« Il est un peu comme l’architecte d’une maison ». Si Nicolas Roginski devait résumer le métier de game designer de production, voilà ce qu’il dirait. En lien avec le créateur du titre et l’équipe artistique, le game designer est chargé de « concevoir l’expérience de jeu, soit tout ce que les joueurs vont pouvoir expérimenter en situation ». Intervenant tout au long du processus de développement, il doit notamment répondre aux questions : « Comment le joueur va-t-il pouvoir s’amuser avec le jeu ? Les mécanismes seront-ils bien appréciés et compris par l’utilisateur ? ».
En partant de l’idée d’origine et des personnages imaginés par le créateur du jeu, le game designer doit ainsi imaginer les règles, les challenges, le déroulé, les récompenses et les mécanismes du titre. « Si je prends l’exemple d'Asphalt Legends (Gameloft), en appuyant sur les symboles qui apparaissent en haut de l'écran, on choisit la trajectoire du véhicule et les bonus à récolter. Le game designer est responsable de ça. On est également chargé de choisir les actions que feront les personnages mais pas leur histoire ou leur personnalité par exemple. Dans Mario, c’est le game designer qui a décidé que lorsque le héros saute sur ses ennemis, ça les tue. C’est lui également qui a réglé la longueur du saut », explique-t-il.
« Lorsqu’on démarre la production, on est là pour accompagner le client. On a une vision d’ensemble qui permet de pouvoir servir de guide afin que tout le monde aille dans une même direction. C’est la même chose dans l’équipe ».
Souplesse et esprit d’équipe
Travaillant en équipe »au service du jeu« , le game designer doit être « force de propositions ». « Sa vraie valeur ajoutée, c’est sa capacité à évaluer si l’idée nourrit bien la vision, si elle s’accorde bien avec les autres composants du jeu et si elle apporte un plus au produit fini. Notre but est de faire en sorte que les idées viennent des équipes, même si nous leur en insufflons parfois », poursuit Nicolas Roginski. Tout bon game designer doit donc faire preuve de souplesse et être créatif. Mais pas seulement. « Il faut avoir une bonne culture du jeu, être curieux, pouvoir se nourrir d’autres formes culturelles et être un bon communicant, explique-t-il. S’il ne gère pas les budgets, le game designer doit malgré tout prendre en compte l’aspect financier lorsqu’il construit la mécanique du jeu. « Quand on propose un composant, il faut avoir en tête l’idée de la faisabilité, la difficulté et le temps que ça peut prendre pour une équipe. Comme tous les métiers créatifs, nous travaillons avec des contraintes, il faut construire quelque chose dans un cadre donné », poursuit-il.
Un métier passion
Des formations de game designer existent dans les écoles spécialisées. C’est d’ailleurs le cursus suivi par Nicolas Roginski, passionné de jeu vidéo depuis sa plus tendre enfance. « A 3-4 ans, j’étais très actif mais il suffisait de me mettre devant une borne d’arcade et je pouvais regarder les autres jouer pendant des heures. C’était une passion et ça l’est toujours, raconte-t-il. Au moment de mon bac, il n’existait pas encore en France de formation de jeu vidéo. Je voulais travailler dans ce domaine mais je ne savais pas comment. La première école a ouvert deux ou trois ans après ce diplôme. J’ai fini par entrer à Isart Digital. J’ai fait partie de la deuxième ou troisième promotion ».
Evoluant dans ce milieu depuis plus de dix ans, il a commencé sa carrière en travaillant pendant trois mois, pour Eden Games sur le jeu Alone In The Dark : Near Death Investigations. « J’étais vraiment à l’époque entre le client et le studio, je faisais des fiches et j’ai travaillé sur le comportement d’un ennemi. J’étais touché de pouvoir y jouer après sa sortie. C’est magique, même si en tant que professionnel, on a tendance à ne voir que les défauts quand on joue », se souvient-il. Game designer n’est pas le « travail le mieux payé de l’industrie vidéoludique ». « C’est un métier passion et il y a beaucoup de candidats, souligne Nicolas Roginski. La fourchette des salaires est très large, du SMIC pour un premier poste à 2 000-2 500 euros dans le panier haut pour un studio normal. N’importe qui peut devenir game designer et ça joue sur les salaires. Notre expertise est moins visible que pour d’autres corps de métiers ».
Le bouleversement du mobile
Pour vérifier la pertinence des actions imaginées, le game designer et l’équipe créative ont régulièrement recours à des « playtests » permettant à des anonymes de tester le jeu en production. Des séances qui peuvent avoir une vraie incidence sur le produit. « J’ai travaillé à Bordeaux pour un jeu Disney Pixar dédié à un public jeune et familial. Ce jeu rassemblait plusieurs licences dont une partie Cars où le joueur devait piloter une voiture comme s’il tenait un volant. Pour un adulte, ça parait logique de tenir un volant d’une certaine façon, mais pour un enfant de 6 ans, ça ne l’était pas. Nous avons donc développé une manière de contrôler la voiture qui leur convienne afin qu’ils puissent la maîtriser », raconte Nicolas Roginski.
Si pour les jeux mobiles les playtests sont toujours utilisés, les game designers ont désormais d’autres moyens de décrypter l’impact de leur jeu. « L’avantage pour le jeu mobile, c’est qu’il y a des dates de sorties sur quelques pays ciblés avant la diffusion mondiale. On recueille ainsi de nombreuses données sur l’expérience de jeu : on peut connaître le nombre de joueurs connectés, à quel moment ils ont arrêté de jouer, les choses plus appréciées etc... C’est assez nouveau mais c’est vraiment une mine d’or qu’on n’avait pas avant », conclut ce game designer éditorial de jeux mobiles.