Comment définiriez-vous le Festival NewImages ?
Nous sommes évidemment orientés vers les différentes formes des réalités virtuelles et immersives mais pas uniquement. Il y a aussi des espaces dédiés à la photo, des productions de concerts et de spectacles vivants… le spectre est très large. Je vais prendre un anglicisme pour le décrire : on veut traiter « the future of storytelling ». L’avenir des nouvelles écritures et des nouveaux formats, du point de vue des créateurs. C’est l’ADN du Festival, qui se veut un vrai rendez-vous de la création digitale : un marché, un jury prestigieux, des « talks » pros et grand public, des conférences… On a également produit des spectacles, on ne fait pas que de l'acculturation. C'est d’ailleurs le sens de notre nom : « NewImages », de nouvelles images et pas seulement une technologie. Et trouver les nouveaux talents qui inventent ces nouvelles images et se servent des nouvelles technos.
Comment avez-vous adapté la tenue du festival face au Covid ?
En mars dernier, au moment du confinement, notre programmation pour juin était en cours : nous devions faire un focus sur l’Afrique. Tout était lancé : les vols des invités, la réservation des chambres d’hôtels… On a dû prendre une décision : soit on annulait, soit on reportait en 2021, soit on faisait une version 100% virtuelle. Aucune ne me convenait. On a donc choisi de reporter de juin en septembre. Et on a une version « physique » pour les Français et les Européens qui souhaitent se déplacer - rien ne remplace les rencontres physiques même si on parle de mondes virtuels – et une réinvention de la partie numérique. Il y a des « talks » à distance, des vidéoconférences, des « livestream » et la partie « festival virtuel ». C’est un événement : depuis mars, personne n’a réussi à tenir un vrai festival XR (Extended Reality, ou Réalité étendue, qui regroupe les diverses formes de réalité immersives, comme la réalité augmentée, la réalité mixte ou la réalité virtuelle, NDLR). Ils ont été annulés ou sont passés en ligne. On est les seuls à avoir traversé la tempête. On a dû penser la version en ligne et la version physique conjointement ; il a fallu adapter les horaires -vous ne pouvez pas faire un panel entre la France et Taïwan au même horaire- et rendre totalement virtuelle la partie « marché ». C’était une nécessité. Et nous utilisons l’application Vroom pour que le public puisse voir les œuvres dans une salle en 3D, faire du networking, et même… faire la fête. On a dû également réinventer la programmation à distance. Diffuser une conférence en streaming en direct, tout le monde le fait depuis longtemps, mais il fallait qu'on aille plus loin, qu'on soit hybride.
Côté physique, toutes les mesures nécessaires sont prévues : calcul des jauges, des distances sociales, des « clean box » sont là, ainsi que des machines à UV qui filtrent les substances virales... Je dois aussi souligner que les différentes institutions publiques nous ont toujours soutenus, contrairement à certains partenaires privés.
Avez-vous changé des choses sur la compétition ?
On a ouvert un prix sur la réalité augmentée, mais le nombre de projets reçus n'a pas été très important : il y a encore des progrès à faire, notamment sur l'équipement. Les casques et les lunettes connectées sont encore réservés aux professionnels, et peu adaptés au grand public. D’une façon générale, j’ai l’impression que les scénaristes ne se sont pas encore emparés à grande échelle des outils de réalité augmentée. Comment écrire quelque chose quand le champ de vision est à 360° ? Quand on peut interagir avec tout ? Le storytelling, c'est exploiter le potentiel d'une narration.
Comment jugez-vous la sélection par rapport à l’année précédente ?
Il y a beaucoup d'animation, d’une façon générale. Les plus belles œuvres utilisent beaucoup les techniques d'animation. La conséquence, c’est qu’il y a moins d’œuvres du « réel », et beaucoup moins de fiction. Les œuvres interactives, qui nécessitent d’utiliser ses mains et/ou d’effectuer des déplacements, sont de plus en plus nombreuses. Et la part française reste importante. Mais on a reçu des coproductions d'une trentaine de pays dont Taïwan qui propose des pistes très intéressantes dans le domaine du virtuel. Le Festival propose des choses incroyables, mais il faut venir pour les vivre ou être équipé.
L’écrivain Alain Damasio est invité d’honneur. Pourquoi ?
A plusieurs titres : il co-réalise MOA, Mon Assistant Personnel, une œuvre de réalité augmentée produite avec Red Corner. C’est une première pour un écrivain de SF aussi reconnu. Ensuite son roman Les Furtifs paru l'an dernier est une réflexion sur la surveillance du futur. Ça en faisait l’intervenant idéal. Il va donner une masterclass qui sera ouverte à tous et retransmise en ligne. Nous avons un beau panel d’invités : un photographe de guerre, un des patrons du MIT... Ce n'est pas un entre-soi.
Comment avez-vous choisi votre jury ?
Notre jury est composé d’experts du son et de l’image, mais pas de la réalité virtuelle en tant que telle. Quelle histoire on raconte ? Ce n’est qu’une des questions. L’an dernier, Jan Kounen proposait avec Ayahuasca - Kosmik Journey une expérience chamanique sans avoir besoin de prendre une substance hallucinogène… C’était une expérience qui se passait des ressorts de la fiction.
En parlant d’expériences, vous proposez des immersions en réalité virtuelle dans Notre-Dame, dans Pompéi, dans des mondes imaginaires… Est-ce lié à l’époque ?
C’est plus large que cela : l’expérience Notre-Dame vient d'Ubisoft, de leur modélisation effectuée pour Assassin's Creed. Nous avons aussi un plongeon dans l’histoire de Palmyre, son passé et son présent, avant la destruction. La VR de Pompéi vient d’être installée à l'exposition du Grand Palais. Il y a aussi un scan des pyramides où l'on peut visiter les lieux avec son avatar, équipé d’une lampe de poche et d’un guide, à toutes les époques... C’est une découverte éducative : les possibilités sont immenses. Ça peut révolutionner le monde. Nous projetons aussi des expériences comme Flame et Spaced Out, qui n'étaient pas prévus au départ. Spaced Out avait été présenté en prototype à Sundance : c’est un voyage de la Terre à la Lune, qu’on peut ressentir dans l'eau, comme en apesanteur. C’est innovant, tout comme Flame. Cette œuvre avec une danseuse sur scène et un écran qui réagit en temps réel peut se vivre sur place et à distance : c’est à la fois une expérience de création et de développement-recherche. On va au fond projeter des prototypes. Et ça tombe bien : le Festival est lui-même un prototype, un prototype de festival hybride.