Qui a eu l’idée de cette collaboration avec Bartabas ?
L’idée vient du groupe MK2, qui réalise les captations des spectacles de Bartabas depuis une trentaine d’années. Les équipes ont évoqué la possibilité de monter un projet avec lui - je ne le connaissais que de nom. Après avoir vu Ex Anima, j’avais vraiment envie de faire quelque chose avec ce spectacle sensible où il n’y a pas d’humains, mais seulement des chevaux. Ce n’est pas vraiment du théâtre, mais presque de l’art contemporain. J’ai rencontré Bartabas le soir même et nous avons discuté pendant 6 mois pour mener à bien ce projet que nous avons imaginé ensemble. Nous avons beaucoup échangé avec les techniciens car en VR, il faut créer avec une caméra qui filme en 360° et en relief pour avoir ce sentiment d’immersion. Mais ce matériel évolue rapidement : je suis réalisateur VR depuis 5 ans et je n’ai jamais tourné avec la même caméra. L’autre difficulté ici, c’était notre incapacité à diriger les acteurs. Bartabas place les chevaux dans des situations et des décors afin de provoquer des réactions, mais on n’est jamais sûr du résultat. Cette expérience a un côté « documentaire animalier » : on laisse tourner et on espère que l’on obtiendra quelque chose de convaincant.
Ces chevaux sont habitués à être sur scène, face à un public. Quel impact a eu la présence des caméras 360° ?
C’était l’une de nos préoccupations. J’ai tendance à vouloir privilégier, en VR, la proximité avec le sujet. Ça permet de donner un vrai sentiment de présence. Contrairement au cinéma, où notre cerveau sait qu’il regarde un film, la réalité virtuelle donne au spectateur l’impression d’être dans l’œuvre, là où se passe l’action. Plus le spectateur est près du sujet, plus il a ce sentiment presque viscéral que je voulais retrouver dans Ex Anima Experience. Mais j’avais peur de choquer les chevaux et de briser leur rythme, ce qui pouvait être problématique pour le spectacle. Certains animaux se moquaient des caméras et nous avons donc essayé de nous approcher d’eux au maximum. Mais nous avons dû faire des compromis selon le caractère et la race des chevaux. Pendant le spectacle, le public n’a pas le droit d’applaudir et il reste dans le noir pour que les chevaux les oublient. C’était une donnée importante qu’il fallait prendre en compte.
Etes-vous resté fidèle au spectacle ou est-ce une expérience vraiment différente ?
Je tenais beaucoup à ce que ce projet ne soit pas une captation, mais une expérience VR différente du spectacle. Bartabas avait envie, au départ, d’être le plus proche possible de sa création, mais nous nous en sommes écartés au fur et à mesure de la préparation, du tournage et de la post-production tout en respectant son ADN et son univers. Nous avons par exemple ajouté des décors en 3D pour chaque scène afin de prendre de la hauteur et de rendre l’ensemble encore plus puissant. Nous avons également changé la musique. L’emplacement de la caméra est tel que, lorsqu’on regarde le film, on ne comprend pas immédiatement l’endroit où l’on se trouve. Le spectateur n’est plus dans un théâtre mais dans un espace abstrait qui donne l’impression de plonger dans les rêves d’un cheval.
Ex Anima Experience est en compétition dans la catégorie VR - linéaire de la Mostra de Venise. Vous attendiez-vous à une telle sélection ?
C’est une belle récompense à laquelle on ne s’attendait pas pour une simple raison : la VR est en train de tendre aujourd’hui vers quelque chose de plus interactif, plus proche du jeu vidéo, avec des expériences qui permettent aux spectateurs de se déplacer et de toucher les choses. A l’inverse, Ex Anima Experience reste dans une logique de film : le spectateur regarde seulement autour de lui. Je pensais donc que les sélectionneurs de la Mostra allaient choisir des œuvres plus interactives.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans la VR ?
J’ai découvert la VR lors d’une soirée en essayant un casque et je me suis dit que nous devions absolument faire quelque chose avec. J’ai longtemps essayé de réaliser un long métrage avec l’histoire d’I, Philip (une expérience VR qu’il a réalisée pour Arte - ndlr) qui évoquait les souvenirs d’un robot, mais personne ne voulait le produire. En découvrant cette nouvelle technologie, j’ai compris que cette histoire avait du sens en réalité virtuelle qui permettait de se mettre à la place du robot. Le projet a été proposé à Arte et c’est comme ça que tout a commencé. Entrer dans le monde du cinéma est difficile et les prétendants sont nombreux. Il y a 5 ans, personne ne voulait faire de la VR. Je travaillais dans la publicité et j’avais envie de raconter des histoires. Je me suis donc dit que j’allais commencer par la réalité virtuelle. Aujourd’hui, je suis reconnu dans ce milieu et je discute avec de nombreux producteurs de cinéma que je souhaitais approcher avant et qui maintenant viennent directement me voir. La VR est devenue pour nous une opportunité extraordinaire pour entrer dans un milieu fermé.
Pensez-vous que l’arrivée sur le marché de casques VR financièrement plus abordables va démocratiser encore davantage ce medium ?
Je suis partagé sur ce sujet. Un casque plus accessible vient effectivement de sortir et c’est très bien. Mais ce que j’aime dans la VR, ce sont des créations comme Carne y Arena d’Alejandro González Iñárritu, présentée au Festival de Cannes en 2017. Avant de vivre cette expérience et d’enfiler un casque, il faut laisser ses affaires, entrer dans une cellule, enlever ses chaussures : il y a tout un conditionnement, une forme de rite. Pour présenter Ex Anima Experience à la Mostra, nous avons imaginé une installation : le public arrive dans un décor ressemblant à celui du film et s’installe avant de mettre le casque. La VR est d’ailleurs plus jouissive selon moi lorsqu’on a l’espace et l’environnement pour se déplacer, ce qu’on n’a pas forcément chez soi.
La création Ex Anima Experience a été soutenue par le Fonds d’aide aux expériences numériques du CNC