Chez Ubisoft, l’univers d’un jeu vidéo naît de voyages, d’enquêtes sur le terrain. Cela s’est passé de cette manière pour créer le background d’Assassin’s Creed Valhalla ?
Ça commence même en amont, quand le cœur d’équipe d’Assassin’s Creed envisage des périodes historiques qui pourraient les intéresser et exciter les fans. La fantaisie de l’époque des sagas vikings – même si les historiens n’aiment pas tellement le mot saga – faisait partie des univers qui motivaient le plus les artistes en charge de la création des personnages. Nous avons aussi été sidérés par les paysages scandinaves. On a l’impression de voyager hors de la terre. C’était un défi intéressant à relever.
Les récits qui entourent les Vikings tirent parfois vers la mythologie. Où avez-vous placé le curseur entre fantastique et réalisme ?
Nous avons essayé de trouver notre équilibre entre la représentation de la fantaisie et le respect des valeurs et des cultures.
L’équipe créative fait aussi elle-même beaucoup de recherches pour créer un monde plausible. J’aime beaucoup travailler avec Jean-Claude Golvin, un historien et architecte, connu pour son habilité à ressusciter les cités. D’un autre côté, on voulait donner au joueur la liberté d’être le Viking de son choix. Il peut choisir son sexe et son apparence. Il peut être poète, faire des joutes verbales, partir à la découverte de son environnement et déceler des mystères et des lieux cachés… ou couper des têtes avec sa hache ! Nous avons développé l’intelligence artificielle pour permettre au joueur de ne pas être tout le temps seul et de s’engager dans certaines coopérations.
Comment avez-vous procédé ? Est-ce que l’histoire précède la création visuelle ?
On travaille toujours en parallèle. La création de l’histoire se développe en même temps que la création du monde. Pour définir des personnages, pour les dessiner, on a besoin d’avoir une biographie, une première trame narrative. Pour établir l’apparence du personnage principal, Eivor, on ne peut pas faire abstraction de son passé, de sa personnalité. C’est très important de se synchroniser avec les scénaristes. Pour ce qui est du décor et de l’univers, on va créer des lieux en fonction des histoires, mais les histoires vont aussi naître d’une inspiration visuelle.
Justement, quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Les récits et les mythologies nordiques tout d’abord. Nous voulions nous ancrer dans une certaine authenticité à l’histoire et aux croyances vikings. Pour autant, nous n’avons pas voulu faire de la reconstitution historique comme on peut en voir dans les séries télé sur les Vikings. Cela va souvent de pair avec un ton monochrome, des couleurs désaturées, beaucoup de brume, de la pluie. À l’inverse, on a préféré adopter une vision très romanesque et épique pour faire vivre des émotions aux joueurs. La peinture romantique, comme celle de Caspar Friedrich ou John Atkinson Grimshaw, où la nature est magnifiée dans sa beauté et dans sa grandeur nous a servi d’inspiration. Rien ne dit que les Vikings, en arrivant en Angleterre, ne sont pas tombés sur un magnifique lever de soleil avec un envol d’oiseaux et une lumière qui passe au travers des feuilles d’automne dans les arbres sur des collines vertes vibrantes.
Qui dit Viking dit drakkar… Comment avez-vous composé ceux du jeu ?
Autant nous avons fait le choix de magnifier la nature dans une approche romantique, autant pour ce qui est historiquement avéré, nous avons essayé d’être le plus authentiques possible. On a visité des musées de drakkars en Norvège, au Danemark. On a nous-mêmes fait un petit voyage en drakkar dans un fjord où on a appris à manipuler les rames, les voiles et à synchroniser les rames en rythme avec le tambour. On a aussi étudié la construction de ces vaisseaux à fond plat qui permettaient de passer partout, et notamment dans les rivières.
La langue des Vikings est aussi très présente, tant à l’écrit qu’à l’oral. Comment redonne-t-on vie à un dialecte qu’on ne parle plus ?
En effet, quand on a recréé le royaume d’Asgard, on a porté une attention particulière aux inscriptions. On a été très prudents dans l’utilisation des runes pour donner vie à cette culture viking sans tomber sur les mauvaises interprétations. Pour ce qui est du langage, nos acteurs ont travaillé avec des coachs scandinaves.
De quoi êtes-vous le plus fier ?
C’est le monde le plus varié visuellement qu’on ait créé dans la marque Assassin’s Creed puisqu’on a donné vie à des paysages de Norvège mais aussi d’Angleterre. Il y a une direction artistique complètement différente en fonction des lieux. Chaque quête est teintée d’une palette de couleurs, d’une saison. En Norvège, au début de l’histoire, on a voulu mettre l’accent sur le côté impardonnable de cette nature impressionnante et dangereuse de par son climat et sa monumentalité. Dans certaines régions, on a des pics de glace qui ont l’air d’avoir été sculptés par des géants. Sur les côtes anglaises, on commence au début de l’été pour finir au début de l’hiver au mur d’Hadrien [dans le nord de l’Angleterre, NDLR]. Cela permet d’avoir une identité visuelle pour tous ces arcs narratifs, liée aux régions. L’idée, c’était vraiment de capturer l’essence émotionnelle de ces paysages.