D’où vient Jailbirds ?
C’est une adaptation d’un récit en BD, Paulot s’évade, de Philippe Foerster, un auteur qui m’a beaucoup marqué à l’adolescence. Il a un style unique, très noir, très ironique et en même temps très poétique... Paulot s’évade m’a particulièrement touché, car Foerster parvenait à beaucoup de profondeur dans son univers et ses personnages en quelques pages, avec un discours sur la liberté et le milieu carcéral. Il y a plusieurs niveaux de lecture, entre le fantastique, la vision de la prison, la symbolique...
Comment êtes-vous passé de cette BD à un film en réalité virtuelle ?
Quand j’ai commencé à travailler sur la réalité virtuelle, j’ai réalisé que ce média offrait la possibilité de travailler en volume, avec des outils de mise en scène appropriés. Cela permet à la fois d’enfermer le spectateur dans la cellule et de le faire s’évader dans de grands espaces.
Pourquoi la VR s’accorde-t-elle si bien avec l’horreur et le fantastique ?
Votre question est intéressante, car je trouve qu’on ne voit pas assez d’horreur et de fantastique dans la VR. Il y a surtout des œuvres à visée documentaire. Quand on fait de la VR, il faut travailler en animation, avec un moteur du rendu en temps réel qui est limité dans ses performances. Donc on ne peut pas aller dans un réalisme trop extrême, il faut avoir un style visuel assez fort, ce qui nous entraîne souvent dans des univers fantastiques, symboliques et conceptuels... En France, il y a de plus un manque terrible de cinéma de genre. Peut-être que les auteurs de VR, comme moi, sont frustrés par ce manque et utilisent ce médium comme terrain d’expérimentation ?
En 2013, vous avez réalisé un court métrage de fiction, Auguries of Innocence, tourné à la première personne, du point de vue d’un enfant kidnappé. Est-ce que ce film préparait le terrain à Jailbirds ?
En fait, Auguries of Innocence a été réalisé en relief, car avant de m’intéresser à la VR, j’étais spécialiste de la 3D. Dans ma quête de l’immersif, ça a été une étape importante : quand j’ai appris l’existence de casques VR, je me suis dit que mon film serait bien adapté à la VR. Mais non, ça ne marchait pas du tout : c’était un film traditionnel. C’est à partir de là que j’ai eu envie d’explorer les outils spécifiques à la VR. J’ai toujours voulu provoquer des émotions primaires, de l’immersion... Dans Jailbirds, on a essayé de faire de l’émotion primaire un outil de narration. Aux débuts de la VR, on utilisait beaucoup d’effets émotionnels basiques : des « jump scares », des effets de vertige... Une autre tendance de la VR est l’effet « God Mode », où le spectateur est extérieur aux personnages. J’ai essayé de conjuguer les deux : l’émotion primaire et le détachement. Les personnages sont très physiques, très proches de nous, mais le spectateur reste extérieur à eux.
Quels ont été les défis techniques du film ?
Le plus gros challenge a été de trouver le style graphique adapté. Nous avons été soutenus par le CNC lors du développement du projet, qui a demandé deux ans afin de trouver les bonnes personnes et développer le bon graphisme. Le projet est produit par le studio belge Be Revolution, qui a assuré la majorité du financement, avec Digital Rise comme co-producteur. Le studio belge The Back a créé un « shader » [« nuanceur » informatique permettant de définir lumière et ombre, NDLR] qui donne un effet crayonné, respectant le graphisme de Foerster, comme si un dessinateur faisait vraiment un crayonné en direct. Il s’est écoulé cinq ans entre le début de l’écriture et celui de la production, avec un an de retard à cause de l’épidémie de Covid. Mais une fois que tout était prêt, le film a mis six mois à se faire, le premier chapitre ne dure que six minutes... C’est une expérience en trois chapitres qui se suivent directement. Le chapitre un est terminé, mais il nous manque un peu de financement pour la suite. Les trois chapitres composeront une expérience totale de 20-25 minutes. L’idée est de sortir les trois films sur une application, pour les voir d’un coup ou séparément.
Quelle est votre activité au sein de Digital Rise Studios ?
J’en suis le cofondateur avec François Klein. C’est un studio « transfuge » de DV Group, qui en est actionnaire. Nous développons des expériences interactives « hybrides », immersives, dans des univers narratifs, pas forcément en VR. Nous avons développé des expériences sonores, Mechanical Souls, un film en VR intégré à une expérience théâtrale immersive. Jailbirds va également être décliné en court métrage « traditionnel ». En tant que directeur créatif, je supervise les lignes éditoriales et artistiques de chacune de nos créations. Nous essayons de mettre l’écriture des scénarios très en avant, y compris pour les expériences immersives et interactives. En projet, nous avons par exemple Mandala – A Brief Moment in Time, soutenu en développement par le CNC, un spectacle immersif pour plusieurs personnes simultanément, dans un univers inspiré de la mythologie bouddhiste.