La matrice en ligne de mire
Disséqué et analysé frénétiquement depuis sa sortie, 2001, l’odyssée de l’espace n’en finit plus de fasciner. Chef-d’œuvre intemporel, le long métrage de Stanley Kubrick résiste pourtant toujours, au moins en partie, aux esprits les plus affûtés... « Pour s’attaquer à Kubrick, il faut déjà oser le faire. En fait, ça fait dix, quinze ans que j’hésite, explique François Vautier. Alors j’y suis allé par étapes. J’ai commencé avec Blade Runner Revisited en 2010, qui partait d’un concept que je voulais initialement explorer avec 2001. Le film de Ridley Scott était une forme plus simple d’expression mais partageait le côté “expérience plastique” du 2001 de Kubrick. » L’idée était de créer la matrice du film en juxtaposant toutes ses images au même endroit, à la fois une « mise en abyme et une mise en scène ». Une réussite, vue dans le monde entier, notamment à travers des festivals, suivie rapidement d’un premier film en réalité virtuelle, I Saw the Future, dédié à Arthur C. Clarke (romancier visionnaire et coscénariste de 2001). « Et c’est la réalité virtuelle qui m’a offert l’ouverture dont j’avais besoin pour aller jusqu’au bout de l’expérimentation sur 2001. D’un coup, en apportant une troisième dimension, le projet trouvait totalement son intérêt. Mais je n’avais pas encore toutes les clés, seulement la matrice : une image absolument gigantesque, plus grande que le Stade de France. J’y suis allé par tâtonnements, j’ai vraiment travaillé comme un artisan. M’est venue très vite l’idée du monolithe, l’objet du film, qui lui donne tout son sens et m’offrait cette troisième dimension que j’attendais. »
À prendre ou à laisser
Un concept « à prendre tel qu’il est », assure François Vautier. « Il y aurait mille autres manières d’aborder le sujet, mais je m’en suis tenu à cette rigueur initiale. Avec l’idée de jouer aussi sur l’identité du film, dans la mesure où je m’amuse avec l’espace et le temps. » Transformer ainsi le récit en objet presque physique forme « une mise en abyme du voyage vers l’infini qu’évoque lui-même 2001. Au premier degré : quand on se déplace dans cet objet, on se déplace dans le temps. Dans le temps du film, qui lui-même nous raconte une épopée à travers l’espace et le temps. »
Une découverte
Au cours de ses expérimentations, François Vautier est tombé sur un non-dit de Kubrick, une pépite pour quiconque tente de comprendre pleinement 2001. « Un truc dingue : une des clés du film, qui est pourtant un peu cachée. D’ailleurs, il y en a des milliers, je ne prétends pas avoir tout résolu, loin de là ! Mais voilà ce que j’ai découvert : le deuxième cœur du film, l’ordinateur HAL 9000, est aux proportions du monolithe. C’est quelque chose que Kubrick ne met pas en scène, mais il a respecté le format du monolithe en concevant HAL, dans lequel pénètre le spationaute vers la fin. Sauf que Kurbrick ne prend jamais le recul pour nous montrer cette analogie. Moi, à travers mon système, j’arrive à la mettre en scène. C’est ce qui m’a donné le droit, en quelque sorte, d’aller plus loin et d’oser m’attaquer à un tel chef-d’œuvre. S’il n’y avait pas eu ça, je ne l’aurais pas fait. »
Un titre énigmatique
D’où vient le titre Odyssey 1.4.9 ? L’explication est beaucoup plus simple qu’on ne l’imaginait : « Il vient du livre d’Arthur C. Clarke, où il évoque le monolithe : il pose ses proportions, soit un rectangle de 9 mètres de hauteur, 4 de large et 1 de profondeur. Et donc ça rejoint l’analogie autour de cet objet monolithe avec ses proportions particulières, qui se trouvent être l’intérieur de l’intelligence artificielle du vaisseau. »
L’immensité du vide
Odyssey 1.4.9 est aussi un travail sur le vertige et la sensation du spectateur, comme le faisait à son époque 2001. Mais la réalité virtuelle permet de prolonger le discours de Kubrick.
« Dans cette expérience, j’avais besoin de confronter cette idée d’immensité, de grandeur absolue, et de faire ressentir qu’on est dans la matrice de l’objet film. Cette notion de grandeur permettait d’engager un voyage dans l’immensité de ce que ça raconte. »
Objet de festival
Odyssey 1.4.9 ne sera jamais plus qu’un geste artistique. Son exploitation commerciale est impossible en l’état. Une question de droits : « C’est un peu délicat... La famille Kubrick adore le projet mais ne possède plus les droits du film, qui appartiennent à Warner Bros. » Et le studio ne s’intéresse pas spécialement à de tels projets. « C’est pourquoi être sélectionné dans un festival comme South by Southwest est d’autant plus important. C’est aussi une réalité de la VR dans son ensemble, qui est encore une niche de production et d’expression. Le marché de la VR est relativement restreint, par contre il est extrêmement vigoureux autour des festivals. Et j’ai la chance d’y avoir une très bonne distribution. Mon précédent film, I Saw the Future, a été le plus vu en VR à l’international, ce qui m’a ouvert pas mal de portes. Et je sais qu’Odyssey va pouvoir voyager et rencontrer des spectateurs. »
Toujours mystérieux
Après un tel travail d’explorateur, on fantasme une compréhension totale du 2001 de Kubrick. François Vautier est loin d’en être persuadé : « Je fais de l’astronomie, et plus j’observe les étoiles, plus je me sens minuscule. Donc je ne connais pas mieux le film aujourd’hui ! J’ai beau le parcourir dans tous les sens, c’est le contraire qui se produit... Mais il y a quelque chose de très enthousiasmant à le redécouvrir sous cette forme, car ça invite à former des liens qui ne sont pas dans la linéarité du film. Je crée des passages d’une séquence à l’autre et c’est enthousiasmant de voir à quel point tout se répond. C’est un objet qui pousse à revisiter les choses. Mais on ne verra jamais le bout de 2001 ! »