Jour de Play sur Twitch et arte.tv : "L’intention est de démontrer que le jeu vidéo parle du monde"

Jour de Play sur Twitch et arte.tv : "L’intention est de démontrer que le jeu vidéo parle du monde"

30 mars 2021
Jeu vidéo
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Jour de Play
Jour de Play Arte
Arte explore de nouveaux territoires avec Twitch. La chaîne est désormais implantée sur la plateforme de streaming vidéo, où elle diffuse depuis peu le magazine bimensuel Jour de Play. Un talk-show en live, sur l’univers du jeu vidéo, construit à chaque fois autour d’un thème (le pouvoir, l’animal, le voyage…), imaginé et présenté par le créateur de jeux vidéo Cosmografik et Camille Alexandre de la chaîne YouTube Osmosis. Le duo est entouré d’invités et de chroniqueurs, comme Lola Guilldou (La Développeuse du dimanche), Marine Macq (Pixel Life Stories), Hugo Terra (Game Next Door) et Sofia Versaveau (Game Spectrum). Marie Berthoumieu, chargée de programmes web au sein d’Arte, et Igal Kohen, producteur chez IKO et coproducteur de l’émission, détaillent pour le CNC les origines et les ambitions de Jour de Play.

D’où est venue l’envie d’investir Twitch avec une émission spécialement pensée pour cette plateforme ?

Marie Berthoumieu : Arte est arrivée sur Twitch il y a un peu plus d’un an, à l’occasion d’une game jam organisée par la chaîne, en banlieue de Paris. Nous avions envie de partager des moments « live » pour restituer ce week-end dédié à la création de jeux vidéo. Mais cela faisait déjà un petit moment que nous nous interrogions sur le fait d’aller sur Twitch, et nous avons constaté une accélération de la pratique du live, liée à tout ce que nous vivons collectivement depuis un an. Sur Twitch, évidemment, mais aussi sur Instagram, YouTube et même des plateformes de jeu comme Fortnite. Nous avons été sensibles à ces signaux. En parallèle, Cosmografik, auteur de jeux vidéo dont on a produit Type : Rider et Vandals, s’est lancé lors du premier confinement dans une démarche un peu personnelle sur Twitch : il invitait des créateurs de jeux vidéo à venir partager l’état d’avancement de leurs projets, rendant visibles des choses qui ne l’étaient pas.

Igal Kohen : Je produis également des jeux vidéo et à ce moment-là, j’étais justement en train de courtiser Cosmografik pour son prochain titre. Il était déjà en discussion avec un autre producteur, mais il en a profité pour me parler d’un projet d’émission qu’il avait en tête. Il s’agissait d’un « talk », pensé comme un espace pour les communautés francophones autour du jeu indépendant : joueurs, développeurs, game designers... Je trouvais génial de proposer un discours qui dépasse les sorties AAA [l’équivalent du blockbuster pour le jeu vidéo, NDLR], quelque chose de plus porté sur les jeux indépendants. On a commencé à réfléchir à une proposition, qui a été coconstruite entre Cosmografik, Arte et IKO.

Marie Berthoumieu : Ils sont arrivés en juillet avec un projet qui est entré en développement durant l’été. Pour aller au bout d’une démarche de développeur, il fallait qu’on se confronte à la réalité de Twitch et à toute la dimension d’interaction qu’on peut y développer. On a donc fait un pilote/numéro zéro en octobre sur notre chaîne Twitch, qui a eu un certain succès. Nous avions envie d’expérimenter les sondages, le tchat... Par rapport à toutes les autres plateformes où Arte publie des contenus, Twitch est de loin la plus interactive, les gens y sont ultra-actifs. Il fallait donc créer des moments avec eux, et notamment un final qui mettrait cette interaction au cœur de la proposition éditoriale. De là est née l’idée du jeu textuel, une fiction interactive écrite où l’internaute décide de la suite de l’aventure.

Une idée amusante mais difficile à mettre en place...

Marie Berthoumieu : Effectivement, c’est très compliqué ! Écrire un jeu textuel pour un live qui revient tous les quinze jours — même avec plusieurs auteurs —, c’est un gros boulot. L’équilibre est difficile à trouver entre le côté un peu prototype du premier jet d’écriture de l’auteur et ce qu’on joue en ligne. On trouve au fil du temps ce qui marche le mieux. C’est un petit moment de convivialité qui permet de finir de façon sympathique le temps du direct.

La liberté offerte par Twitch est sans commune mesure avec la télévision. Il y a quelque chose de rafraîchissant à explorer de nouveaux territoires ?

Marie Berthoumieu : On a investi Twitch en se disant qu’on ne voulait surtout pas y refaire de la télévision. Que pouvait-on écrire de nouveau ? Que pouvait-on inventer sur cette plateforme ? À cet égard, les chroniqueurs ne sont pas sur un plateau mais chez eux, en mode streaming, car c’est comme ça que les choses se passent sur Twitch.

Il y a plein de petits enjeux dont on a essayé de tenir compte pour trouver une nouvelle façon de raconter des histoires en live, qui ne soit pas du tout identique à une émission comme 28 Minutes, par exemple.

Igal Kohen : J’ai un point de vue un peu extérieur à Arte, et je trouve que c’est assez courageux de leur part de se lancer sur une nouvelle plateforme, avec une confrontation à l’audience qui n’est pas du tout la même qu’à l’antenne, et qui est encore différente de la confrontation asynchrone existant sur les réseaux sociaux. Il y a un risque, inhérent au direct : les gens s’expriment immédiatement. Je crois que la bonne idée a été de prendre des gens habitués à Twitch, issus du milieu du jeu vidéo, et de leur faire confiance. À mon sens, cela donne beaucoup de pertinence à Jour de Play. Mon plaisir de producteur, c’est de voir tous les jeux que j’adore abordés avec intelligence et finesse, explorés dans la logique d’un thème qui démontre que le jeu vidéo est un art.

Jour de Play n’est pas qu’un magazine en live sur Twitch, puisqu’il existe une « Sauvegarde » éditorialisée, diffusée sur arte.tv et YouTube. En quoi consiste-t-elle ?

Marie Berthoumieu : C’est en fait un deuxième programme : on a d’un côté le live Twitch et de l’autre un digest, la « Sauvegarde », qui reprend des éléments essentiels du live et recompose un sujet complet, dans un temps plus réduit d’une trentaine de minutes. Tout est retravaillé : les animateurs refont des enregistrements de leurs voix, afin de créer un objet et un récit à part entière. Cela permet d’être un peu plus dans le plaisir intellectuel qui consiste à explorer un thème sur le sujet du jeu vidéo. Cette proposition a pour mission d’approfondir les sujets et d’éviter que ce que nous faisons en direct ne soit qu’éphémère. Disons que la « Sauvegarde » est quelque chose de plus patrimonial, qui vient raconte à quel point le jeu vidéo fait partie de nos vies, et peut même poser des questions philosophiques.

La Sauvegarde sera publiée à chaque fois trois semaines après le live. Cela participe de notre envie de montrer aux non-joueurs que le jeu vidéo est vraiment un art, au même titre que le cinéma, la bande dessinée, la littérature... Et pour y parvenir, il faut être dans l’accueil, l’accessibilité et la vulgarisation.

La Sauvegarde tient un rôle de trait d’union entre une plateforme pas encore connue de tous, et le fait de parler de jeux vidéo. J’espère qu’on va réussir à convertir des gens au jeu vidéo !

Le rapport au temps sur Twitch est très différent par rapport à la télévision, une émission pouvant durer plusieurs heures sans contrainte particulière. Est-ce que cela change la façon dont Jour de Play est construit ?

Marie Berthoumieu : Effectivement, l’idée est d’animer une soirée. C’est donc un temps plus long que ce qu’on produit habituellement pour le numérique. Sur Instagram par exemple, on se dit que les gens ont peu de temps et qu’il faut donc raconter des histoires en trois à six minutes. La longueur et les spécificités du live — la surprise, l’improvisation et l’interaction — sont des éléments qui viennent nous titiller sur un terrain un peu nouveau. Il y a une forme de fraîcheur et d’horizontalité : nous ne sommes pas dans une télévision qui parle à ses ttéléspectateurs passifs devant un écran, nous sommes en phase et en lien avec un tchat qu’on écoute, qu’on fait réagir, dont on fait remonter les commentaires... C’est une conversation directe avec notre public. 

Igal Kohen : Cette question du rapport au temps est intéressante car en tant que producteur sur d’autres médias, je suis habitué à prendre deux, trois ou quatre ans pour monter des projets. Avec Jour de Play, il est très gratifiant de sortir toutes les deux semaines un direct, et trois semaines plus tard une sauvegarde patrimoniale.

Comment sont définis les thèmes et pourquoi avoir choisi un rythme de diffusion bimensuel ?

Marie Berthoumieu : Un programme hebdomadaire serait trop difficile à financer pour le moment. Et il est déjà fou qu’on arrive à produire quelque chose d’aussi dense tous les quinze jours ! Concernant les thèmes, il nous semblait intéressant de prendre à chaque fois quelque chose d’assez large, quasi philosophique d’une certaine façon, afin de pouvoir laisser de la liberté à chaque chroniqueur et chroniqueuse d’explorer en se raccrochant à son domaine d’expertise.

Le thème est là pour guider l’exercice de réflexion, plus que pour structurer le live. En revanche, pour la Sauvegarde, cela permet d’avoir un fil rouge qui fait des connexions et déploie une pensée sur le jeu vidéo et le monde qui nous entoure.

Igal Kohen : L’intention de Jour de Play est de démontrer que le jeu vidéo parle du monde. Et pour ça, tout ce qu’il nous faut, c’est un point de départ. Le plaisir intellectuel est de voir qu’énormément de sous-sujets d’un grand thème résonnent les uns avec les autres, en lien avec les interrogations et les intentions des auteurs de jeux.

Est-ce que Jour de Play ouvre la voie pour Arte à d’autres formats et types de sujets sur Twitch ?

Marie Berthoumieu : À terme, l’idée serait de se déployer sur Twitch avec d’autres thématique et formes. Reste une vraie question, celle du financement. À ce jour, Jour de Play est porté uniquement par les épaules d’Arte. Il faudra voir comment nous arrivons à pérenniser tout ça. Il y a notamment un gros travail sur la modération et l’interaction avec l’audience, pour que la discussion puisse prendre. Ce sont des postes à financer et une charge relativement lourde pour un programme comme celui-ci. Pour la Sauvegarde également : nous avons besoin de monteurs, d’auteurs... Nous verrons, mais effectivement, l’idée pour Arte est de développer de nouvelles propositions.