Vous avez composé pour des films d’animation comme Kérity la maison des contes, mais aussi des jeux vidéo au style cartoon tels que Beyond Good and Evil et Rayman. Qu'est-ce qui vous a attiré dans ces projets ?
Ce n'est pas tellement l'objet lui-même, mais les gens qui sont derrière ces projets. Les réalisateurs de cinéma d'animation ou les creative-directors avec lesquels je collabore, comme Michel Ancel qui a créé la série Rayman, ont tous gardé l'envie commune d'évoluer vers des univers oniriques. Ce qui me plaît, c'est le fait de raconter des histoires réelles tout en me détachant de la réalité d'un point de vue artistique. Quand j'ai écrit la musique de L'île de Black Mór (film d'animation de Jean-François Laguionie sorti en 2005, ndlr), je venais de perdre ma mère, ce qui était dramatique. Cependant on me demandait d'écrire quelque chose de drôle pour cette oeuvre. Parfois on est obligé d'aller puiser très profond au fond de soi pour se détacher de la tristesse qui nous envahit et y trouver de la joie.
Vous avez d’abord travaillé pour le cinéma et la télévision. Comment avez-vous obtenu votre premier contrat dans le secteur du jeu vidéo ?
Grâce à Hubert Chevillard (dessinateur de bande dessinée et animateur français, ndlr), en 1999. A l’époque, il était directeur artistique sur Rayman 3 et j'avais déjà travaillé avec lui sur un court métrage d'animation destiné à la télévision. Quand Michel Ancel a cherché un musicien pour son nouveau jeu Beyond Good and Evil, Hubert a pensé à moi et nous a mis en relation.
Comment travaillez-vous la composition d'une musique de jeu ?
J'aime à dire que je suis compositeur de musique quel que soit le domaine : le cinéma, la télévision, le jeu vidéo... Mais c'est à moi de m'adapter au projet. Dans tous les cas, tout se fait en collaboration avec le directeur créatif. C’est un vrai travail d’équipe ! Nous décidons à quels moments du jeu il y a de la musique, et pourquoi. Nous nous interrogeons : est-ce qu’elle est générée par l'image ? Est-ce une musique venant souligner une émotion ? Est-ce qu'il y a de la radio dans le jeu ? Ce sont des choix à faire, et nous faisons ce travail à plusieurs, avec mon équipe.
Vous arrive-t-il de faire appel à des musiciens studios, et dans quels cas ?
Quand je travaille sur un jeu vidéo, je réalise d’abord la maquette, puis je me tourne vers des musiciens selon les besoins. Pour le dernier trailer de Beyond Good and Evil 2, je me suis rendu à Londres pour enregistrer les morceaux avec le London Symphony Orchestra au célèbre studio Abbey Road. Pour une production exigeant un rendu sonore orchestral, comment faire autrement que d'enregistrer de vrais musiciens ? Le rendu ne serait pas d’aussi bonne qualité avec des machines. De plus, ce qu'il y a d'intéressant avec les musiciens de session, c'est qu'ils peuvent également apporter leur propre interprétation musicale. Ils s'approprient une mélodie pour la transcender. Lors de l’enregistrement pour L’île de BlackMór, j'avais un orchestre constitué simplement d'une dizaine de personnes venant de Montpellier. Il était composé de solistes très doués, et c'était un véritable plaisir d'entendre cette musique prendre forme. Pour moi, cette expérience-là est primordiale ! Mais, dans Wild (futur titre Wild Sheep Studio), je travaille entièrement en synthèse. Je fabrique tout de A à Z et j'aime également beaucoup ça.
Vous êtes musicien. Avez-vous un instrument de prédilection ?
J'ai joué de la guitare pendant longtemps, mais j’ai senti que je n'allais pas devenir un très grand guitariste comme Jeff Beck (Yardbirds) ou encore Steve Howe (Yes). C’est le fait de vouloir écrire de la musique pour les autres qui m'a ouvert à d'autres instruments. L'orchestre de Montpellier m'avait demandé d'écrire de la musique pour un quatuor de trombones. Mais je ne savais pas trop comment fonctionnait ce type d'instrument à vent. J'ai donc dû vérifier les harmonies au piano tout en faisant en sorte de pouvoir laisser respirer les musiciens via mes compositions. C’est comme ça que je suis devenu multi-instrumentiste car il est important de comprendre les contraintes de chacun, afin d'avoir une écriture plus adaptée à eux. Je joue donc également du ukulélé, du violoncelle, des flûtes, du saxophone soprano…
En tant que joueur, à quels types de jeux vidéo jouez-vous ? Quels sont ceux qui vous ont le plus marqué, toutes générations et machines confondues ?
Hélas, je n'ai pas autant de temps que je le voudrais. Je joue malgré tout énormément aux jeux sur lesquels je travaille. J'aime particulièrement prendre les manettes, et regarder comment ma musique fonctionne avec certains éléments du jeu. Quand je trouve un peu de temps, je me régale sur Mario. J'ai grandi avec Pong, puis des jeux de type casse-briques notamment sur les machines Atari. Il y a également eu le jeu The Sentinel (Puzzle game). Après j'ai démarré ma vie professionnelle et il est devenu plus compliqué de jouer. Mais à l'inverse de tout le monde, mon travail consiste justement à jouer du coup !
Vous citiez Mario, est-ce le jeu vous ayant le plus marqué ?
Franchement sur le plan musical c'est top ! Il est d'une efficacité redoutable. Hormis le thème principal qui est vraiment biscornu et très rigolo, tout le travail de sound-design était révolutionnaire et a posé les bases de pas mal de titres d'aujourd'hui. Par exemple l'apparition de certains personnages non joueurs, comme les fameuses plantes ou autres ennemis possédant chacun un son identifiable tout en rendant le tout cohérent. Ça n'a l'air de rien, mais c'est une sacrée performance technique et artistique pour l'époque.
Sur quels projets travaillez-vous en ce moment ?
Je travaille en ce moment même sur deux jeux vidéo AAA (titres à gros budget, ndlr) Wild et Beyond Good and Evil 2. Mais également sur des films tels que Le Voyage du prince, le prochain long métrage de Jean-François Laguionie. Je planche également sur deux courts métrages, dont un d'animation.
Le travail de Christophe Heral était à l’honneur en 2017 lors de la première Paris Games Week Symphonic, un concert pendant lequel un orchestre symphonique reprend les musiques les plus populaires des jeux vidéo. Lancé pour la première fois l’année dernière, cet événement revient pour une deuxième édition le 27 octobre à 20h au Dôme de Paris. Un concert organisé dans le cadre de la Paris Games Week qui se tient du 26 au 30 octobre à Paris.