Plongée dans les coulisses de l’expérience « Ito Meikyu »

Plongée dans les coulisses de l’expérience « Ito Meikyu »

15 octobre 2024
Création numérique
Ito Meikyū / Fil d’errance
Boris Labbé, « Mono no aware », dessin préparatoire pour le projet Ito Meikyū / Fil d’errance, Courtoisie de l’artiste Sacrebleu Productions

Récompensée du Grand Prix – Section Venice Immersive à la Mostra 2024, l’expérience en réalité virtuelle Ito Meikyu se développe autour de références à l’histoire de l’art et à la littérature japonaise. Une œuvre hybride à découvrir au Drawing Lab, à Paris, jusqu’au 5 janvier 2025, que nous présente son réalisateur, le Français touche-à-tout Boris Labbé.


Comment définiriez-vous le concept d’Ito Meikyū ?

Boris Labbé : Il s’agit d’un voyage à travers différentes scènes et sensations, qui convoque beaucoup d’émotions parfois contradictoires. C’est une sorte de rêve étonnant, où l’image de la maison se mêle à celle du métier à tisser. Le fil tisse des liens entre les personnages, évoquant la rencontre ou l’amour. Tout s’entrelace dans un tissage narratif et graphique. Le labyrinthe devient ici une métaphore de l’existence.

Vous ne venez pas du monde de la VR. Pourquoi Ito Meikyū était le projet idéal pour vous lancer dans ce nouvel univers ?

Changer de médium est toujours une manière pour moi de remettre en jeu mon processus créatif. Mon travail vient principalement de ma pratique du dessin et du cinéma danimation. Avec la VR, j’ai cherché à trouver une nouvelle écriture spécifique pour ce médium, ce qui m’a permis d’engager une expérimentation autour de l’architecture, des intérieurs et des extérieurs, dans une forme déambulatoire qui est tout à fait adaptée à la réalité virtuelle. À ceci j’ai ajouté toute une création graphique entre 2D et 3D, avec des espèces de petits théâtres dans lesquels nous sommes soit trop grands, soit trop petits, et où nous devenons une sorte de voyeur curieux. Le titre Ito Meikyū est une formule inventée, un collage de deux mots japonais (ito le « fil », meikyū le « labyrinthe »). L’art japonais classique est très à plat, sans perspective, mais possède plein d’inventions graphiques étonnantes, comme la technique du fukinuki yatai qui signifie « toits soufflés ». Avec la 3D, j’ai essayé de donner à cet art une nouvelle forme.

 

Quel est votre rapport à l’art et à la littérature japonaise, largement convoqués ici ?

J’ai fait plusieurs voyages au Japon, j’y ai rencontré des artistes, visité des musées, vu des sites historiques et des monuments… La littérature est venue plus tard, lors de mes recherches pour Ito Meikyū. Je me suis surtout intéressé à deux grands textes : Les Notes de Chevet de Sei Shōnagon et Le Dit du Genji de Murasaki Shikibu. Mon travail est toujours multi référencé, donc il est difficile de ne citer que quelques sources. Il s’agissait principalement d’œuvres classiques de l’histoire de l’art du Japon, mais aussi d’autres sources contemporaines et occidentales.

Changer de médium est toujours une manière pour moi de remettre en jeu mon processus créatif. Mon travail vient principalement de ma pratique du dessin et du cinéma danimation.

Comment votre sens de la narration a-t-il été bouleversé par le côté sensoriel de la VR ?

Je pense que la VR n’est pas forcément le meilleur médium pour raconter des histoires. Par contre, elle est parfaite pour proposer des expériences nouvelles, sensorielles, sonores et visuelles. La difficulté est de dépasser l’aspect technique pour arriver à une œuvre poétique. En tant que réalisateur de film, il faut renoncer à certaines techniques du cinéma et se laisser porter par de nouvelles découvertes, comme la stéréoscopie, la vision à 360 °, le son immersif, l’interactivité… C’est un joli terrain de jeu mais il est également assez long de trouver l’équilibre entre toutes ces nouvelles possibilités. Le projet m’a pris trois années de recherches, d’essais et de réalisations. J’ai fait deux prototypes, j’ai travaillé avec de nombreuses personnes, sur des techniques dont je ne suis pas spécialiste… Il y a eu beaucoup de tâtonnements. La difficulté, c’est surtout d’arriver à garder la force et la justesse de l’idée du projet, dans un dispositif technique compliqué : dépasser la technique pour trouver un espace créatif suffisant afin d’atteindre, voir surpasser, l’idée qui nous a tant séduits…

Comment prend-on en compte les choix du spectateur dans une œuvre de ce type ?

J’ai imaginé un déroulé arborescent, où il est impossible de parcourir l’œuvre entièrement en une seule fois. J’aime l’idée de proposer une œuvre différente pour chaque utilisateur. Dans Ito Meikyū, le choix du spectateur change le déroulé narratif, mais ces choix ne sont pas conscients et relèvent simplement du hasard. Un peu comme dans la vie.

J’ai imaginé un déroulé arborescent, où il est impossible de parcourir l’œuvre entièrement en une seule fois. J’aime l’idée de proposer une œuvre différente pour chaque utilisateur.

Comment avez-vous collaboré avec votre producteur Ron Dyens, patron de Sacrebleu Productions ?

Ron voulait faire de la VR depuis longtemps, mais j’ai attendu d’être prêt et d’avoir une idée pour me lancer. Avec lui et Sacrebleu, j’ai toujours eu carte blanche pour créer ce que je voulais. C’est une grande chance et un grand soutien. Concernant la VR, nous ferons certainement un autre projet ensemble, intitulé Précieuses Chimères, à l’horizon 2026 ou 2027.
 

Ito MeikyU

Affiche de « Ito Meikyū »
Ito Meikyū Sacrebleu Productions

Expérience en réalité virtuelle d’une durée de 20 minutes
Réalisation : Boris Labbé
Animation : Boris Labbé, Capucine Latrasse, Ryo Orikasa
Musique : Daniele Ghisi
Production : Ron Dyens (Sacrebleu Productions)

Soutien du CNC : Fonds d’aide aux expériences numériques (aide au développement)

Une expérience à découvrir jusqu’au 5 janvier 2025 au Drawing Lab, 17 rue de Richelieu, 75001 Paris