Crying Suns, une dystopie inspirée de grandes œuvres SF

Crying Suns, une dystopie inspirée de grandes œuvres SF

09 juin 2020
Jeu vidéo
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Crying Suns
Crying Suns Alt Shift - DR
Nommé pour les prix de meilleur jeu vidéo indépendant et de meilleur game design à la première cérémonie des Pégases, Crying Suns mêle exploration spatiale et réflexion sur la place de l’Intelligence Artificielle dans nos sociétés. A l’occasion de la sortie du jeu sur mobile (iOs et Android) le 25 juin prochain (il est disponible sur PC et MAC depuis septembre 2019), rencontre avec Frédéric Lopez, directeur artistique de Crying Suns et Expert Social Media CEO du studio montpelliérain indépendant Alt Shift à l’origine de ce jeu qui a nécessité près de quatre ans de travail.

Présentez-nous Crying Suns et son histoire.

Crying Suns est un rogue-lite tactique dans lequel vous incarnez un Amiral de flotte spatiale explorant une galaxie à l'agonie. Mais il s’agit aussi d’une profonde expérience narrative dystopique inspirée notamment par les univers de Dune, Fondation et de quelques autres de nos romans SF préférés.

Pourquoi ces références et comment s’expriment-elles dans le jeu ?

Dans Fondation, nous aimions l’idée d’empire galactique construit autour d’un plan de contingence qui pourrait potentiellement le sauver. Cela nous semblait apporter une réelle richesse à l’atmosphère tout en donnant un but clair au héros principal : essayer de sauver l’humanité. Pour Dune, nous nous sommes inspirés de l’idée d'Épice, dans notre cas les “OMNIs”, ressource limitée et extrêmement valorisée avant de disparaître mystérieusement. Comme c’est le cas dans Dune avec l'Épice, il y a un désir constant de la part des acteurs principaux de l’univers de Crying Suns d’acquérir toujours plus d’OMNIs, quoi qu’il en coûte. L’Empereur de notre histoire lui-même, Obéron, déploie des efforts importants pour contrôler le nombre d’OMNIs que chaque grand acteur détient, mais aussi, au vu de leur puissance, comment ils sont utilisés. Il y a bien sûr de nombreuses autres idées issues de ces deux œuvres mais pas uniquement. Notre inspiration pour Crying Suns a été nourrie de dizaines d’autres romans, films, ou BD dont les joueurs peuvent trouver références dans le jeu d’une manière ou d’une autre.

Un vrai soin a été apporté au scénario. Comment s’est-il construit ?

Nous voulions donner en effet à ce jeu une importante densité scénaristique, avec de forts enjeux, qui pousse également le joueur à se poser des questionnements profonds en le mettant face à des choix moraux, éthiques ou politiques parfois très difficiles. Etant donnée la structure rogue-lite du jeu avec ses contraintes fortes, construire la ligne narrative a été un vrai défi. Nous nous sommes très vite confrontés à de nombreuses questions : « Comment écrire un scénario qui fait sens lorsque le joueur meurt et recommence constamment ? », « Comment une narration peut-elle avancer dans ce type de gameplay ? », « Doit-on se focaliser sur le héros principal ? Si oui, comment ? », « Et comment doivent réagir les NPC (personnages non-joueurs ndlr) qui l’ont déjà rencontré, et dans de nombreux cas, qui l’ont déjà tué ? »… Nous avons découvert que ces contraintes pouvaient en fait devenir les atouts de notre histoire, ses points clés. Nous avons compris qu’elles pouvaient être le moteur de la narration et non pas quelque chose que nous devions éviter ou cacher. Donc nous avons décidé de placer le joueur au centre d’un plan pour sauver l’humanité. Il meurt souvent et de manière horrible, certes. Mais il vit essentiellement via ses clones qui sont renvoyés sans cesse dans notre univers pour tenter de sauver l’humanité.

Ce scénario est-il également un moyen de provoquer une vraie réflexion sur la dépendance à l’IA dans le monde ?

En effet, c’est un des grands questionnements que j'évoquais plus tôt. Nous avons essayé de nous projeter dans un futur où l’humanité s’est progressivement aliénée aux machines et aux intelligences artificielles. Que se passerait-il dans nos sociétés si l’on poussait l’idée le plus loin possible? Quelles seraient les conséquences politiques, sociales, économiques et religieuses de cette dépendance ? Crying Suns étant une dystopie, nos réponses à ces questions sont assez sombres évidemment, parfois même terrifiantes.

Crying Suns Alt Shift/DR

Le même soin a été apporté au graphisme, mêlant 3D, rétro et pixel art. Pourquoi une telle ligne directrice ?

Ce choix est venu après plusieurs mois de recherche de styles pour converger vers une esthétique que nous voulions unique et facilement reconnaissable, avec une palette précise et des choix de mise en scène qui contribuent à l’ambiance post-apocalyptique du scénario. Dans le processus de création, nous avons évolué de plus en plus vers la 3D, celle-ci permettant beaucoup plus de liberté tant au niveau technique (perspectives, effets d’atmosphère, lumières dynamiques, etc.) qu’en termes d’immersion, bien que nous soyons restés à une esthétique volontairement “pixel”.

Quelles étaient les principales difficultés du processus de création ?

Nous avons déjà évoqué le challenge qu’implique le gameplay de type rogue-lite pour faire avancer une ligne narrative. Ce point a été certainement une des difficultés les plus importantes à surmonter. Mais en tant que passionnés, les principales difficultés ont surtout été les moments, heureusement rares, où nous avons dû arrêter quelque chose, avant d’en être entièrement satisfaits, par contraintes budgétaires ou de planning. Quand votre travail est aussi votre passion, se dire : « Ok, ce n’est pas parfaitement comme je le souhaitais mais il faut que j’avance et passe à autre chose » est toujours une grande frustration. Pour cette raison, le rôle du directeur de production est crucial mais très difficile dans ces arbitrages.

Comment a été composée la musique et qu’apporte-t-elle à l’ambiance générale du jeu ?

Nous avions des idées assez précises pour illustrer Crying Suns, principalement autour de sons électroniques, teintés 80’s, qu’on pourrait appeler “Synth Wave”. Nous avons démarré ce processus créatif sur la base d’une playlist de références existantes, puis de moodboards (assemblages d’idées et d’inspirations ndlr) avec notre musicien Aymeric Schwartz, sur lesquels nous avons itéré pour arriver à un ensemble cohérent, avec un thème principal et des déclinaisons selon les moments clés du jeu. Nous avons voulu faire de Crying Suns un jeu avec une identité forte, portée par une ambiance unique et immersive. La musique, et globalement tout l’habillage sonore, sont fondamentaux pour arriver à cela, que ce soit par de simples illustrations sonores de feedbacks qui vont contribuer à la compréhension du joueur, jusqu’à la sonorisation complète de cut scènes complexes avec des dialogues interactifs, des éléments hors champs, etc.

Vous avez eu recours à un Kickstarter pour ce jeu. Pourquoi avoir choisi une telle campagne participative ? Etait-ce l’occasion de s’assurer, avant de se lancer, de l’intérêt du public ?

L’idée du Kickstarter a été surtout un test : « Est-on capable de mobiliser une communauté autour de notre jeu ? ». Nous voulions très vite nous confronter au réel, vérifier que nos désirs de créateurs avaient une réelle résonance dans le cœur d’autres personnes. Là-dessus, la campagne nous a rassurés et a validé de nombreux choix techniques et artistiques. L’aspect financier a été une conséquence très positive évidemment, puisqu’elle nous a permis de compléter notre budget et de rester sur le périmètre du jeu idéal que nous avions imaginé au départ et que nous aurions dû réduire sans l’aide de la campagne.

Comment est née votre société Alt Shift et quelle est sa ligne directrice ?

Nous avons créé Alt Shift il y a maintenant dix ans. Nous étions cinq cofondateurs (rencontrés sur les bancs de la fac de Montpellier) animés par une forte envie d’innovation dans le jeu vidéo. Nos premiers projets étaient d’ailleurs très innovants tant dans l’usage que dans la technologie, puisqu’il s’agissait de prototypes de jeux MMO (jeux massivement multijoueurs ndlr) géolocalisés, type Pokemon GO avant l’heure. Nous avons longtemps travaillé sur ce type d’idées pour ensuite nous concentrer sur des concepts où l’innovation résidait davantage dans le gameplay que dans les technologies qui les supportent ; ce qui a débouché sur nos premiers succès, le puzzle game Not Not, et aujourd’hui, Crying Suns.

Vous avez d’autres activités que la réalisation de jeux vidéo de divertissement (la société propose aussi des solutions en social media marketing et des méthodes de gamification). Comment s’entremêlent ces différents pôles ?

Depuis nos débuts, nos efforts en R&D et les différentes expertises techniques que nous avons développées nous ont permis d’obtenir des contrats de prestation de services. C’est en partie grâce à ces contrats, en complément de l’aide du CNC, que nous avons pu autofinancer nos prises de risques créatives. Aujourd’hui, avec le succès de Crying Suns et de nos précédents titres, ces prestations représentent une proportion de plus en plus faible de notre activité, au profit de projets créatifs internes.

Crying Suns a bénéficié du Fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV) du CNC.