes et de casques audio et des séquences se déclencheront quand ils passeront la tablette devant les objets. Ce qui est intéressant dans ce parcours, c’est que c’est le spectateur qui est actif puisque c’est lui qui va découvrir objet après objet des informations qui sont capitales dans la compréhension d’un demandeur d’asile. Les deux formes – l’une très immersive qui transporte les gens ; l’autre plus ludique et informative – se complètent.

 

Quels sont vos objectifs, à travers ce travail ?

Que l’installation soit vue et vécue par le plus grand nombre, dans des musées et des lieux culturels. C’est une proposition que j’ai pensée pour un public large, aussi bien des scolaires de 13 ans que des gens de 90 ans ! La trajectoire de Mortaza est extrêmement positive. Il vit en France depuis 10 ans, s’est marié, est devenu père cette année. Il s’est battu et il a réussi. Mortaza a écrit un livre pour raconter son exil et travaille depuis plusieurs années auprès des nouveaux arrivants. C’est un parcours très positif qui permet de parler de l’asile, de l’exil, du parcours d’un migrant clandestin, d’un réfugié très intégré en tant que citoyen français et européen. J’espère que Meet Mortaza permettra de sensibiliser autrement les gens sur ces questions complexes et très présentes dans nos pays. C’est une proposition engagée et les « nouveaux médias » très immersifs comme la VR et la réalité augmentée sont un choix capital à mes yeux pour pouvoir sensibiliser les gens. Ils permettent de raconter une histoire autrement.

 

Meet Mortaza a été soutenu par le CNC.

Une coproduction Les Produits Frais, Dancing Dog Productions, Le Cube
Le film VR sera présenté au Cube - Centre de création numérique d'Issy-les-Moulineaux du 8 septembre au 19 décembre 2020. Plus d'informations