Comment est né le projet du No Limit Orchestra ?
Après avoir fait le constat que le public des concerts et festivals de musique classique vieillissait, nous nous sommes interrogés sur la marche à suivre pour séduire un nouveau public, plus jeune. L’idée de se tourner vers la musique de jeu vidéo, de mangas et de courts métrages est partie de là. Et l’engouement a été immédiat. Les musiciens de No Limit Orchestra sont des professionnels bien établis dans le milieu culturel local. Certains viennent même de la Philharmonie de Strasbourg ou de formations contemporaines de Bâle. Cela crée un effet de curiosité auprès du public. Et on a réussi notre pari : si des amateurs d’opéra ou de classique viennent nous voir, ces concerts attirent également des joueurs qui n’ont pas l’habitude d’assister à de tels événements.
Comment travaillez-vous pour faire découvrir au public cette musique ?
De nombreuses bandes originales sont de simples sound design ou des thèmes électroniques. Je réorchestre tout et je découpe la partition pour différents instruments en fonction de mon feeling et de ce qui fonctionne ou pas. Jouer la musique du jeu vidéo dans des églises, comme nous le faisons, permet aux « gamers » d’être projetés de manière encore plus puissante dans leur monde. Mais ces concerts permettent également de montrer aux amateurs de classique, qui ont parfois un regard méprisant sur la musique de jeu vidéo, que cette dernière est nourrie de belles mélodies qui peuvent être très intéressantes une fois réorchestrées.
Est-ce un moyen de montrer que la musique de jeu vidéo ne sert pas seulement le divertissement mais qu’elle est un art en soi ?
Exactement et c’est précisément cette idée que nous défendons. Nous développons l’aspect visuel de nos spectacles pour montrer à certains spectateurs que le jeu vidéo est un art allant bien au-delà du jeu chez soi : c’est un sujet à suivre comme la musique de films. Aujourd’hui, les plus grands orchestres du monde enregistrent les bandes originales de grands jeux vidéo. Nous cherchons à démocratiser cela, à amener les « geeks » vers des choses plus classiques et le public de musique classique vers des univers plus populaires.
Est-ce pour cette raison que vous proposez également des concerts dans lesquels l’orchestre accompagne en direct la partie d’un joueur ?
C’est une manière de faire découvrir les jeux vidéo à ceux qui ne les connaissent pas. Nous l’avons fait avec Street Fighter grâce à un ami chroniqueur radio qui est également joueur professionnel. Nous avons trouvé un système pour enlever la musique du jeu, tout en gardant le sound design, avant de réécrire la partition pour qu’elle soit jouée en live par l’orchestre. Les combats étant aléatoires, nous avons élaboré un système de chiffres pour enchaîner plus facilement. C’était une vraie performance aussi bien du côté du joueur que des musiciens : s’il perdait, le concert s’arrêtait et s’il gagnait, nous devions suivre en direct ce qu’il se passait.
Certains de vos concerts mettent parfois à l’honneur toute une BO de jeu. On a l’impression que ces spectacles vous permettent également de montrer l’évolution de la musique de jeu vidéo…
Oui, nous partons parfois du rétrogaming, avec des thèmes comme Tetris (1984) ou Mario Bros (1983), pour terminer avec des musiques plus récentes de Zelda, une franchise dont la musique a beaucoup évolué au fil des années et qui est une vraie référence pour moi. Le plus gros changement dans la musique de jeu vidéo s’est fait, selon moi, lorsque le London Symphony Orchestra a enregistré son premier album réorchestré de musiques vidéoludiques. C’est là que la place de ce genre musical a vraiment évolué dans le monde culturel.
Vous êtes en train d’enregistrer avec le No Limit Orchestra la bande originale d’un jeu vidéo baptisé Join Bots. Souhaitez-vous multiplier ce genre d’enregistrements parallèlement aux concerts ?
Lorsqu’on nous a proposé de travailler sur cette bande son, nous avons immédiatement accepté. C’était un rêve ! A partir de la version bêta du jeu et d’un cahier des charges détaillant notamment les différentes ambiances, nous avons réalisé les orchestrations de musiques imaginées pour nous par le compositeur François Bogaert. Nous avons beaucoup de projets de ce genre avec le No Limit Orchestra qui a déjà bien évolué depuis ses débuts. L’orchestre a commencé sans cordes, puis nous avons mis en place des formations réduites avec des cuivres pour nous adapter à des salles plus petites avant de monter un quintet de cuivres pour des séances pédagogiques dans des écoles.
L’aspect éducatif est-il important pour vous ?
Notre but est de créer des vocations. Les enfants consomment du jeu vidéo et nous voulons utiliser cette force pour leur donner envie de faire de la musique. C’est également l’occasion de leur expliquer qu’il y a des musiciens et un compositeur derrière les musiques des jeux qu’ils écoutent. Début 2020, nous entamerons d’ailleurs notre premier projet pédagogique dans une école de Strasbourg. Avec les enfants et une société partenaire, nous allons créer un jeu vidéo qu’ils pourront ramener chez eux et dont ils composeront également la bande originale. L’histoire sera consacrée à l’éco-responsabilité, aux animaux et à la planète. Nous sommes actuellement en recherche de financements car depuis le début, je finance seul, avec un soutien de la ville. Si ce projet fonctionne, nous souhaitons le développer dans d’autres écoles.
Quels sont vos autres projets ?
Nous avons été contactés pour enregistrer des BO de films et séries et nous avons des concerts prévus à l’étranger. Nous avons également eu les droits pour jouer la musique d’Interstellar dans la cathédrale de Strasbourg avec un jeu de lumières, du mapping vidéo et un ciel étoilé projeté dans la nef. Je constate un véritable engouement autour du No Limit Orchestra, à tel point que j’ai dû réduire mon activité professionnelle pour m’occuper de l’orchestre. Nous aimerions nous professionnaliser mais nous avons besoin pour cela d’aides publiques et de davantage de mécénat.