« How to Say Goodbye », un puzzle game narratif pour parler du deuil à travers le jeu vidéo

« How to Say Goodbye », un puzzle game narratif pour parler du deuil à travers le jeu vidéo

21 novembre 2022
Jeu vidéo
Tags :
« How to Say Goodbye » de Florian Veltmann et Baptiste Portefaix.
« How to Say Goodbye » de Florian Veltmann et Baptiste Portefaix. Florian & Baptiste/ARTE France

Dans ce puzzle game narratif visuellement inspiré des livres illustrés pour enfants des années 60, le joueur incarne un personnage récemment décédé et transformé en fantôme. Plongé dans une étrange réalité parallèle peuplée d’esprits malveillants, il devra tout faire pour tenter d’y échapper. Entretien avec Florian Veltman, le cocréateur du jeu.


Votre idée d'origine était-elle de construire un jeu sur le deuil ?

Pas forcément. Quand j’ai commencé à travailler sur le prototype de How to Say Goodbye, je venais de quitter mon ancien travail chez Ustwo, qui a réalisé Monument Valley 2. J’avais pas mal d’idées de puzzle games et de mécaniques qui me semblaient intéressantes à exploiter. En travaillant sur certaines de ces idées, de fil en aiguille, je me suis rendu compte que la thématique du deuil pouvait très bien fonctionner avec le gameplay qui était en train d’émerger. 

Comment avez-vous développé l’univers visuel du jeu, inspiré des livres pour enfants des années 60 (ceux de Tomi Ungerer, Tove Jansson, Antoine de Saint-Exupéry ou encore Maurice Sendak) ?

J’ai étudié aux Arts décoratifs de Strasbourg avec Baptiste Portefaix, le cocréateur du jeu. Il se trouve qu’il s’agit d’une école qui a une appétence pour l’illustration de la littérature jeunesse. Très souvent, lors de notre cursus, nous avons été exposés à ces codes visuels et à cette façon particulière de raconter des histoires. Nous trouvions qu’il était intéressant que ces livres, destinés à des personnes qui n’ont pas beaucoup d’expérience de vie, parviennent tout de même à communiquer des idées très complexes. Des idées qui peuvent aussi toucher les adultes. C’était une bonne façon d’évoquer un sujet potentiellement lourd comme le deuil, mais en le rendant très lisible et plus facile d’accès. Cela nous autorisait une certaine légèreté. 

L’approche du deuil dans certains livres pour enfants collait très bien avec le concept de puzzle game, soit un type de jeu avec lequel on peut prendre son temps et qui est plutôt clément avec les joueurs.

How to Say Goodbye dégage en effet une sorte de douceur et de poésie, ce qui contraste avec l’idée qu’on pourrait se faire d’un jeu sur le deuil…

C’est certain, et cet aspect était important à intégrer pour moi dès le début de notre travail. L’approche du deuil dans certains livres pour enfants collait très bien avec le concept de puzzle game, soit un type de jeu avec lequel on peut prendre son temps et qui est plutôt clément avec les joueurs.

Le jeu nous demande de donner un nom et une apparence au personnage principal, ainsi que de remplir une courte fiche d’information sur lui. Était-ce une façon d’impliquer le joueur personnellement dès le début de l’aventure ?

Oui. Je crois que cela participe à la force narrative du jeu. Certains joueurs communiquent d’ailleurs des informations sur une personne de leur entourage qui est réellement décédée. Soudainement, l’impact du jeu devient encore plus important, et c’est tout à fait ce que l’on visait. Cela rend l’histoire d’autant plus forte. Et si le joueur préfère remplir le texte à trous qui ouvre le jeu avec des blagues, l’histoire fera des rappels aux informations fournies, même si elles sont farfelues. Le joueur est donc impliqué d’une façon ou d’une autre. Cette mécanique permet de développer une vraie relation avec le jeu.


On ne dirige pas qu’un seul personnage, contrairement à ce qu’on pourrait croire au tout début…

L’idée d’avoir plusieurs personnages à manipuler – jusqu’à trois en même temps – permet de complexifier la mécanique de jeu, qui devient alors plus intéressante. Avec un seul personnage, tout est trop clair au bout d’un moment, presque rébarbatif. Donc en partant de cet angle « utilitaire », nous avons dû créer une histoire qui suit de nombreux personnages. How to Say Goodbye devient alors une histoire de groupe. 

Le deuil comme une expérience collective, et non plus une épreuve à affronter seul…

Tout à fait. C’est souvent grâce à des gens autour de nous que l’on arrive à passer outre le ressenti du deuil. Toutes les pièces du puzzle se mettaient ainsi en place : il y avait vraiment quelque chose à creuser pour nous.

Le son devait pouvoir communiquer le côté « physique » de l’espace, tout en créant une ambiance qui évoque un univers particulier […] Nous nous sommes principalement penchés sur les sons et bruitages des dessins animés jeunesse des années 70-80, qui utilisaient beaucoup d’appareils analogiques, mais électroniques.

Le design dépouillé des fantômes et certaines thématiques du jeu font penser au film A Ghost Story de David Lowery. Était-ce une de vos inspirations ?

En effet, c’était une grande référence pour nous au moment du développement de l’histoire. Nous nous intéressions à tous les médias qui traitaient de la vie après la mort et du deuil, et l’on s’est effectivement tourné vers A Ghost Story en termes de thématiques et de narration. Ce qu’on trouvait intéressant dans le film, c’est la façon dont il traite le temps et l’espace, qui sont réellement malléables et plus vraiment des notions qui font sens pour un être hors de la vie. Nous avons aussi essayé d’y faire écho par le biais de la mécanique de gameplay, qui permet de déplacer l’environnement et de modifier des éléments de décor, tout en changeant d’échelle. Il y avait cette envie d’explorer le côté liminal de ces êtres qui se trouvent après la mort, mais dont on parle encore chez les vivants. Et pour garder un angle « enfantin », nous avons également regardé des films d’animation comme Coco de Pixar. Ensuite, en matière de message, j’espère que nous sommes arrivés à une conclusion qui nous appartient totalement.

Le sound design du jeu est très délicat et parvient à se faire oublier malgré son omniprésence. Quelle a été votre réflexion sur le sujet ?

Baptiste Portefaix s’est surtout occupé de cet aspect. Il a passé près de trois ans à y réfléchir. C’était loin d’être un projet facile. Le son devait pouvoir communiquer le côté « physique » de l’espace, tout en créant une ambiance qui évoque un univers particulier. Comme en point de départ nous avions ces livres pour enfants, cela nous a assez rapidement amenés aux sons et aux bruitages que l’on pouvait retrouver dans les dessins animés jeunesse. Nous nous sommes principalement penchés sur ceux des années 70-80, qui utilisaient beaucoup d’appareils analogiques, mais électroniques. Il s’agit d’une identité sonore assez unique et vraiment intéressante, que nous avons cherché à émuler.

HOW TO SAY GOODBYE

De Florian Veltmann et Baptiste Portefaix
Production : Florian & Baptiste, ARTE France

Disponible sur PC, Mac, iOS, Google Play et Nintendo Switch.
Le jeu a bénéficié du soutien du CNC.