Les jeux vidéo de cape et d’épée sont extrêmement rares…
L’idée d’En Garde ! vient justement de cette constatation. Je me suis d’abord fait la réflexion que personne n’avait jamais fait de « jeu de mousquetaires ». Nous avons alors redécouvert tout un genre et un imaginaire sous-exploité, et pourtant très fertile pour la création de jeux d’action.
Pourtant le genre semble parfaitement se fondre dans le paysage vidéoludique. Vous avez une explication sur sa rareté ?
C’est un genre qui est relativement tombé en désuétude. Il a connu son heure de gloire au XIXe siècle en littérature puis au XXe siècle au cinéma. Aujourd’hui, dans un style similaire, ce sont plutôt les pirates qui sont à la mode –d’ailleurs, à l’origine, le film de pirates est un sous-genre du film de cape et d’épée. Les univers de jeux vidéo vont généralement suivre les tendances, c’est pourquoi les pirates ont supplanté les mousquetaires et autres escrimeurs dans le paysage vidéoludique.
En Garde ! a démarré comme un projet de fin d’études ?
Effectivement, c’est là que l’idée a germé. Il nous fallait quelque chose d’original, d’accrocheur et qui nous permettrait de mettre en avant nos compétences de développeurs. Le pitch était ambitieux, mais prometteur.
Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
La liste est longue : En Garde! est construit comme un amalgame d’un grand nombre d’inspirations. Nous nous basons beaucoup sur des codes ancrés dans l’imaginaire populaire, dont nous ne connaissons parfois même pas l’origine. Mais concrètement, outre évidemment Les Trois Mousquetaires, notre référence principale était Zorro, pour son ambiance hispanique caractéristique, et son personnage de héros du peuple. Des éléments qu’on retrouve également chez Le Chat Potté de DreamWorks, dont l’univers visuel nous a servi de référence. Nous avons aussi eu plaisir à nous inspirer des films de l’âge d’or hollywoodien, avec Errol Flynn et ses personnages hauts en couleur, comme Robin des Bois ou Don Juan. Le film Princess Bride et la bande dessinée De cape et de crocs étaient également intéressants car ils sont eux-mêmes pensés comme des hommages –voire des pastiches–, qui reprennent et condensent des codes préexistants. On peut aussi citer la poésie et la prestance de Cyrano de Bergerac, une œuvre qu’on retrouve de manière plus discrète dans notre jeu, mais qui transparaît tout de même à travers le concept de « panache ».
Le jeu développe un humour entre le réalisme et le cartoon…
Nous avons veillé à ne jamais tomber dans un extrême ou l’autre. C’est de la comédie physique et burlesque, mais nous ne faisons pas du Tex Avery. Nous voulions que les mouvements des personnages puissent être réalisés par des humains, tout en étant exacerbés, comme ce qu’on pourrait voir dans la commedia dell’arte ou dans le cinéma muet. Les anglophones appellent ce genre de comédie « slapstick », donc littéralement l’idée de « coups de bâton », ce qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’humour des farces de Molière. Le résultat final, couplé à la stylisation artistique du jeu, évoque un dessin animé familial, proche d’un Aladdin de Disney, par exemple. Concernant l’humour, nous nous sommes beaucoup basés sur le film La Folie des grandeurs avec Louis de Funès –qui se déroule, comme notre jeu, durant le siècle d’or espagnol–, et même Astérix, pour sa reconstitution historique teintée d’anachronisme et ses personnages de soldats patauds qu’on prend plaisir à faire tourner en bourrique.
Les films de cape et d’épée sont remplis de codes et de tropes, tout un imaginaire populaire que vous convoquez. À quel point était-il important de retrouver cela dans le jeu ?
Notre objectif était de créer un jeu qui célèbre l’héritage des films de cape et d’épée, en permettant aux joueurs de se sentir dans les bottes d’un maître épéiste. Nous réapproprier ces codes aune importance capitale, car c’est notre première clé pour séduire les joueurs : ils doivent pouvoir reconnaître des éléments familiers, qui font appel à leur imaginaire, tout en les redécouvrant dans un contexte interactif inédit. Cela donne au jeu l’avantage rare de sembler à la fois nostalgique et novateur. L’utilisation des décors dans l’action était pour nous l’opportunité de mettre en place un système de combats original. Mais c’est aussi un aspect qui est fondamental au héros de cape et d’épée.Ce n’est pas juste un escrimeur hors pair, c’est quelqu’un capable d’improviser dans la plus périlleuse des situations pour s’en sortir grâce à la ruse. Ou, comme le disent certains de nos joueurs anglophones, ce n’est pas simplement un jeu d’escrime (« fencing »), mais bien un jeu de « swashbuckling » (dérivé de « swashbuckler », un terme intraduisible qui désigne en anglais les œuvres et les héros de cape et d’épée). Les joueurs qui ont plébiscité le jeu sont d’ailleurs souvent ceux qui ont bien compris cet état d’esprit. Tandis que ceux qui auraient voulu pouvoir se battre à 1 contre 10 uniquement avec leur épée peuvent se retrouver assez déçus.
Ces interactions avec le décor sont presque naturellement génératrices d’humour, avec les réactions loufoques des ennemis lors des combats.
Nous avons accentué cet humour par un sens du bon mot et une ambiance bon enfant, ce qui est aussi un choix engagé de notre part : dans une industrie qui fait la part belle aux univers sombres et violents, proposer quelque chose de léger et de drôle nous permet de montrer qu’il y a d’autres manières, tout aussi stimulantes, d’aborder les combats dans les jeux d’action. J’ai, par exemple, refusé d’intégrer des armes à feu dans le jeu. Contrairement aux épées qui renvoient plus facilement à l’imaginaire de l’enfance, avec une violence qu’on peut facilement édulcorer, les fusils sont associés à une létalité inévitable, et j’avais peur que leur inclusion brise quelque chose dans la légèreté du ton. Il y a certaines choses qu’il est plus difficile de tourner en dérision.
Il y a un grand sens du spectacle dans En Garde ! Comment y êtes-vous parvenu ?
L’idée de se donner en spectacle est pour nous un des autres aspects fondamentaux du héros de cape et d’épée. C’est un personnage qui fait preuve d’une bravoure ostentatoire, qui a conscience de son style et qui n’agit pas que pour arriver à ses fins, mais aussi pour être vu. Il y a un fond de vanité, qui rend le héros de cape et d’épée peut-être légèrement moins noble que d’autres, mais assurément plus charmant. Dans notre jeu, ce sens du spectacle vient d’un savant mélange d’aspects que je viens d’évoquer : la grâce de l’escrime, l’improvisation avec l’environnement, les situations périlleuses, les cascades burlesques des personnages. Cette mise en scène du spectaculaire a d’ailleurs failli prendre une part plus centrale dans le gameplay. À un moment du développement, le joueur était très libre dans ses possibilités, mais le combat était peu intéressant car trop facile et peu tactique. Pour pallier cela, nous avions envisagé que le joueur doive consciemment se donner en spectacle. En plus de devoir vaincre ses ennemis, il aurait été jugé sur sa capacité à varier ses chorégraphies de combat afin de créer du spectacle. Mais cet artifice complexifiait le jeu inutilement, et ne réglait pas le problème de fond du combat. Nous avons donc mis cette idée de côté, et avons élaboré une boucle de jeu encourageant le joueur à alterner entre l’escrime et l’utilisation de l’environnement, et à adapter ses tactiques en fonction de la situation. Nous avons également fait attention à ce que nos interactions les plus spectaculaires relèvent d’un aspect profondément ludique –au sens le plus pur du terme, qui renvoie presque au jouet–, pour que le joueur soit encouragé à les utiliser juste pour le plaisir. Grâce à tout cela, le spectaculaire a fini par découler naturellement du combat.
Le jeu a quelque chose de très « à l’ancienne » dans sa structure. Ce qui, mélangéau gameplay extrêmement dynamique, crée un contraste très plaisant pour le joueur. Était-ce l’objectif ?
La structure du jeu est passée par différentes idées plus complexes avant de s’arrêter sur celle-ci. Nous n’avions pas spécialement pour volonté de faire quelque chose d’oldschool, nous voulions avant tout quelque chose de simple, afin de concentrer nos efforts sur les combats qui sont le vrai cœur du jeu. Pour le joueur, ce type de structure permet de rester happé par l’aventure et d’avoir des moments de respiration entre deux affrontements. Nous nous sommes inspirés de jeux qui nous ont marqués. Ayant été jeunes dans les années 90 et 2?000, des parallèles évidents ont été tracés par nos joueurs avec des jeux d’action-aventure de l’ère PlayStation 2. C’est un choix qui rend finalement le jeu encore plus intéressant, car cette structure lui confère un aspect nostalgique. Cela complémente parfaitement l’univers de cape et d’épée, lui-même désuet et évocateur de nostalgie. Beaucoup de joueurs décrivent En Garde ! comme un jeu qu’ils auraient rêvé d’avoir étant enfants.
En Garde ! est le premier jeu de Fireplace Games. Son rôle est-il aussi de définir les ambitions et la ligne éditoriale du studio ?
Effectivement, En Garde ! est un jeu relativement ambitieux, qui pose des standards pour une entreprise comme Fireplace. Plusieurs fois au cours du développement, nous nous sommes attelés à définir quels aspects deviendraient la fondation d’une ligne éditoriale pour le studio. L’excellence technique ? Le style visuel ? L’accessibilité ? Le respect des joueurs ? Des concepts basés sur des fantaisies fortes et originales ? Tout cela à la fois ? Ce sont des sujets complexes, qui demandent de répondre aux réalités du marché, maiségalement aux envies des équipes. Car En Garde ! est avant tout la continuité d’un projet étudiant. Avant même la question de la ligne éditoriale, il s’est posé pour nous la question de réussir à intégrer les nouveaux arrivants et à faire évoluer le concept afin que toute l’équipe puisse s’approprier le projet.
Anaïs Simonnet est la PDG de Fireplace. Qu’est-ce que cela change de travailler dans un studio dirigé par une femme ?
Anaïs s’est inscrite dans la mouvance d’une nouvelle génération de dirigeants qui partagent la volonté d’améliorer les conditions de travail et la bienveillance entre tous les acteurs dans l’industrie du jeu vidéo. Au niveau du jeu et de son contenu, nous avons fait très attention à la représentation des personnages, et notamment d’Adalia, notre personnage principal féminin. Bien que notre jeu soit rempli de personnages archétypaux, il y a une nuance entre archétype et cliché. Nous ne voulons pas véhiculer de mauvaises valeurs, nous avons donc cherché à éviter les travers et stéréotypes sexistes ou discriminants. Nous pensions aux joueuses et au genre de situations auxquelles elles n’auraient pas forcément envie d’être confrontées dans un jeu qui est censé les mettre de bonne humeur. Nous avions donc travaillé en amont sur la conception des personnages. Puis nous avons fait appel à un sensitivity reader, une personne chargée de relire et d’analyser notre travail pour nous aider à mieux prendre conscience des biais que nous pouvions avoir, et nous suggérer des pistes d’amélioration. Cela nous a permis, par exemple, d’améliorer la manière dont la romance est représentée dans le jeu, et globalement la manière dont tous les personnages interagissent entre eux.
Après Steam, une sortie d’En Garde ! sur consoles est-elle prévue ?
Nous aimerions beaucoup, nous sommes en train de considérer le sujet et de rechercher les opportunités qui nous permettraient de sortir le jeu sur console. Mais nous ne pouvons rien confirmer pour le moment !
En Garde !, du studio Fireplace Games, disponible sur Steam. Toutes les informations sur le site officiel.