Quelles étaient vos ambitions de départ pour ce jeu ?
Nous voulions imaginer un nouveau jeu narratif innovant, ce qui est la marque de fabrique de notre studio (fondé en 2016 par Diane Landais, Miryam Houali et Elizabeth Maler, ndlr). L’équipe étant friande de podcasts, nous réfléchissions donc à l’idée d’explorer davantage le domaine de l’audio. Mais nous avions également envie de questionner le rapport général à l’information. Ce deuxième axe s’est d’ailleurs retrouvé au cœur d’Alt-Frequencies. Prenez par exemple une photo et un titre : les interprétations ne seront pas les mêmes dans trois journaux différents. Même chose pour un cliché partagé sur les réseaux sociaux : en ajoutant une ligne de texte, nous pouvons lui donner un autre contexte et un autre sens. Notre but ici n’était pas de faire un jeu sur les fake news, mais de montrer comment l’information évolue lorsqu’elle passe d’un émetteur à un autre. Nous ne voulions pas non plus traiter ce sujet par le biais des réseaux sociaux, ce qui aurait été trop facile. Nous avons préféré nous interroger sur la radio, certes écoutée différemment aujourd’hui, mais qui reste un media essentiel.
Chaque radio du jeu a une identité bien définie et réaliste…
Nous nous sommes inspirés des radios françaises que nous connaissions. Mais pas seulement : nous ne voulions pas non plus rester sur un modèle trop français. Nous avons donc regardé du côté des stations allemandes et nord-américaines, qui n’ont pas le même ton. Nous ne voulions pas que les joueurs de ces régions du monde, qui sont un important public pour nos jeux, se sentent perdus dans Alt-Frequencies. Nous avons donc mélangé radios françaises et étrangères pour en tirer un archétype. Nous avons ainsi imaginé des radios populaires et musicales où deux animateurs ont un langage très familier, une radio de news très codifiée, une station de talk avec un présentateur cynique, des radios pirates et étudiantes, une fréquence de police…
Comment avez-vous réalisé ces fausses radios dans lesquelles sont intégrés des éléments de l’histoire ?
Le ton, l’identité et les styles des radios ont été définis en amont. Nous avons également choisi quelles seraient les stations-clés, et celles que le joueur allait rencontrer ponctuellement, avant d’imaginer les personnages de chaque radio. Il fallait ensuite définir comment le sujet principal, à savoir le vote à la fin de la semaine sur la mise en place ou non d’une boucle temporelle, allait être traité sur les différents canaux. Certaines radios vont l’évoquer de manière sérieuse avec des interviews de politiciens et de spécialistes tandis que d’autres ne veulent pas faire de politique.
Alt-Frequencies étant un jeu narratif audio, une attention particulière a dû être apportée au sound design…
C’était effectivement l’un des enjeux essentiels. Nous avons beaucoup travaillé pour avoir les mêmes ambiances sonores que de vraies radios : les jingles des stations musicales sont par exemple très saturés tandis que ceux des fréquences d’information sont plus courts pour annoncer un flash info… Nous nous sommes vraiment inspirés du réel. Nous avons également travaillé avec des compositeurs pour créer des musiques originales pour chaque radio et nous avons enregistré les voix avec une vingtaine d’acteurs pour chaque version (le jeu existe en français, anglais et allemand ndlr). Nous avons pensé au casting dès la phase d’écriture. Nous cherchions des voix connues, issues du monde des podcasts ou de YouTube, et qui correspondaient au style des personnages (Julien Goetz de l’émission de télé et websérie #DATAGUEULE, la vidéaste Marion Seclin ou encore la chroniqueuse et YouTubeuse Klaire fait Grr font partie des doubleurs ndlr).
Quelle approche avez-vous choisi pour la partie graphique ?
Nous hésitions au départ entre une interface d’application de radio ou podcast et une image, que nous avons préférée, qui représentait un cadre de vie quotidien au milieu duquel se trouve un poste de radio. Mais nous ne montrons pas, par exemple, dans quelle ville se trouve le joueur pour rester réalistes sans ancrer dans le réel. L’enjeu principal est avant tout de marquer l’identité de chaque radio via un logo, une police de caractères et un style différents. Lorsque le joueur change de station, certains détails subtils évoluent comme la couleur ou la bulle qui s’affiche à l’écran et qui s’inspire des styles graphiques des vraies grandes stations.
Dans vos jeux A Normal Lost Phone et Another Lost Phone : Laura’s Story, il fallait fouiller dans un portable perdu pour retrouver son propriétaire. D’où vient l’attrait d’Accidental Queens pour ces gameplays atypiques ?
Nous voulons faire des jeux qui innovent narrativement et qui détonnent aussi bien dans leur style que dans leur genre. Le studio réalise des jeux sur des sujets qui lui importe, telles que les thématiques LGBT + ou ici le traitement de l’information. Nous voulons garder ces deux composantes : plonger les joueurs dans des histoires d’une manière étonnante et traiter des thématiques qui nous sont propres. Ce n’est ni un effort ni une démarche militante. Nous évoquons juste ces sujets avec ce qu’on sait faire : du jeu vidéo. C’est un medium parmi d’autres pour s’exprimer.