Miguel Chevalier : « Je suis comme un réalisateur qui travaille avec une petite équipe »

Miguel Chevalier : « Je suis comme un réalisateur qui travaille avec une petite équipe »

07 décembre 2018
Création numérique
Extra Natural Miguel Chevalier
Extra Natural de Miguel Chevalier pour l'exposition Artistes et Robots au Grand Palais Miguel Chevalier

Considéré comme l’un des pionniers de l’art numérique en France, Miguel Chevalier est notamment reconnu pour ses créations virtuelles génératives qui ont pour thème la Nature et Artifice, l'imaginaire de la ville ou encore les flux et les réseaux. Rencontre avec un artiste qui expose aussi bien en France qu’aux quatre coins du monde.


Vous utilisez l’informatique pour vous exprimer depuis 1978. Pourquoi avoir choisi ce medium qui était marginal à l’époque ?
A chaque époque, les artistes utilisent les moyens de leur temps. Comme Man Ray (photographe, réalisateur et peintre américain ndlr) qui s’est emparé de la photographie en 1922, à l’époque où ce médium était considéré uniquement comme un moyen technique, et non comme une forme d’expression artistique. Au début des années 1980, l’informatique était de plus en plus présente dans les médias et on commençait à parler d’une société de l’information. Je me suis dit qu'il fallait utiliser ces outils numériques, non pas pour en faire leur apologie, mais pour développer une écriture en soi dans le monde l’art, comme Man Ray l’a fait pour la photo.

Comment le monde de l’art a-t-il accueilli cette nouvelle forme d’expression artistique?
Comme le disait Baudelaire dans L’art Romantique : « Le public est, relativement au génie, une horloge qui retarde. » Les débuts ont été très difficiles. A partir du moment où j'ai commencé à utiliser ces outils, je ne pouvais être considéré que comme un technicien, un ingénieur, et non un artiste. Il a fallu plus de 25 ans pour que peu à peu les mentalités changent en France et ailleurs... La persévérance a été une clef déterminante pour surmonter tous les a priori et montrer que ce médium était en fait un moyen de créer des œuvres, au même titre que la photo, la vidéo ou le cinéma. Mais l'évolution des technologies numériques est telle aujourd’hui, que ce qui paraissait complètement loufoque et inopportun pour certains, semble maintenant naturel et véritablement en relation avec le monde dans lequel on vit. L’art numérique ne va pas remplacer la peinture, la photo ou la vidéo, mais c’est un mode de création complémentaire qui offre des possibilités extraordinaires.

Les œuvres immersives et numériques sont au cœur de votre travail. Pourquoi ?
Effectivement, l'immersion digitale par la lumière est une notion centrale dans mon travail. Je réalise des œuvres in-situ qui revisitent, par l’art numérique, l’histoire et l’architecture des lieux. L'immersion apporte au spectateur une expérience inédite. Elle enrichit l’univers de nos sens et de l’émotivité. Les grandes installations de réalité virtuelle projetées immergent le spectateur dans un espace recréé. Il est environné par l’image, isolé de tous les repères avec le monde extérieur, comme dans l’oeuvre In-Out Paradis artificiels que j’ai réalisée spécialement dans le parc du château de Chaumont-sur-Loire dans un dôme géodésique.
 

Quel est votre processus de création pour ces œuvres ?
Au départ, j’ai commencé à écrire seul des petits programmes de mes œuvres. Mais très vite, je me suis rendu compte que la création de logiciels nécessitait des compétences très pointues et que je ne pouvais plus continuer seul. Il fallait que je travaille en étroite collaboration avec des informaticiens avec lesquels je pouvais établir une véritable complicité pour élaborer ces créations. C’est ainsi que j’ai confié la réalisation technique de mes œuvres à des programmeurs informatiques, comme Claude Micheli ou Cyrille Henry. Je suis un peu comme un réalisateur ou un metteur en scène qui travaille avec une petite équipe. Je donne l’orientation avec des éléments graphiques, des exemples et peu à peu ces idées permettent de créer au final le logiciel. Il faut environ un à deux ans pour que ce logiciel soit optimisé et qu’il puisse être exposé au public. Ils peuvent être configurés soit pour des écrans Leds ou LCD, soit avec plusieurs vidéoprojecteurs.

Certaines de vos installations, telles que Fractal Flowers, sont interactives. Les fleurs réagissent ainsi aux déplacements des spectateurs. Qu’apporte l’interactivité à l’œuvre ?
Au début du XXè siècle, Marcel Duchamp, et plus tard de nombreux autres artistes comme les cinétiques, réclamaient la participation du public. Les nouvelles technologies permettent une participation active du spectateur. Pour Fractal Flowers, des capteurs détectent votre présence. Selon le déplacement de votre corps à droite ou à gauche, vous pouvez interagir avec ce jardin virtuel. Ce système apporte une véritable relation entre la création que je développe et le corps des spectateurs, ce qui permet de modifier un peu la façon de percevoir l'œuvre. Ça l’enrichit également. D'un point de vue symbolique, l'interactivité montre l'impact de l'homme sur la nature.

Quelles libertés donne l’art numérique à l’artiste ?
Il donne une grande liberté : on peut aussi bien avoir des œuvres sur un smartphone ou à l'échelle architecturale. Avec l’art numérique, on peut créer des œuvres dynamiques, génératives. A la différence de la vidéo, où il y a un début et une fin, les œuvres numériques sont comme des formes de vies artificielles. Elles se transforment au fur et à mesure avec le temps. Si on n'arrête pas l'ordinateur, les algorithmes vont générer des œuvres à l'infini. La générativité permet de créer des œuvres capables d'évoluer indépendamment de l'artiste. De même, en y introduisant de l’aléatoire, on va engendrer des formes que l’on n'avait pas imaginées. C’est un aspect tout à fait inédit et spécifique de cette création, impossible à réaliser avec les autres mediums artistiques que sont la peinture, la photo et la vidéo.

Votre installation numérique Fractal Flowers est d’ailleurs un jardin virtuel qui s’auto-génère…
De nombreux botanistes étudient la croissance de plantes et en font des simulations.  Cela m’a donné l’idée d’imaginer des plantes qui n'existent pas, mais qui sont calquées sur ces formes de croissance que l’on retrouve dans la nature. J’ai développé ainsi un herbier composé de graines virtuelles. Puis, comme un paysagiste, je crée avec ces graines un jardin virtuel qui va se transformer dans le temps. J'ai imaginé quatre différentes générations de fleurs virtuelles : les « Sur-Natures » en 2004 avec dix-huit graines virtuelles, puis les « Fractal Flowers » en 2008  avec quatre-vingt-dix graines, les « Trans-Natures »  en 2012 avec une centaine de graines et dernièrement « Extra-Natural » en 2015 avec 70 graines. Les plantes poussent, se développent et meurent. Lorsqu'elles disparaissent, elles renaissent ailleurs. Avec les Fractal Flowers, les fleurs peuvent muter et s’hybrider avec d'autres. Il arrive ainsi que je découvre de nouvelles espèces que je n'avais pas imaginées. Le logiciel est un terrain d'investigation, un champ de recherche passionnant. Je suis même étonné qu'il n'y ait pas plus d'artistes jeunes qui investissent ce domaine si vaste et encore semi vierge.

Qu’est-ce qui explique ce manque d’investissement dans le numérique de la part des jeunes artistes ?
Ce moyen d’expression demande de multiples compétences pas nécessairement étudiées dans les écoles d’art. Il faut aussi être capable de travailler en équipe, de s’associer avec des électroniciens, des informaticiens. L’art numérique coûte également beaucoup plus cher que les autres médiums : il faut des ordinateurs bien sûr mais aussi des vidéoprojecteurs ou des écrans LCD. Toute cette technologie évolue très vite, il faut donc apprendre et se remettre en cause continuellement. C'est la complexité de ce médium.

Miguel Chevalier, un pionnier de l’art numérique

Depuis 1978, Miguel Chevalier expérimente et crée grâce aux outils numériques. A travers son art, il s’intéresse à plusieurs thématiques telles que « la relation entre nature et artifice, l’observation des flux et des réseaux qui organisent nos sociétés contemporaines, l'imaginaire de l'architecture et des villes virtuelles, la transposition de motifs issus de l'art islamique dans le monde numérique. » Diplômé de l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris et de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, il a également un PHD du Pratt Institute et de la School of Visual Art à New-York et à l’université de Musashino à Tokyo. Miguel Chevalier est actuellement exposé à la Galerie par GRAF Notaires à Paris. Une exposition, Power Pixels, au 104  av des champs Elysées qui se termine le 22 janvier 2019. Il expose également avec D’un rêve à l’autre au Château de Trévarez en Bretagne jusqu’au 6 janvier 2019.