Des aventuriers explorant des labyrinthes peuplés de monstres en quête de trésors : né en même temps que les premiers jeux vidéo, le jeu de rôle sur table Donjons & Dragons les a fortement nourris et influencés. Le « premier JDR jamais créé » était en effet beaucoup joué sur les campus américains. Et c’est précisément là que naquit l’industrie vidéoludique dans les années 70. Ainsi, Beneath Apple Manor, sorti en 1978, permettait au joueur d’arpenter des souterrains mal fréquentés et rappelait Donjons & Dragons sans en être une adaptation officielle. Mais si le mot RPG (Role Playing Game) est devenu synonyme de « jeu vidéo de rôle », avec ses franchises américaines (Ultima, Wizardy, The Bard's Tale...) ou japonaises (Final Fantasy, Chrono Trigger...), les adaptations de jeux de rôle sur table au sens strict sont plus rares. Si un ordinateur peut très facilement gérer les règles parfois complexes de ce type de jeu, leurs univers et leurs intrigues sont plus difficilement transposables : un jeu de rôle sur table permet une très importante liberté narrative et ludique, définie par les participants eux-mêmes, alors qu’un jeu vidéo offre forcément une expérience plus restreinte et passive.
Pool of Radiance (1988)
Il a fallu attendre 1988 pour que sorte Pool of Radiance, le tout premier jeu officiellement adapté de Donjons & Dragons. Premier d’une série de quatre, le jeu permet de vivre une véritable campagne (séries de parties reliées) de jeu de rôle devant son écran et plonge le joueur dans le monde des Royaumes oubliés, l’univers de fantasy « par défaut » de D&D. On crée une équipe de personnages à l’aide des règles du jeu afin de vivre une quête épique, et l’on peut même transférer ses personnages dans les jeux suivants : Curse of the Azure Bonds, Secret of the Silver Blades, et Pools of Darkness qui achève la série en 1991. La collaboration du studio SSI avec l’éditeur de Donjons & Dragons, TSR, se révéla fructueuse et féconde : SSI a produit les autres adaptations officielles d’univers TSR comme Eye of the Beholder, Dragons of Krynn, Dark Sun...
Realms of Arkania : Blade of Destiny (1992)
Première adaptation en jeu vidéo du jeu de rôle « papier » Das Schwarze Auge, traduit en France sous le nom de L’Œil noir. Une adaptation développée par le studio Attic Entertainment, basé à Albstadt en Allemagne, qui reproduit fidèlement le système de règles du jeu original, ressemblant beaucoup à celui de Donjons & Dragons : on y crée (et on y gère) dans le détail une bande d’aventuriers explorant un monde médiéval fantastique. La franchise Œil noir (dont la dernière édition « papier » vient d’être traduite en français) a donné naissance à douze jeux vidéo – le dernier, Demonicon, est sorti en 2013 — prouvant la vitalité de la série auprès du public allemand.
Dark Earth (1997)
Dans les boîtes du jeu de rôle français sur table Dark Earth — se déroulant sur une Terre post-apocalyptique plongée dans une obscurité magique — se cachait un CD-ROM comprenant une version démo du jeu vidéo du même nom. En réalité, il s’agissait d’un jeu d’action-aventure très scénarisé, proche de son cousin français Alone in the Dark. Pas de création de personnages, peu d’évolution libre, peu de liberté dans le jeu... On contrôle un seul personnage en 3D dans des décors 2D aux angles de caméra fixes et prédéterminés. Développé par Kalisto, Dark Earth n’est finalement pas comparable au jeu de rôle éponyme, alors qu’il devait faire partie d’un plan transmédia où le même univers était développé à travers différents supports ludiques.
Baldur's Gate (1998)
Après Fallout en 1997, le monde du RPG n’allait plus être le même. Baldur’s Gate — RPG situé dans les Royaumes oubliés — porte sa marque et fait passer le jeu vidéo à la D&D dans un tout nouveau monde. Un monde immense, que le joueur peut explorer presque à sa guise. D’une richesse hors-norme, avec de nombreuses sous-quêtes et de personnages inoubliables en termes d’écriture et de dialogues, Baldur’s Gate a été un succès public et critique mérité. Les versions « Enhanced » du jeu et de sa suite en 2012 ont montré que si Baldur’s Gate avait un peu vieilli en termes d’interface, le plaisir du jeu était toujours là, intact. Le troisième volet, prévu pour 2021, devrait être un des événements vidéoludiques de l’année.
Planescape Torment (1999)
Le chef-d’œuvre de Black Isle Studios, formé par les meilleurs auteurs de Baldur’s Gate, se place dans l’univers le plus fou jamais créé pour D&D : celui de Planescape, formé d’une infinité de plans d’existence regroupant tous les mondes fantastiques et reliés par Sigil, la cité des portes. Le jeu utilise le même système de règles que Baldur’s Gate, mais pour mieux les développer. On y incarne Sans-Nom, un immortel amnésique (accompagné entre autres de Morte, un crâne flottant et parlant) tentant de racheter les fautes d’une vie de carnages... L’une des productions les plus originales de l’histoire du RPG, devenue culte au fil des années.
Vampire : The Masquerade – Redemption (2000)
L’adaptation vidéoludique du fameux Vampire : La Mascarade (par White Wolf, le même éditeur que Loup-garou : L’Apocalypse) est une épopée d’action-aventure à travers les siècles, qui ne reproduit qu’une fraction de l’expérience du jeu original, où des suceurs de sang immortels trament d’obscurs complots dans l’ombre. L’originalité du jeu repose sur le mode Storyteller : un meneur de jeu en chair et en os peut utiliser Redemption pour animer en réseau (local ou internet) un scénario avec des personnages créés par les joueurs. Encore imparfaite, cette expérience novatrice annonce celle des applications en ligne comme Roll20 qui permettent de jouer à distance et qui ont connu une vraie explosion en 2020. Les développeurs du studio Troika (cofondé par Tim Cain, l’un des auteurs de Fallout) feront suivre Redemption par Bloodlines en 2004, plus proche d’une vraie expérience de jeu de rôle en permettant de créer son personnage de vampire de toutes pièces et en le faisant évoluer dans un monde semi-ouvert grâce au moteur 3D de Half-Life 2.